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26/05/2010 | FRANCE | N°339214

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 26 mai 2010, 339214


Vu la requête, enregistrée le 4 mai 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentée pour Mme Yvette A, demeurant à ..., et pour Mme Jeannette A, demeurant ... ; les requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 21 avril 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande tendant à enjoindre au préfet de police de prendre toutes mesures nécessaires pour assurer l'exécution d'une or

donnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris du 1...

Vu la requête, enregistrée le 4 mai 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentée pour Mme Yvette A, demeurant à ..., et pour Mme Jeannette A, demeurant ... ; les requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 21 avril 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande tendant à enjoindre au préfet de police de prendre toutes mesures nécessaires pour assurer l'exécution d'une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris du 1er octobre 2008, devenue définitive, ordonnant l'expulsion de la S.A.R.L. Royal Hermel, locataire de l'immeuble à usage d'hôtel meublé dont elles sont propriétaires au 47, rue Hermel à Paris (75018), ainsi que de ses occupants, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

2°) d'enjoindre au préfet de police de prendre, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, toutes mesures nécessaires pour assurer l'exécution de la décision définitive et irrévocable du 1er octobre 2008, par laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a ordonné l'expulsion de la S.A.R.L. Royal Hermel, et celle de tous occupants de son chef des locaux leur appartenant et situés 47, rue Hermel à Paris (75018) ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elles soutiennent que l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'en refusant, à plusieurs reprises, alors qu'aucun trouble à l'ordre public n'est à craindre, d'accorder le concours de la force publique pour faire évacuer l'immeuble, au motif que rien ne permet d'affirmer que le relogement des intéressés est susceptible d'être assuré, le préfet de police a porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit de propriété et à son corollaire, la liberté de disposer d'un bien ; que les requérantes ont, dès le 30 août 2002, fait sommation à la société exploitante de réaliser les travaux d'entretien nécessaires afférents à la mise aux normes des installations électriques et de sécurité incendie ; que le préfet de police a refusé de prendre en compte, parmi les nécessités d'ordre public, la sécurité et la salubrité publique, qui s'opposent à ce que des personnes se maintiennent dans des locaux dangereux et insalubres ; que le juge des référés n'a pas caractérisé la gravité du trouble à l'ordre public ; qu'en effet, d'une part, les évacuations partielles à la suite d'un incendie d'origine électrique le 27 août 2009 n'ont provoqué aucun trouble à l'ordre public ; que, d'autre part, la ville de Paris a procédé au relogement de la plupart des familles affectées par l'incendie ; que le juge des référés a entériné, sans la contrôler, l'affirmation préfectorale selon laquelle il n'existait aucune possibilité de relogement pour les occupants ; qu'il ne pouvait se fonder sur le nombre des occupants ne bénéficiant pas de solution de relogement pour retenir l'existence d'un trouble à l'ordre public et justifier le refus de concours de la force publique ; que la situation actuelle présente un risque accru pour la sécurité des occupants, ainsi qu'en attestent les interdictions temporaires d'habiter prises par le préfet de police, la première, en date du 31 août 2009, relative au bâtiment sur rue, et la seconde, en date du 17 février 2010, portant sur l'ensemble des deux bâtiments ; que dans ces circonstances, l'urgence est caractérisée au regard de la menace sur la sécurité des occupants et des travaux de réhabilitation à engager ; que les conditions énoncées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2010, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que l'urgence particulière n'est pas caractérisée, dès lors que les requérantes ont elles-mêmes contribué au retard dans la mise en oeuvre du concours de la force publique ; que d'une part, la procédure d'expulsion par acte d'huissier n'a pas été respectée ; qu'en premier lieu, la résiliation judiciaire du bail commercial établi entre les requérantes et la S.A.R.L. Royal Hermel, n'ayant pas modifié la destination de l'immeuble à usage d'hôtel meublé, les contrats liant la société exploitante et les occupants ne sauraient être remis en cause ; qu'en second lieu, l'huissier aurait dû signifier le commandement de quitter les lieux aux occupants de l'hôtel ; qu'en dernier lieu, il appartenait aux requérantes, à l'extinction des effets de la décision du juge de l'exécution du 9 avril 2009, accordant un délai d'un an à la société hôtelière pour quitter l'immeuble, de solliciter à nouveau le concours de la force publique ; qu'il s'ensuit que la période de refus opposé par le préfet de police ne saurait être regardée comme déraisonnable, celle-ci ne datant que du 16 mars 2010 ; que, d'autre part, les requérantes n'ont pas réalisé les mesures de sécurisation exigées ; que si les requérantes font valoir l'existence d'une atteinte à leur droit de propriété, elles n'établissent pas le caractère grave et manifestement illégal de l'atteinte alléguée ; qu'en méconnaissance des dispositions combinées de l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 et de l'article 197 du décret du 31 juillet 1992, l'huissier de justice n'a pas signifié à chacun des occupants le commandement d'avoir à libérer les lieux et n'a pas envoyé au préfet de police copie dudit commandement ; qu'il n'est pas établi par les pièces versées au dossier l'existence d'une menace suffisamment grave et immédiate pesant sur la sécurité des occupants ; que la circonstance que l'évacuation partielle de l'immeuble à la suite de l'incendie survenu le 27 août 2009 n'a provoqué aucun trouble à l'ordre public n'est pas de nature à préjuger du bon déroulement d'une éventuelle expulsion ; qu'au contraire, des préoccupations d'ordre public découlent de la situation des personnes dont l'expulsion est demandée et pour lesquelles aucune solution de relogement même provisoire n'apparaît encore possible ; que de tels motifs d'ordre sanitaire et social peuvent légalement être invoqués par le préfet de police pour justifier le refus de concours de la force publique ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mmes A et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et le préfet de police ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 20 mai 2010 à 15 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Elisabeth Baraduc, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des requérantes ;

