La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2010 | FRANCE | N°308166

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 09 juin 2010, 308166


Vu l'ordonnance du 1er août 2007, enregistrée le 3 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Nantes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour par M. et Mme A ;

Vu le pourvoi, enregistré le 9 août 2005 au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes, et le nouveau mémoire, enregistré le 7 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Bernard A, demeurant

... ; M. et Mme A demandent l'annulation du jugement du 31 mai 2005 p...

Vu l'ordonnance du 1er août 2007, enregistrée le 3 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Nantes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour par M. et Mme A ;

Vu le pourvoi, enregistré le 9 août 2005 au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes, et le nouveau mémoire, enregistré le 7 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Bernard A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent l'annulation du jugement du 31 mai 2005 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à leur verser la somme de 6 383,24 euros assortie des intérêts à compter du 26 mars 2002 en réparation du préjudice résultant du retard avec lequel le préfet de la Sarthe a instruit la demande d'autorisation d'exploiter des terres agricoles présentées par M. Jacques B, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le protocole n° 1 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code rural ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Didier, Pinet, avocat de M. et Mme A,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Didier, Pinet, avocat de M. et Mme A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Jacques B, agriculteur à Bonnétable, a, le 20 juin 2000, demandé au préfet de la Sarthe de l'autoriser à agrandir son exploitation en reprenant 94,26 ha de terres, dont 85,35 ha appartenant à ses parents, M. et Mme Bernard A, et mis en valeur par sa mère qui entendait cesser son activité à compter du 1er octobre 2000 ; que, par un arrêté du 10 août 2000, le préfet a refusé l'autorisation sollicitée au motif que toutes les possibilités d'installation sur l'exploitation de la cédante n'ont pas été explorées ; qu'une nouvelle demande présentée le 1er décembre 2000 a été rejetée pour le même motif par un arrêté du 22 février 2001 ; qu'à la suite de l'exercice d'un recours gracieux, le préfet a, le 25 avril 2001, accordé une autorisation provisoire qui a permis à l'intéressé de prendre les terres à bail à titre précaire à compter du 1er mai ; que, saisi d'une demande tendant à l'octroi d'une autorisation définitive, il y a fait droit par un arrêté du 31 octobre 2001, après avoir fait procéder par voie de presse à une publicité relative à la vacance des terres qui n'avait suscité aucune autre candidature ; que M. et Mme Bernard A ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 6 383, 24 euros en réparation du préjudice ayant résulté pour eux de l'impossibilité de donner leurs terres à bail entre le 1er octobre 2000 et le 1er mai 2001 ; qu'ils se pourvoient en cassation contre le jugement du 31 mai 2005 par lequel le tribunal a rejeté cette demande ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que, pour écarter le moyen invoqué par M. et Mme A à l'appui de leur demande d'indemnité, tiré de l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 10 août 2000, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur l'autorité de chose jugée s'attachant au rejet, par un jugement du 18 février 2003 confirmé par un arrêt du 21 décembre 2004 de la cour administrative d'appel de Nantes, du recours pour excès de pouvoir que M. Jacques B avait présenté à l'encontre de cet arrêté et au soutien duquel ses parents étaient intervenus ; que, toutefois, l'autorité relative de chose jugée dont ces décisions de rejet étaient revêtues ne faisait pas obstacle à ce que l'illégalité de l'arrêté préfectoral fût invoquée par M. et Mme A dans le cadre de leur recours indemnitaire, lequel n'avait pas le même objet que le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet arrêté ; que le jugement attaqué est par suite entaché d'une erreur de droit et doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 331-3 du code rural : L'autorité administrative, après avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture, se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. Elle doit notamment : (...) / 2° S'assurer, en cas d'agrandissement ou de réunion d'exploitations, que toutes les possibilités d'installation sur une exploitation viable ont été considérées (...) ; qu'aux termes de l'article R. 331-5 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : Le préfet dispose de quatre mois, à compter de la date d'enregistrement du dossier, pour consulter la commission départementale d'orientation de l'agriculture et statuer sur la demande. Toutefois, il peut, par décision motivée, prolonger ce délai jusqu'à six mois, à compter de la même date, si cela est nécessaire pour s'assurer que toutes les possibilités d'installation ont été considérées, que les candidatures prioritaires éventuelles ont pu être recensées (...) / Si la demande porte sur des biens d'une superficie supérieure à la moitié de l'unité de référence mentionnée à l'article L.312-5 et n'ayant pas fait l'objet au préalable d'une inscription sur le répertoire à l'installation mentionné à l'article L. 330-2, le service chargé de l'instruction fait procéder à la publication, dans un journal local au moins, de la localisation et de la superficie de ces biens ainsi que de l'identité des propriétaires ou de leurs mandataires. Il n'y est toutefois pas tenu si ces derniers ont déjà procédé à une telle publication ;

