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10/06/2010 | FRANCE | N°296591

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 10 juin 2010, 296591


Vu, avec les pièces qui y sont visées, la décision du 27 juin 2008 par laquelle le Conseil d'Etat a sursis à statuer sur le pourvoi présenté pour la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE, tendant à l'annulation de l'arrêt du 15 juin 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 3 avril 2003 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts de retard correspondants qui lui avaient été réclamés pour la période du 1er janvier au 31 décemb

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Vu, avec les pièces qui y sont visées, la décision du 27 juin 2008 par laquelle le Conseil d'Etat a sursis à statuer sur le pourvoi présenté pour la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE, tendant à l'annulation de l'arrêt du 15 juin 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 3 avril 2003 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts de retard correspondants qui lui avaient été réclamés pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1993, jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la question de savoir quels sont les critères à mettre en oeuvre pour déterminer si la reprographie est une livraison de biens ou une prestation de services ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;

Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 11 février 2010 (aff. C-88/09, Graphic Procédé) ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Auditeur,

- les observations de Me Haas, avocat de la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE,

- les conclusions de M. Laurent Olléon, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Haas, avocat de la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE ;

Considérant qu'aux termes de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1993, qui transpose en droit interne les dispositions des articles 2 §1, 5 §1 et 6 §1 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 : I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens meubles et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / II. 1° Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien meuble corporel comme un propriétaire (...) / IV. 1° Les opérations autres que celles qui sont définies au II (...) sont considérées comme des prestations de services ; qu'aux termes de l'article 269 du même code, qui transpose en droit interne l'article 10 de la même directive : 1. Le fait générateur de la taxe est constitué : a. Pour les livraisons et achats, par la délivrance des biens et, pour les prestations de services (...) par l'exécution des services (...) ; / 2. La taxe est exigible : a. Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 (...), lors de la réalisation du fait générateur ; (...) c. Pour les prestations de services (...), lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur autorisation du directeur des services fiscaux, d'après les débits (...) ;

Considérant que, dans l'arrêt du 11 février 2010 par lequel elle s'est prononcée sur la question dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 5, paragraphe 1, de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 doit être interprété en ce sens que l'activité de reprographie répond aux caractéristiques d'une livraison de biens dans la mesure où elle se limite à une simple opération de reproduction de documents sur des supports, le pouvoir de disposer de ceux-ci étant transféré du reprographe au client qui a commandé les copies de l'original, et qu'une telle activité doit être qualifiée toutefois de prestation de services, au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la même directive, lorsqu'il apparaît que celle-ci s'accompagne de prestations de services complémentaires susceptibles, eu égard à l'importance qu'elles revêtent pour leur destinataire, au temps que nécessite leur exécution, au traitement que requièrent les documents originaux et à la part du coût total que ces prestations de services représentent, de revêtir un caractère prédominant par rapport à l'opération de livraisons de biens, de sorte qu'elles constituent une fin en soi pour leur destinataire ;

Considérant qu'il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne qu'en se fondant, pour juger que l'activité de reprographie de documents exercée par la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE devait être regardée comme consistant en la livraison de biens meubles corporels, sur la prédominance des moyens matériels mis en oeuvre sur son activité créatrice propre, au lieu de rechercher si cette activité se limitait à de simples opérations de reproduction de documents sur des supports ou s'accompagnait de prestations de services complémentaires d'adaptation ou de modification des documents originaux et qui, par leur ampleur, revêtaient un caractère prédominant et constituaient une fin en soi pour leur destinataire, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur l'application de la loi fiscale :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'activité de la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE consiste principalement à reproduire sur des supports des documents originaux qui lui sont fournis par ses clients ; qu'elle ne s'accompagne pas de services complémentaires tels que le conseil et l'adaptation, la modification ou l'altération des originaux en fonction des souhaits des clients, dans le but de produire des copies différant plus ou moins sensiblement des documents originaux initialement fournis, et dont l'importance pour le commanditaire, l'ampleur du traitement effectué sur l'original, le temps nécessaire à leur exécution et la part que ces services représenteraient dans le coût total de la prestation seraient tels qu'ils conféreraient à ces prestations un caractère prédominant par rapport à la simple livraison des documents reproduits et constitueraient donc une fin en soi pour les clients ; que l'activité de reprographie de la société répond ainsi aux caractéristiques d'une livraison de biens ; que, par suite, l'administration fiscale a à bon droit estimé qu'en application de l'article 269 du code général des impôts, la taxe sur la valeur ajoutée était exigible au moment de la délivrance des produits ;

