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22/01/2010 | FRANCE | N°334249

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 22 janvier 2010, 334249


Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 1er décembre 2009, présentée par M. et Mme Vincent A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision, en date du 13 novembre 2009, par laquelle le consul général de France à Lomé (Togo) a refusé de délivrer à l'enfant Benjamin Kokou B un visa long séjour en qualité de mineur scolarisé;

2°) d'enjoindre au ministre de l'

immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidai...

Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 1er décembre 2009, présentée par M. et Mme Vincent A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision, en date du 13 novembre 2009, par laquelle le consul général de France à Lomé (Togo) a refusé de délivrer à l'enfant Benjamin Kokou B un visa long séjour en qualité de mineur scolarisé;

2°) d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de lui délivrer à titre provisoire un visa de long séjour portant la mention mineur scolarisé dans l'attente du jugement au fond, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils soutiennent que leur requête est recevable, même en l'absence de décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, dès lors que cette dernière a été saisie par un recours enregistré le 30 novembre 2009 ; que la condition d'urgence est remplie, compte tenu des circonstances particulières qui résultent notamment de l'état de santé du jeune Benjamin Kokou B et de la nécessité de le scolariser rapidement ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; que celle-ci est entachée, en premier lieu, d'une erreur manifeste d'appréciation, le risque de détournement de la procédure invoqué par l'administration pour justifier son refus n'étant pas avéré ; qu'elle méconnaît, en second lieu, les stipulations de la convention relative aux droits de l'enfant ; qu'en effet l'intérêt supérieur de l'enfant Benjamin Kokou B, tel qu'il est protégé par l'article 3 paragraphe 1 de ladite convention, est méconnu par la décision de refus de visa qui lui a été opposée ; que, de plus, il ressort des pièces du dossier qu'il n'a, à aucun moment, été entendu au cours de la procédure d'instruction de sa demande de visa, contrairement à ce que prévoit l'article 12 paragraphe 2 de la convention relative aux droits de l'enfant ; que la décision contestée a été prise, enfin, en violation de l'article 9 de la convention franco-togolaise relative à la circulation et au séjour des personnes prévoyant que les demandes de visa présentées dans le but de faire suivre à certains enfants des études primaires et secondaires en France doivent être examinées avec bienveillance ;

Vu la copie du recours formé par M. et Mme A le 30 novembre 2009 devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

Vu la copie de la requête en annulation présentée par M. et Mme A ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2010, présenté par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire qui conclut au rejet de la requête ; le ministre soutient qu'il résulte des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-1 du code de justice administrative que le juge des référés ne peut, sans excéder sa compétence, ordonner une mesure ayant des effets équivalents à une annulation de la décision contestée ; que par conséquent les conclusions aux fins d'injonction de la présente requête, en ce qu'elle visent à ce que soit délivré le visa sollicité, sont irrecevables ; que, par ailleurs, la condition d'urgence n'est pas remplie, dès lors que, d'une part, aucun document produit au dossier ne justifie l'impossibilité de scolariser le jeune Benjamin Kokou B au Togo pour l'année scolaire 2009-2010 et que, d'autre part, aucun des bilans médicaux produits à l'appui de la présente requête n'établissent l'urgence d'une intervention chirurgicale ; qu'en outre il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; que celle-ci n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'en effet la demande de visa sollicitée pour Benjamin Kokou B l'a initialement été, non en qualité de mineur scolarisé mais dans le but principal de soumettre l'enfant à une intervention chirurgicale, ce qui caractérise le risque de détournement de l'objet du visa ; que la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations des articles 3 paragraphe 1 et 12 paragraphe 2 de la convention relative aux droits de l'enfant, dans la mesure il est dans l'intérêt de l'enfant lui-même que la demande de visa déposée pour lui ne soit pas acceptée ; qu'en effet, son expatriation, sollicitée sur le fondement d'une délégation de l'autorité parentale, entraînerait un changement de vie radical pour cet enfant qu'il est envisagé de renvoyer au Togo au terme de deux ans ; que le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 9 de la convention franco-togolaise du 13 juin 1996 ne peut être qu'écarté comme inopérant, dès lors que cet article ne s'applique qu'aux demandes de visa présentées dans le but de faire suivre des études primaires et secondaires ; qu'enfin les conclusions aux fins de suspension devant être rejetées, il devra en être de même des conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 8 janvier 2010, présenté par M. et Mme A, qui reprennent les conclusions de leur requête et les mêmes moyens ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 9 janvier 2010, présenté par M. et Mme A, qui reprennent les conclusions de leur requête et les mêmes moyens ; M. et Mme A demandent en outre au juge des référés du Conseil d'Etat, à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer la demande de visa long séjour en qualité de mineur scolarisé dans le délai de 15 jours à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. et Mme A, et d'autre part, le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;

