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14/06/2010 | FRANCE | N°320630

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 14 juin 2010, 320630


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 septembre et 5 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Tatien A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 15 octobre 2007 par laquelle la Commission des recours des réfugiés a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 octobre 2003 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'admission au statut de réfugié ;

2°) de mettre à la charge

de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides la somme de 2 000 eu...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 septembre et 5 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Tatien A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 15 octobre 2007 par laquelle la Commission des recours des réfugiés a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 octobre 2003 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'admission au statut de réfugié ;

2°) de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 février 2010, présentée pour l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole de New-York du 31 janvier 1967 ;

Vu la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 et les statuts du Tribunal pénal international pour le Rwanda ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gilles Pellissier, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de M. A et de Me Foussard, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides,

- les conclusions de M. Julien Boucher, Rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Monod, Colin, avocat de M. A et à Me Foussard, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

Considérant que, par une décision du 22 octobre 2003, le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté la demande de M. A, ressortissant rwandais qui avait poursuivi son commerce de vente de bière à Gisanyi durant les premiers mois du génocide, tendant à la reconnaissance de la qualité de réfugié, au motif qu'il existait de sérieuses raisons de penser qu'il s'était rendu personnellement coupable de complicité dans le génocide commis au Rwanda en 1994 ; que, par une décision du 15 octobre 2007, la Commission des recours des réfugiés a confirmé cette décision ; que M. A demande l'annulation de cette décision ;

Considérant qu'aux termes du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés : Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes (...) ; que l'article III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 punit le génocide et la complicité dans le génocide ; que le complice est celui qui, sciemment, a, par ses agissements, contribué à la préparation ou à la réalisation du crime ou en a facilité la commission ;

Considérant, d'une part, que pour juger que M. A s'était rendu complice du génocide perpétré au Rwanda en 1994, la commission s'est bornée à rappeler qu'alors que le gouvernement intérimaire avait encouragé la livraison de bière aux milices et aux groupes militaires pour soutenir l'effort de guerre, il avait poursuivi son activité de vente de bière pendant trois mois dans une région contrôlée par les auteurs du génocide, sans rechercher ni donc établir les raisons sérieuses qui permettaient, autrement que par déduction du contexte dans lequel elle se déroulait, de penser qu'en raison de l'ampleur de cette activité, ou de ses destinataires, ou des relations avec les autorités ou avec les acteurs du génocide qui avaient effectivement été nécessaires à sa poursuite, ou des circonstances précises dans lesquelles les transactions étaient intervenues, M. A pouvait être personnellement regardé comme ayant contribué à ou facilité l'exécution du génocide ; que, d'autre part, si la connaissance qu'un individu peut avoir des conséquences de ses agissements sur la réalisation d'un crime est de nature à donner de sérieuses raisons de penser qu'il s'en est sciemment rendu complice, la commission n'a déduit que de la seule position sociale et économique de l'intéressé qu'il ne pouvait ignorer l'utilisation qui était faite de la bière qu'il vendait, sans préciser en quoi cette position lui donnait effectivement une connaissance personnelle suffisamment exacte des conséquences de la poursuite de son activité sur le génocide qui se perpétrait durant la même période, permettant de considérer qu'il avait sciemment décidé d'y prêter son concours ; que dans cette double mesure, la commission, qui, si elle n'est pas tenue d'établir la culpabilité des demandeurs, est néanmoins dans l'obligation d'établir les raisons sérieuses la conduisant à mettre en oeuvre la clause d'exclusion de l'article 1 F, a, faute d'établir les éléments matériels et intentionnels spécifiques à la complicité qu'elle entendait relever, commis une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le versement à M. A de la somme de 2 000 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : La décision de la Commission des recours des réfugiés du 15 octobre 2007 est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la Cour nationale du droit d'asile.

Article 3 : L'Office français de protection des réfugiés et apatrides versera à M. A une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Tatien A et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 320630
Date de la décision : 14/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

335-05-01-02 ÉTRANGERS. RÉFUGIÉS ET APATRIDES. QUALITÉ DE RÉFUGIÉ OU D'APATRIDE. ABSENCE. - RÉFUGIÉ - COMPORTEMENT EXCLUANT LE BÉNÉFICE DE LA PROTECTION (ART. 1 F DE LA CONVENTION DE GENÈVE) - CRIME CONTRE LA PAIX, CRIME DE GUERRE OU CRIME CONTRE L'HUMANITÉ (ART. 1 F, A) DE LA CONVENTION) - COMPLICITÉ D'UN DE CES CRIMES - COMPORTEMENT EXCLUANT ÉGALEMENT LE BÉNÉFICE DE LA PROTECTION - NOTION.

335-05-01-02 Le a) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés exclut du bénéfice de la protection qu'elle institue les personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser (…) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes. L'article III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 punit le génocide et la complicité dans le génocide. Le complice est celui qui, sciemment, a, par ses agissements, contribué à la préparation ou à la réalisation du crime ou en a facilité la commission. Pour opposer les stipulations de l'article 1, F, a) de la convention de Genève à un demandeur d'asile soupçonné de s'être rendu complice d'un des crimes qu'elles mentionnent, il y a lieu de rechercher et d'établir les raisons sérieuses qui permettent, autrement que par déduction du contexte dans lequel il a agi, et sur la base d'éléments matériels et intentionnels spécifiques, de le regarder personnellement comme ayant contribué à ou facilité l'exécution de ce crime. La connaissance qu'un individu peut avoir des conséquences de ses agissements sur la réalisation d'un crime est de nature à donner de sérieuses raisons de penser qu'il s'en est sciemment rendu complice.


Publications
Proposition de citation : CE, 14 jui. 2010, n° 320630
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Gilles Pellissier
Rapporteur public ?: M. Boucher Julien
Avocat(s) : SCP MONOD, COLIN ; FOUSSARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:320630.20100614
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