Sur l'application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. ;

Considérant que la documentation administrative de base référencée sous le n° 3 A 1111, dans sa version à jour au 1er mai 1992, prévoit que : (...) 16. La notion de série permet parfois utilement de distinguer la livraison de biens du service. Ainsi les photographes sont considérés comme des prestataires de services pour leurs travaux de photographies exécutés dans les conditions ordinaires de leur profession, c'est-à-dire lorsqu'ils réalisent des photographies en nombre limité sur commande de particuliers ou lorsqu'ils procèdent pour le compte de ces derniers au développement de surfaces sensibles impressionnées ou à des agrandissements. En revanche, ils effectuent des livraisons de biens quand ils produisent et vendent des articles marchands tels que cartes postales, portraits d'artistes ou de personnalités, cartes de voeux, etc..., en un grand nombre d'exemplaires. / 17. La reproduction par quelque procédé que ce soit de plans, dessins, etc... en un nombre limité d'exemplaires constitue une prestation de services. En revanche, le tirage d'un nombre important d'exemplaires procède d'une livraison de biens. / 18. La notion de série permet également d'opérer la distinction entre prestations de services et livraisons de biens en ce qui concerne les opérations portant sur les films ; que ces paragraphes n'autorisent pas un assujetti se livrant à une activité de reprographie comportant, selon les cas, un nombre limité ou important d'exemplaires, à déclarer et à acquitter la taxe sur la valeur ajoutée lors de l'encaissement des factures pour l'ensemble de son activité ; qu'il est constant que l'activité de la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE consiste à produire des copies de documents originaux en nombre limité ou en nombre important selon la demande des clients ; que toutefois la société a appliqué à l'ensemble de son activité le régime d'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée afférent aux prestations de services ; que dès lors, et en tout état de cause, elle ne peut soutenir ni qu'elle a appliqué le texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître, ni que la cause du rehaussement litigieux procède d'un différend sur une interprétation de la loi fiscale que l'administration aurait formellement admise, y compris pour la part du redressement correspondant aux factures que la société a versées dans l'instance et qui concernent des tirages de faible importance ;

Sur la demande de compensation :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales : Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition ; que la compensation en matière de taxes sur le chiffre d'affaires doit s'effectuer entre impositions dues et payées au cours de la période d'imposition couverte par l'avis de mise en recouvrement en litige ; que si, dans le dernier état de ses écritures, la société requérante se prévaut de la circonstance qu'elle a, dans l'attente de l'issue de la procédure administrative, spontanément acquitté, en 1994, la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à l'encaissement du prix des opérations effectuées en 1993 et qu'elle a regardées comme des prestations de services, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés par l'administration au titre de ces opérations correspondant à des livraisons de biens comptabilisées dans les comptes clients de l'exercice clos le 31 décembre 1993 et non encore encaissées, il est constant que la période concernée par l'avis de mise en recouvrement s'étend du 1er janvier au 31 décembre 1993 ; qu'il suit de là qu'elle ne peut demander le bénéfice de la compensation prévue par ces dispositions du livre des procédures fiscales ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 3 avril 2003, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions en litige ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 15 juin 2006 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : La requête présentée par la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE devant la cour administrative d'appel de Paris et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE GRAPHIC PROCEDE et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat.

Copie en sera adressée au président de la Cour de justice de l'Union européenne.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 10 jui. 2010, n° 296591
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: Mme Emmanuelle Mignon
Rapporteur public ?: M. Olléon Laurent
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Date de la décision : 10/06/2010
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 296591
Numéro NOR : CETATEXT000022364528 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2010-06-10;296591 ?
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