- Les représentants du ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier ainsi que des éléments recueillis au cours de l'audience que Mmes A ont renouvelé, le 6 avril 1994, en qualité de propriétaires indivises, le bail commercial établi avec la S.A.R.L. Royal Hermel pour l'exploitation de l'immeuble à usage d'hôtel meublé, comprenant soixante chambres réparties entre un bâtiment sur rue et un bâtiment sur cour ; que les propriétaires ont, dès le 30 août 2002, fait sommation à la société hôtelière d'effectuer les travaux d'entretien et de réaliser les mesures de sécurisation de l'immeuble ; que par ordonnance en date du 1er octobre 2008, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a ordonné l'expulsion de la S.A.R.L. Royal Hermel et de tous occupants de son chef des locaux qu'elle occupe 47, rue Hermel à Paris (75 018) avec l'aide, si nécessaire, de la force publique ; qu'après commandement infructueux par acte d'huissier, le préfet de police, saisi le 3 décembre 2008, a dans un premier temps, le 27 janvier 2009, accordé le concours de la force publique ; que dans un deuxième temps, le 13 mars 2009, le préfet de police est revenu sur sa décision, refusant d'accorder le concours de la force publique, au motif que, d'une part, l'établissement comporte une cinquantaine de chambres occupées par des familles et que, d'autre part, le commandement de quitter les lieux n'a pas été signifié aux occupants de l'hôtel ; qu'à la suite d'un incendie survenu le 27 août 2009, plusieurs arrêtés du préfet de police portant interdiction temporaire d'habiter l'hôtel Hermel ont été pris, le 31 août 2009 quant au bâtiment sur rue, et le 17 février 2010 quant à l'ensemble de l'immeuble ; que les requérantes ont reçu du préfet de police, par arrêté du 1er décembre 2009, injonction de réaliser les mesures de sécurité ; que par ordonnance en date du 21 avril 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de Mmes A présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de prendre toutes mesures nécessaires pour assurer l'exécution de l'ordonnance devenue définitive du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris en date du 1er octobre 2008 ;

