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22/04/2010 | FRANCE | N°338662

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 22 avril 2010, 338662


Vu le recours, enregistré le 14 avril 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté par le MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 8 avril 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu les effets de la décision du 29 mars 2010 par laquelle le président de la commission de discipline de la maison d'arrêt de Lyon-Corbas a placé

M. A en cellule disciplinaire jusqu'au 24 avril 2010 ;

2°) de rej...

Vu le recours, enregistré le 14 avril 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté par le MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance en date du 8 avril 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu les effets de la décision du 29 mars 2010 par laquelle le président de la commission de discipline de la maison d'arrêt de Lyon-Corbas a placé M. A en cellule disciplinaire jusqu'au 24 avril 2010 ;

2°) de rejeter la demande de M. A présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Lyon ;

3°) de mettre à la charge de M. A la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que l'ordonnance attaquée est irrégulière dès lors qu'elle vise la production d'un mémoire en défense inexistant ; qu'elle méconnaît le principe du contradictoire ; qu'elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon n'a pas fait état de circonstances particulières de nature à caractériser une situation d'urgence ; que l'administration a pris en compte les demandes d'encellulement individuel de M. A ; que le placement en cellule disciplinaire ne constitue pas une ingérence excessive dans le droit du détenu au respect de sa vie privée ; qu'en l'absence d'un décret d'application, l'article 726 du code de procédure pénale, issu de l'article 91 la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, n'est pas applicable et que la sanction pouvait être prononcée pour une durée de trente jours ; qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; qu'en effet, à supposer illégale la décision de placement en cellule disciplinaire, l'atteinte à une liberté fondamentale n'est pas établie ; que l'essentiel des droits de M. A est préservé ; que la sanction n'est pas disproportionnée ; que les effets du placement en cellule disciplinaire ne méconnaissent pas les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la décision de sanction n'est pas entachée d'une erreur de qualification juridique dès lors qu'en refusant de réintégrer sa cellule, le détenu ne s'est pas soumis à une mesure de sécurité et a commis une faute de nature à justifier une sanction ;

Vu, enregistrée le 19 avril 2010, la demande d'aide juridictionnelle présentée pour M. A ;

Vu, enregistré le 20 avril 2010, le mémoire en intervention présenté par la section française de l'Observatoire international des prisons, qui conclut au rejet du recours ; elle soutient qu'il n'est pas établi que le visa d'un mémoire inexistant a eu une incidence sur la procédure ; que l'administration pouvait faire les diligences nécessaires pour organiser sa défense dans le délai imparti ; que c'est au vu de la situation particulière du détenu que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a considéré que la condition d'urgence était remplie ; que l'ordonnance n'est pas entachée d'erreur de droit ; que la sanction est disproportionnée et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, protégeant l'intégrité des détenus ; que les dispositions de l'article 726 du code de procédure pénale issues de l'article 91 de la loi du 24 novembre 2009 étant suffisamment précises, elles sont immédiatement applicables sans que soit nécessaire l'intervention d'un décret d'application ; que l'urgence est caractérisée en raison des mesures successives de placement en cellule disciplinaire dont M. A a fait l'objet ; que la décision de sanction méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'ordre de se rendre dans une cellule ne se rapporte pas à des considérations de sécurité et n'était pas de nature à justifier une sanction ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 avril 2010, présenté pour M. A qui conclut au rejet du recours ; il soutient qu'il n'est pas établi que le visa d'un mémoire inexistant a eu une incidence sur la procédure ; que l'administration pouvait faire les diligences nécessaires pour organiser sa défense dans le délai imparti ; que c'est au vu de la situation particulière du détenu que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a considéré que la condition d'urgence était remplie ; que l'ordonnance n'est pas entachée d'erreur de droit ; que la sanction est disproportionnée et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, protégeant l'intégrité des détenus ; que les dispositions de l'article 726 du code de procédure pénale issues de l'article 90 de la loi du 24 novembre 2009 étant suffisamment précises, elles sont immédiatement applicables sans que soit nécessaire l'intervention d'un décret d'application ; que l'urgence est caractérisée en raison des mesures successives de placement en cellule disciplinaire dont M. A a fait l'objet ; que la décision de sanction méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'ordre de se rendre dans une cellule ne se rapporte pas à des considérations de sécurité et n'était pas de nature à justifier une sanction ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 20 avril 2010, présenté par le MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, qui reprend les conclusions et les moyens de son recours ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES et, d'autre part, M. A ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 21 avril 2010 à 9 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ;

- Me Pinet, avocat au Conseil d'Etat et à la cour de cassation, avocat de M. A ;

- le représentant de la section française de l'Observatoire International des Prisons ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a décidé de prolonger l'instruction jusqu'au mercredi 21 avril 2010 à 15 heures ;

Vu, enregistré le 21 avril 2010, le mémoire de production présenté par la section française de l'observatoire international des prisons ;

