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01/07/2010 | FRANCE | N°309363

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 01 juillet 2010, 309363


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 septembre et 12 décembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Scott B, demeurant ... et Mme Frédérique A épouse B, demeurant ... ; M. et Mme B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 3 juillet 2007 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'après avoir jugé que leur domicile fiscal n'avait été fixé en France qu'à compter du 1er juillet 1994 et prononcé la décharge de l'impôt sur le revenu au titre de la période du 1er janvier au 30 ju

in 1994, correspondant au montant des traitements et salaires perçus pendan...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 septembre et 12 décembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Scott B, demeurant ... et Mme Frédérique A épouse B, demeurant ... ; M. et Mme B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 3 juillet 2007 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'après avoir jugé que leur domicile fiscal n'avait été fixé en France qu'à compter du 1er juillet 1994 et prononcé la décharge de l'impôt sur le revenu au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 1994, correspondant au montant des traitements et salaires perçus pendant cette période, ainsi qu'à la somme de 43 645 F (6 653,64 euros) imposée en tant que revenu d'origine indéterminée, la cour a rejeté le surplus des conclusions de leur requête tendant à la réformation du jugement du 9 juin 2005 par lequel le tribunal administratif de Melun n'a que partiellement fait droit à leur demande visant à obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1993, 1994 et 1995 et des pénalités correspondantes ;

2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer la décharge des impositions et des pénalités en litige ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 avril 2010, présentée pour M. B et Mme A ;

Vu la convention entre la France et l'Irlande du 21 mars 1968 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benoit Bohnert, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. B et de Mme A épouse B,

- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. B et de Mme A épouse B ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme B ont fait l'objet en 1996 d'un examen d'ensemble de leur situation fiscale personnelle au titre des années 1993 à 1995 ; que dans le cadre de cette procédure de contrôle, l'administration fiscale a adressé aux contribuables, sur le fondement des dispositions de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, des demandes de justifications et d'éclaircissements sur l'origine de sommes créditées sur leurs comptes bancaires français au cours de cette période puis, estimant que les réponses apportées n'étaient pas suffisantes, a procédé à leur taxation d'office sur le fondement des dispositions de l'article L. 69 du même livre ; qu'en outre, se fondant sur les constatations opérées par le service des douanes du Léman dans le cadre d'un procès-verbal établi le 3 juin 1994, aux termes desquelles M. B a été trouvé en possession, à cette même date lors de son entrée sur le territoire français, de sommes et chèques d'une valeur totale de 1 050 000 F, l'administration, estimant que les contribuables n'avaient pas apporté de justifications sur l'origine de ces sommes, a fait application de la présomption d'existence d'un revenu imposable en France prévue par les dispositions de l'article 1649 quater A du code général des impôts et les a taxées d'office à l'impôt sur le revenu ; que M. et Mme B ont contesté devant la juridiction administrative les redressements qui leur ont été assignés à la suite de cette procédure de contrôle ; qu'ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 3 juillet 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir jugé que leur domicile fiscal n'avait été fixé en France qu'à compter du 1er juillet 1994 et prononcé en conséquence la décharge de l'impôt sur le revenu au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 1994 correspondant au montant des traitements et salaires perçus pendant cette période, ainsi qu'à la somme de 43 645 F (6 653,64 euros) créditée sur leurs comptes bancaires pendant cette période et imposée en tant que revenu d'origine indéterminée, a rejeté le surplus des conclusions de leur requête tendant à la réformation du jugement du 9 juin 2005 par lequel le tribunal administratif de Melun n'avait que partiellement fait droit à leur demande tendant à obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils avaient été assujettis au titre des années 1993, 1994 et 1995 ainsi que des pénalités correspondantes ;