Considérant qu'il incombe à l'autorité administrative d'assurer, en accordant au besoin le concours de la force publique, l'exécution des décisions de justice ; que le droit de propriété, qui constitue une liberté fondamentale, a pour corollaire la liberté de disposer d'un bien ; que le refus de concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision juridictionnelle ordonnant l'expulsion d'un immeuble porte atteinte à cette liberté fondamentale ; que les exigences de l'ordre public peuvent toutefois justifier légalement, tout en engageant la responsabilité de l'Etat sur le terrain de l'égalité devant les charges publiques, un refus de concours de la force publique ; qu'enfin, l'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonné à la condition qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention dans les quarante-huit heures d'une mesure destinée à la sauvegarde d'une liberté fondamentale ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des pièces du dossier que les requérantes, qui invoquent l'existence d'une atteinte à leur droit de propriété, font valoir que la situation actuelle présente un risque accru pour la sécurité des occupants, faute de réalisation, par la société exploitante, des travaux de réhabilitation de l'immeuble afférant à la mise aux normes des installations électriques et de sécurité incendie, et qu'il doit être tenu compte, parmi les nécessités d'ordre public, de la vétusté et de l'insalubrité de l'immeuble, qui s'opposent à ce que des personnes se maintiennent dans des locaux dangereux et insalubres, ainsi qu'en attestent les interdictions temporaires énoncées ci-dessus d'habiter l'hôtel Hermel prononcées par le préfet de police ; que toutefois, ces risques n'apparaissent pas, en l'état de l'instruction, d'une ampleur telle qu'ils justifieraient l'évacuation sans délai des occupants de l'immeuble ; qu'en effet, les pièces du dossier ne permettent pas de déterminer précisément l'origine de l'incendie survenu le 27 août 2009, lequel n'a concerné qu'une faible partie du bâtiment sur rue; que par ailleurs, il ressort des éléments apportés lors de l'audience que le service des architectes de sécurité de la préfecture de police, compétent pour traiter les questions de sécurité relatives aux bâtiments, contrôle étroitement, au moyen de visites régulières, l'état de dangerosité de l'immeuble sis 47, rue de Hermel à Paris, et qu'à la suite de la dernière visite récemment accomplie, celui-ci n'a pas constaté une aggravation des risques ;

Considérant, en second lieu, que le préfet fonde à titre principal l'argumentation qu'il développe devant le juge des référés pour justifier son refus de concours de la force publique, sur la circonstance que l'expulsion de 36 personnes, dont 20 enfants, pour lesquelles aucune solution de relogement même provisoire n'apparaît encore possible, serait de nature à créer de graves troubles à l'ordre public ; que la circonstance, invoquée par les requérantes, qu'à la suite de l'incendie du 27 août 2009, l'évacuation partielle de l'hôtel n'a provoqué aucun trouble à l'ordre public, n'est pas de nature à présager du bon déroulement d'une expulsion, opération de nature sensiblement différente; que de tels motifs pouvant être légalement invoqués pour justifier un refus de concours de la force publique, le refus du préfet ne peut être regardé comme entaché d'une illégalité grave et manifeste de nature à justifier l'application des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant enfin qu'il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par Mmes A au juge des référés du tribunal administratif de Paris tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de police, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'accorder le concours de la force publique à l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris du 1er octobre 2008, ne saurait, au vu des éléments ci-dessus rappelés, être regardée comme répondant à la condition d'urgence particulière qui s'attacherait à ce que soient prises dans des délais très brefs prévus par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, les mesures demandées ;

Considérant que la requête de Mmes A doit être rejetée, ensemble leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de Mmes A est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Yvette A et Mme Jeannette A, au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et au préfet de police.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 339214
Date de la décision : 26/05/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 mai. 2010, n° 339214
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Schilte
Rapporteur ?: M. André Schilte
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:339214.20100526
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