Considérant que la section française de l'Observatoire International des Prisons a intérêt au maintien de l'ordonnance attaquée ; qu'ainsi son intervention en défense est recevable ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence " ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et qu'il n'a pas été contesté à l'audience que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a été saisi de la demande de M. A, tendant à la suspension de la décision du 29 mars 2010 le plaçant en cellule disciplinaire, le 7 avril 2010 ; que cette demande et l'avis d'audience ont été communiqués au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés le 8 avril 2010 aux alentours de 10 heures, la date d'audience étant fixée le même jour à 15 heures ; que le juge des référés, en accordant à l'administration un tel délai pour produire un mémoire ou organiser sa présence à l'audience, alors que la situation de M. A ne requérait pas qu'il soit statué sur sa demande dans les heures suivant son introduction et qu'il lui était possible, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative qui lui imposent de se prononcer dans un délai de quarante-huit heures, de fixer l'audience à une échéance moins rapprochée, a méconnu le principe du contradictoire ; que le MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES est pour ce motif fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Considérant qu'il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant par voie d'évocation, de se prononcer sur la demande de M.A ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, alors écroué à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas, a demandé à être placé en cellule individuelle ; que refusant de regagner la cellule qu'il partageait, en raison du sureffectif des personnes incarcérées dans cette maison d'arrêt, avec un autre détenu, la commission de discipline lui a infligé une sanction de trente jours de cellule disciplinaire du 10 février au 12 mars 2010 ; qu'à cette date, il a refusé de regagner sa cellule et a été sanctionné de sept jours de cellule disciplinaire ; qu'une sanction de deux jours de cellule disciplinaire lui a été infligée le 17 mars 2010 pour le même motif ; qu'il a ensuite été affecté en cellule individuelle au quartier " arrivants " à titre provisoire ; que le 18 mars 2010, le directeur de la maison d'arrêt a sollicité du président de la cour d'assises de Saône-et-Loire l'autorisation nécessaire au transfert du détenu dans une autre maison d'arrêt afin qu'il puisse être fait droit à sa demande de placement en cellule individuelle ; que le 25 mars 2010, refusant l'affectation en cellule " doublée ", M. A a été placé en cellule disciplinaire à titre conservatoire ; que par une décision du 29 mars 2010, la commission de discipline de la maison d'arrêt de Lyon-Corbas a, pour le même motif, infligé à M. A un placement en cellule disciplinaire pour une durée de 30 jours ; que M. A demande la suspension de cette mesure ;

Considérant que la modification temporaire du régime de détention qui résulte pour l'intéressé de son placement en cellule disciplinaire, définie par l'article D. 251-3 du code de procédure pénale, ne peut, en l'absence de circonstances particulières, être regardée par elle même comme constitutive d'une situation d'urgence ; que ces circonstances particulières ne peuvent résulter du seul fait que l'intéressé a fait l'objet de plusieurs mesures successives de placement en cellule disciplinaire ; qu'en l'espèce, si l'intéressé fait état, de manière générale, du climat anxiogène du quartier disciplinaire et de la violence psychologique résultant d'un placement prolongé sous ce régime, il n'invoque aucune circonstance propre à sa situation physique ou psychique de nature à caractériser une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que l'une des conditions exigées par l'article L. 521-2 pour suspendre la décision du 29 mars 2010 du président de la commission de discipline n'étant pas remplie, la demande de M. A ne peut qu'être rejetée ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'accorder, en application de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, l'admission provisoire de M. A à l'aide juridictionnelle ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article1er : L'intervention de la section française de l'Observatoire international des prisons est admise.

Article 2 : M. A est admis à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 3 : L'ordonnance en date du 8 avril 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon est annulée.

Article 4 : La demande présentée par M. A devant le juge des référés du tribunal administratif de Lyon est rejetée.

Article 5 : Les conclusions du MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée au MINISTRE D'ETAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, à M. A et à la section française de l'Observatoire international des prisons.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 338662
Date de la décision : 22/04/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE LA PROCÉDURE - VIOLATION - DÉLAI TROP COURT LAISSÉ À LA DÉFENSE POUR PRODUIRE UN MÉMOIRE OU ORGANISER UNE PRÉSENCE À L'AUDIENCE.

54-035-03 Un juge des référés a communiqué à la défense la demande et l'avis d'audience à 10h pour une audience fixée le même jour à 15h. En accordant un tel délai pour produire un mémoire ou organiser sa présence l'audience, alors qu'il ne s'agissait pas d'une situation d'urgence et qu'il était possible de fixer l'audience à une audience moins rapprochée, ce juge a méconnu le caractère contradictoire de la procédure.

PROCÉDURE - INSTRUCTION - CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE LA PROCÉDURE - COMMUNICATION DES MÉMOIRES ET PIÈCES - DÉLAIS INSUFFISANTS LAISSÉS À LA DÉFENSE - IRRÉGULARITÉ.

54-04-03-01 Un juge des référés a communiqué à la défense la demande et l'avis d'audience à 10h pour une audience fixée le même jour à 15h. En accordant un tel délai pour produire un mémoire ou organiser sa présence l'audience, alors qu'il ne s'agissait pas d'une situation d'urgence et qu'il était possible de fixer l'audience à une audience moins rapprochée, ce juge a méconnu le principe le caractère contradictoire de la procédure.

PROCÉDURE - JUGEMENTS - TENUE DES AUDIENCES - AVIS D'AUDIENCE - DÉLAIS INSUFFISANTS LAISSÉS À LA DÉFENSE - IRRÉGULARITÉ.

54-06-02-01 Un juge des référés a communiqué à la défense la demande et l'avis d'audience à 10h pour une audience fixée le même jour à 15h. En accordant un tel délai pour produire un mémoire ou organiser sa présence l'audience, alors qu'il ne s'agissait pas d'une situation d'urgence et qu'il était possible de fixer l'audience à une audience moins rapprochée, ce juge a méconnu le principe le caractère contradictoire de la procédure.


Publications
Proposition de citation : CE, 22 avr. 2010, n° 338662
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:338662.20100422
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