Considérant qu'en application des dispositions précitées, il appartenait au service compétent de faire procéder, dès l'enregistrement de la demande d'autorisation présentée par M. Jacques B le 20 juin 2000, à la publication d'un avis relatif à la vacance des terres sur lesquelles portait cette demande, dès lors que les propriétaires n'y avaient pas eux-mêmes procédé ; que, s'il estimait que le délai normal d'instruction de quatre mois n'était pas suffisant pour vérifier l'absence d'un projet de reprise bénéficiant d'une priorité, le préfet de la Sarthe devait mettre en oeuvre la faculté, prévue par les dispositions précitées de l'article R. 331-5 du code rural, de prolonger ce délai dans la limite de deux mois ; qu'en revanche, le préfet ne pouvait légalement, comme il l'a fait par son arrêté du 10 août 2000, refuser l'autorisation au motif que toutes les possibilités d'installation sur les terres de la cédante n'avaient pas été explorées ; que l'illégalité entachant cet arrêté est de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que les propriétaires des terres, qui n'étaient pas tenus de faire procéder eux-mêmes à une publicité de la vacance de leurs terres, n'ont pas, en s'en abstenant, commis une faute de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat à leur égard ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le refus d'autorisation opposé illégalement par le préfet le 10 août 2000 à M. Jacques B a eu pour conséquence directe, dans les circonstances de l'espèce, l'impossibilité pour M. et Mme Bernard A de percevoir des fermages entre le 1er octobre 2000, date à laquelle Mme A a cessé son activité, et le 1er mai 2001, date à laquelle les terres ont pu être données à bail ; que les propriétaires n'ont pu, pendant cette période, tirer des terres un revenu agricole compensant la perte des fermages ; qu'il sera fait une exacte appréciation du préjudice qu'ils ont subi en condamnant l'Etat à leur verser la somme de 6 383,24 euros qu'il demandent ; que M. et Mme A ont droit aux intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable d'indemnisation du 26 mars 2002 ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme A de la somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par eux devant le tribunal administratif et le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 31 mai 2005 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme Bernard A une indemnité de 6 383,24 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2002.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme Bernard A une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L .761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Bernard A et au ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 308166
Date de la décision : 09/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

03-03 AGRICULTURE, CHASSE ET PÊCHE. EXPLOITATIONS AGRICOLES. - CONTRÔLE DES STRUCTURES DES EXPLOITATIONS AGRICOLES - AGRANDISSEMENT D'EXPLOITATION AGRICOLE SOUMIS À AUTORISATION (ART. L. 331-2 ET L. 331-3 DU CODE RURAL) - PROCÉDURE D'INSTRUCTION DE LA DEMANDE D'AUTORISATION (ART. R. 331-5 DU MÊME CODE) - OBLIGATIONS PESANT SUR LE PRÉFET.

03-03 Il résulte du 2° de l'article L. 331-3 du code rural (devenu code rural et de la pêche maritime) que l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation d'agrandissement d'une exploitation agricole, doit s'assurer que toutes les possibilités d'installation sur une exploitation viable ont été considérées. Le préfet ne peut refuser l'autorisation sollicitée en se bornant à indiquer que toutes les possibilités d'installation sur les terres du cédant n'ont pas été explorées. Il lui appartient, en application de l'article R. 331-5 du même code, de faire procéder, dès l'enregistrement de la demande, à la publication d'un avis de vacance des terres en cause, dès lors que les propriétaires n'y ont pas eux-mêmes procédé, et, s'il l'estime nécessaire, de majorer, dans la limite de deux mois, le délai normal d'instruction de quatre mois, afin de procéder à cet examen et de vérifier l'absence d'un projet de reprise bénéficiant d'une priorité.


Publications
Proposition de citation : CE, 09 jui. 2010, n° 308166
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:308166.20100609
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award