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05/05/2010 | FRANCE | N°308430

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 05 mai 2010, 308430


Vu le pourvoi du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE, enregistré le 10 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 7 juin 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, sur la requête de la SCI Agora Location, a annulé le jugement du 17 mars 2005 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes mises à

sa charge au titre de l'exercice 1994 et l'a déchargée des impositions e...

Vu le pourvoi du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE, enregistré le 10 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 7 juin 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, sur la requête de la SCI Agora Location, a annulé le jugement du 17 mars 2005 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes mises à sa charge au titre de l'exercice 1994 et l'a déchargée des impositions et pénalités en litige ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la SCI Agora Location ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Laugier, Caston, avocat de la SCI Agora Location,

- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Laugier, Caston, avocat de la SCI Agora Location ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société anonyme, devenue ensuite SCI Agora Location, qui exerçait l'activité de marchand de biens et dont M. A était administrateur et associé, l'administration fiscale a estimé que l'achat par cette société à M. A en 1994 d'une habitation située 40 rue du Château à Ferrette (Haut-Rhin) constituait un acte anormal de gestion, dans la mesure où le montant convenu, 2 950 000 F, excédait selon elle la valeur de ce bien, qu'elle a fixée, conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, à 2 000 000 F ; que la société anonyme Agora Location a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre, notamment, de l'exercice clos le 31 octobre 1994 ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 juin 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, faisant droit à un moyen soulevé par la société pour la première fois en appel, a annulé le jugement du 17 mars 2005 du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes mises à sa charge au titre de l'exercice clos le 31 octobre 1994 et l'a déchargée de ces cotisations et pénalités pour un montant de 59 794,47 euros (392 226 F) ;

Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : "Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration" ; que le paragraphe 5 du chapitre III de cette charte indique que : "Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal (...) Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur" ; que ces dispositions assurent au contribuable la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, puis, le cas échéant, dans un second temps, avec un fonctionnaire de l'administration fiscale de rang plus élevé ; que, si ces garanties doivent pouvoir être exercées par le contribuable dans des conditions ne conduisant pas à ce qu'elles soient privées d'effectivité, la circonstance que l'interlocuteur départemental ait participé à la séance de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires au cours de laquelle celle-ci s'est prononcée sur les redressements en litige, n'est pas, par elle-même, de nature à priver d'utilité le débat ultérieur entre ce fonctionnaire et le contribuable ; qu'en relevant seulement que le fonctionnaire désigné comme interlocuteur départemental avait participé à la séance de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires au cours de laquelle celle-ci s'était prononcée sur les redressements en litige et avait ainsi nécessairement pris parti sur les questions de fond dont il a eu à connaître dans son rôle d'interlocuteur départemental, pour en déduire que la société Agora Location n'avait pas bénéficié de toutes les garanties auxquelles elle avait droit en application de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, et que, par suite, la procédure contradictoire de redressement conduite à son encontre était entachée d'un vice substantiel, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit ; que le ministre est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il a été dit, la circonstance que le fonctionnaire désigné comme interlocuteur départemental ait participé à la séance de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires au cours de laquelle celle-ci s'était prononcée sur les redressements en litige, n'est pas, par elle-même, de nature à priver d'effectivité la garantie prévue par les dispositions précitées de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ;

Considérant, en second lieu, que l'administration a estimé que l'acquisition par la société requérante de l'habitation, résidence principale de M. A, située 40 rue du Château à Ferrette, constituait un acte anormal de gestion, dans la mesure où le montant convenu, 2 950 000 F, excédait selon elle la valeur de ce bien ; qu'après avoir estimé cette valeur à 1 200 000 F, l'administration a retenu une valeur de 2 000 000 F, pour tenir compte du fait qu'elle avait initialement pris en compte une surface habitable de 231 m², alors qu'elle avait été portée, à la suite de travaux réalisés par M. A, à presque 400 m² ; que la société requérante ne critique pas utilement la valeur vénale initialement retenue par l'administration, pour une habitation de 231 m² ; que, si elle soutient qu'il convient de prendre en compte des travaux d'aménagement intérieur, pour un montant de 680 000 F, elle n'apporte aucun élément précis sur la nature et la réalisation effective de ces travaux ; que l'estimation réalisée en janvier 1997 par un notaire ne peut être retenue pour apprécier la valeur vénale du bien en 1994 ; qu'enfin, si la société requérante soutient que la surestimation de la valeur vénale de l'habitation en cause dans le litige aurait été compensée par la minoration de la valeur d'autres actifs immobiliers que M. A lui a cédés à la même période, elle n'apporte, à supposer que cette affirmation soit exacte, aucun élément de nature à démontrer que ces opérations auraient été effectuées dans son intérêt ; que, par suite, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, que l'acquisition par la société Agora Location de l'immeuble en cause dans le litige constituait un acte anormal de gestion ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SCI Agora Location n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'elle attaque, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que demande la SCI Agora Location devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Nancy au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 7 juin 2007 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 2 : La requête présentée par la SCI Agora Location devant la cour administrative d'appel de Nancy, ainsi que ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT et à la SCI Agora Location.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 308430
Date de la décision : 05/05/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-01-02-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES. GÉNÉRALITÉS. RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT. CONTRÔLE FISCAL. VÉRIFICATION DE COMPTABILITÉ. GARANTIES ACCORDÉES AU CONTRIBUABLE. - RECOURS À L'INTERLOCUTEUR DÉPARTEMENTAL OU RÉGIONAL (ART. L. 10 DU LPF ET § 5 DU CHAPITRE III DE LA CHARTE DES DROITS ET OBLIGATIONS DU CONTRIBUABLE VÉRIFIÉ) - INTERLOCUTEUR AYANT PARTICIPÉ À LA SÉANCE DE LA COMMISSION DÉPARTEMENTALE AU COURS DE LAQUELLE LE DÉSACCORD OPPOSANT LE CONTRIBUABLE À L'ADMINISTRATION A ÉTÉ EXAMINÉ - IRRÉGULARITÉ - ABSENCE [RJ1].

19-01-03-01-02-03 Les dispositions de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales (LPF) et du paragraphe 5 du chapitre III de la charte du contribuable vérifié assurent au contribuable la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, puis, le cas échéant, dans un second temps, avec l'interlocuteur départemental, qui est un fonctionnaire de l'administration fiscale de rang plus élevé. Si ces garanties doivent pouvoir être exercées par le contribuable dans des conditions ne conduisant pas à ce qu'elles soient privées d'effectivité, la circonstance que l'interlocuteur départemental ait participé à la séance de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires au cours de laquelle celle-ci s'est prononcée sur les redressements en litige, n'est pas, par elle-même, de nature à priver d'utilité le débat ultérieur entre ce fonctionnaire et le contribuable.


Références :

[RJ1]

Inf. CAA Lyon, 10 novembre 2004, SA Cotton Club 21, n° 98LY00510, T. p. 649.

Rappr., s'agissant du recours au supérieur hiérarchique, 30 mars 2007, Sté TMUA, n° 271787, T. p. 778. Comp. Cass. com., 23 avril 2003, SCI Les Capucins, n° 00-19.539, Bull. civ. IV n° 61.


Publications
Proposition de citation : CE, 05 mai. 2010, n° 308430
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: Mme Karin Ciavaldini
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre
Avocat(s) : SCP LAUGIER, CASTON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:308430.20100505
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