Vu le procès-verbal de l'audience du 12 janvier 2010 à 10 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Ancel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. et Mme A ;

- M. et Mme A et leur représentant ;

- Les représentantes du ministre l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le juge des tutelles du tribunal pour enfant de Lomé, par décision du 11 mai 2009, a délégué à M. et Mme A, ressortissants français, l'autorité parentale sur l'enfant Benjamin Kokou B, de nationalité togolaise ; que, par décision du 13 novembre 2009, le consul général de France à Lomé a toutefois refusé de délivrer à ce dernier un visa de long séjour en qualité de mineur scolarisé ; que M. et Mme A demandent la suspension de l'exécution de cette décision ;

Considérant, d'une part, que pour refuser le visa sollicité par l'intéressé en qualité de mineur scolarisé, l'administration s'est fondée sur l'existence d'un détournement frauduleux de procédure, au motif qu'une intervention chirurgicale pour un pied bot ayant été envisagée, la motivation principale de la demande de visa serait le traitement médical de l'enfant et non pas sa scolarisation ; qu'il résulte toutefois de l'instruction, et notamment des précisions apportées par M. et Mme A au cours de l'audience de référé, que la demande de visa est bien motivée par la nécessité de scolariser l'enfant en France, dans une classe spécialement adaptée à son handicap ; que si cette demande s'inscrit en outre dans le cadre d'un projet global et personnalisé que les intéressés, délégataires de l'autorité parentale, ont conçus pour l'enfant, projet pouvant inclure une amélioration de son état de santé, cette circonstance ne saurait à elle seule constituer un détournement ; qu'il en résulte que le moyen tiré de ce que l'administration a commis une erreur manifeste d'appréciation, en se fondant sur l'existence d'un détournement pour refuser le visa sollicité, est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que le jeune Benjamin Kokou B, dont le père est décédé et dont la mère, sans domicile fixe et sans ressources, ne peut s'occuper correctement au Togo, est handicapé et se trouve dans une situation d'extrême précarité ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, la condition d'urgence, au sens des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, doit être regardée comme remplie ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A sont fondés à demander la suspension de l'exécution de la décision par laquelle le consul général de France à Lomé a refusé de délivrer à Benjamin Kokou B un visa long séjour en qualité de mineur scolarisé ;

Considérant qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer la demande de visa dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte ; qu'en revanche l'injonction de délivrer à Benjamin Kokou B un visa de long séjour aurait des effets identiques aux mesures d'exécution que l'autorité compétente serait tenue de prendre en cas d'annulation pour excès de pouvoir de la décision de refus de visa ; qu'elle excède ainsi la compétence du juge des référés ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'exécution de la décision par laquelle le consul général de France à Lomé a refusé de délivrer à Benjamin Kokou B un visa long séjour en qualité de mineur scolarisé est suspendue.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer la demande de visa présentée pour Benjamin Kokou B au regard des motifs de la présente ordonnance, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de celle-ci.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. et Mme A en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. et Mme Vincent A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 22 jan. 2010, n° 334249
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Aguila
Rapporteur ?: M. Yann JR Aguila

Origine de la décision
Formation : Juge des référés
Date de la décision : 22/01/2010
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 334249
Numéro NOR : CETATEXT000021785199 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2010-01-22;334249 ?
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