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26/02/2010 | FRANCE | N°322176

France | France, Conseil d'État, 7ème sous-section jugeant seule, 26 février 2010, 322176


Vu la requête, enregistrée le 5 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean-Hugues A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 27 octobre 2008 par laquelle le ministre de la défense, après avis de la commission des recours des militaires, a rejeté son recours contre sa décision du 27 mai 2008 lui ordonnant de démissionner de l'association Forum gendarmes et citoyens ;

2°) subsidiairement, d'annuler la décision du 27 mai 2008 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de l

a somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administ...

Vu la requête, enregistrée le 5 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean-Hugues A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 27 octobre 2008 par laquelle le ministre de la défense, après avis de la commission des recours des militaires, a rejeté son recours contre sa décision du 27 mai 2008 lui ordonnant de démissionner de l'association Forum gendarmes et citoyens ;

2°) subsidiairement, d'annuler la décision du 27 mai 2008 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la défense ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Mettoux, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

Considérant que, par une décision du 27 octobre 2008, le ministre de la défense a rejeté, après avis de la commission des recours des militaires, le recours de M. A, chef d'escadron de gendarmerie, tendant à annuler la décision du 27 mai 2008 par laquelle l'autorité militaire lui a ordonné de démissionner de l'association Forum gendarmes et citoyens ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 4121-4 du code de la défense : L'exercice du droit de grève est incompatible avec l'état militaire. / L'existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l'adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire. / Il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés et de rendre compte, par la voie hiérarchique, de tout problème de caractère général qui parviendrait à sa connaissance. ;

Sur la compétence du ministre de la défense :

Considérant que M. A soutient que le ministre de la défense en lui ordonnant de démissionner de l'association en cause, s'est en même temps prononcé sur la légalité de celle-ci ; qu'il ressort des pièces du dossier que, dans sa décision du 27 octobre 2008, le ministre s'est limité à constater que l'association Forum gendarmes et citoyens constitue un groupement professionnel au sens de l'article L. 4121-4 du code de la défense et à rappeler qu'en conséquence, aucun militaire ne peut y adhérer ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le ministre aurait incompétemment apprécié la légalité de l'association, doit être écarté ;

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

Considérant en premier lieu, que si M. A soutient que l'absence de définition juridique de la notion de groupement professionnel militaire à caractère syndical, comme de contenu des règles de la discipline militaire contrevient aux principes de prévisibilité posés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce moyen, en tout état de cause, n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier la portée ;

Considérant en deuxième lieu, que M. A soutient que l'article L. 4121-4 n'est pas conforme à la Constitution ; qu'aux termes de l'article 61-1, ajouté à la Constitution par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 : Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ; que l'article 46 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 prévoit que les dispositions de l'article 61-1 de la Constitution entreront en vigueur dans les conditions fixées par la loi organique nécessaire à leur application ; que, tant que cette loi organique n'est pas entrée en vigueur, les dispositions de l'article 61-1 de la Constitution ne sont donc pas applicables ; que, dans l'attente de l'entrée en vigueur de cette loi organique, la conformité d'une loi à la Constitution ne peut, en conséquence, être utilement contestée devant le Conseil d'Etat, statuant au contentieux ; que le moyen tiré de ce que l'article L. 4121-4 du code de la défense méconnaîtrait les dispositions constitutionnelles qui garantissent la liberté d'association et le droit syndical ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

Considérant en troisième lieu, que M. A soutient que l'article L. 4121-4 du code de la défense est incompatible avec les stipulations de l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes desquelles : 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. / 2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles, qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat ; qu'eu égard aux exigences qui découlent de la discipline militaire et des contraintes inhérentes à l'exercice de leur mission par les forces armées, les dispositions précitées de l'article L. 4121-4 du code de la défense, qui ne font en rien obstacle à ce que les militaires adhèrent à d'autres groupements que ceux qui ont pour objet la défense de leurs intérêts professionnels, constituent des restrictions légitimes au sens de ces stipulations de l'article 11 ; que le moyen tiré de l'incompatibilité de l'article L. 4121-4 du code de la défense avec les stipulations de cet article doit, en conséquence, être écarté ; que de même, les dispositions contestées de l'article L. 4121-4 constituent des restrictions légitimes au sens des stipulations sur ce point similaires de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté d'expression ;

Considérant en quatrième lieu, que M. A soutient qu'en lui ordonnant de démissionner dans un délai bref, la décision litigieuse l'a privé de son droit à un recours effectif et équitable ; que cependant le caractère exécutoire de plein droit d'une décision administrative n'a pas pour effet d'interdire l'exercice des voies de recours ; que, par suite, la décision litigieuse n'a pas méconnu les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le refus de la commission des recours des militaires de prendre en compte des faits intervenus postérieurement à la décision qui a fait l'objet d'un recours devant elle, ne contrevient pas plus aux stipulations des mêmes articles de la convention ;

Considérant en cinquième lieu, que si M. A invoque au soutien de la légalité de son adhésion à l'association Forum gendarmes et citoyens , l'existence d'autres associations de militaires qui ont un objet similaire, cette circonstance, à la supposer démontrée, est sans influence sur la légalité de la décision attaquée ;

Considérant en sixième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'association Forum gendarmes et citoyens s'est donnée pour objet, entre autres, la défense de la situation matérielle et morale des gendarmes ; que, dès lors, en estimant sur le fondement de ses dispositions statutaires que l'association Forum gendarmes et citoyens constitue un groupement professionnel au sens de l'article L. 4121-4, le ministre n'a pas entaché sa décision d'erreur de fait et de qualification juridique ;

Considérant enfin que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de M. A, ensemble ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Hugues A et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 7ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 322176
Date de la décision : 26/02/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 fév. 2010, n° 322176
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Schwartz
Rapporteur ?: M. Philippe Mettoux
Rapporteur public ?: M. Dacosta Bertrand

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:322176.20100226
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