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

Considérant qu'après avoir jugé que M. et Mme B devaient être regardés comme ayant transféré leur domicile fiscal d'Irlande en France à la date du 1er juillet 1994, la cour administrative d'appel de Paris en a déduit que les salaires ou traitements qu'ils avaient perçus n'étaient imposables à l'impôt sur le revenu en France qu'à compter de cette date ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les conclusions des époux B tendant à la réduction de leur bases d'imposition au titre de 1994 en conséquence de la fixation de leur domicile fiscal en France à la date du 1er juillet de cette même année se limitaient à la mention d'une somme de 43 645 F (6 653,64 euros) créditée sur un de leurs comptes bancaires ouverts en France le 28 avril 1994 et qui avait été imposée par l'administration en tant que revenu d'origine indéterminée, sans faire état d'autres sommes créditées pendant la période du 1er janvier au 30 juin 1994 sur leurs autre comptes ouverts en France et qui auraient été comprises à tort dans les bases imposables de l'année 1994 telles que reconstituées par le vérificateur ; que, s'agissant de la taxe foncière afférente à l'année 1993, les requérants, qui n'ont jamais demandé devant les juges du fond la décharge de cette taxe, se sont bornés à soutenir en appel que l'administration devait être en mesure d'établir par elle-même si elle avait été effectivement acquittée et pouvait, de ce fait, être admise en déduction des revenus fonciers de l'année 1993 ; que dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la cour, en limitant la réduction de la base imposable à hauteur des traitements ou salaires perçus du 1er janvier 1994 au 30 juin 1994 ainsi que de la seule somme de 43 645 F (6 653,64 euros) et en jugeant que les requérants, auxquels la charge de la preuve incombait, n'établissaient pas le bien-fondé du caractère déductible de la taxe foncière qu'ils soutenaient avoir acquittée, n'aurait pas statué sur l'ensemble des conclusions dont elle était saisie ni suffisamment motivé son arrêt doit être écarté ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. et Mme B n'ont pas mentionné, au titre de leurs conclusions d'appel tendant à la réduction des bases imposables pour l'année 1994, les sommes portées au crédit de leurs comptes bancaires les 15 et 16 février 1994 et imposées dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée ; qu'il suit de là que ne peuvent qu'être écartés les moyens tirés de ce qu'en limitant la réduction de la base imposable à l'impôt sur le revenu à la somme de 43 645 F (6 653,64 euros) et en maintenant à leur charge le surplus des redressements qui leur ont été assignés au titre des revenus d'origine indéterminée perçus au cours de la période du 1er janvier au 30 juin 1994, la cour n'aurait pas tiré les conséquences fiscales de ses propres constatations relatives à l'établissement de leur domicile fiscal en France à compter du 1er juillet 1994 et aurait méconnu les dispositions des articles 4 A et 4 B du code général des impôts ainsi que les stipulations de l'article 20 de la convention fiscale franco-irlandaise du 21 mars 1968 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leur revenus. / Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française ; que selon l'article 166 du même code : Lorsqu'un contribuable précédemment domicilié à l'étranger transfère son domicile en France, les revenus dont l'imposition est entraînée par l'établissement du domicile en France ne sont comptés que du jour de cet établissement ; qu'aux termes de l'article 1649 quater A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 1994 : Les personnes physiques qui transfèrent vers l'étranger ou en provenance de l'étranger des sommes, titres ou valeurs, sans l'intermédiaire d'un organisme soumis à la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, ou d'un organisme cité à l'article 8 de ladite loi, doivent en faire la déclaration dans des conditions fixées par décret. / Une déclaration est établie pour chaque transfert à l'exclusion des transferts dont le montant est inférieur à 50 000 F. / Les sommes, titres ou valeurs transférés vers l'étranger ou en provenance de l'étranger constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables lorsque le contribuable n'a pas rempli les obligations prévues aux alinéas précédents ; qu'il résulte de l'ensemble des dispositions qui précèdent que les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France ne peuvent être imposées en France que pour leurs revenus de source française et non pour les sommes qu'elles transfèrent en France depuis l'étranger ou de France vers l'étranger ; que par suite, en jugeant que la présomption d'existence de revenus imposables en France instituée par les dispositions du troisième alinéa de l'article 1649 quater A s'applique à toute personne physique, qu'elle soit ou non domiciliée en France au sens de l'article 4 A du code général des impôts, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ;

Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 1729 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date des infractions : Lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie (...) ;

Considérant que la cour administrative d'appel de Paris a relevé, d'une part, que les requérants ne pouvaient ignorer l'obligation de déclarer l'ensemble de leurs revenus et d'autre part, qu'ils se sont abstenus de répondre aux demandes réitérées de production des comptes bancaires et de justifications formulées par l'administration ; qu'en estimant que les omissions relevées au titre des déclarations portant sur les revenus des années 1993 et 1995 présentaient un caractère répétitif traduisant une intention délibérée, la cour administrative d'appel a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine non susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ; qu'en déduisant de ces constatations que l'administration devait être regardée comme apportant la preuve de l'absence de bonne foi des contribuables et avait pu légalement assortir les redressements de la pénalité prévue à l'article 1729 précité du code général des impôts, la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant seulement qu'il a rejeté leurs conclusions relatives à la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à leur charge au titre de l'année 1994 sur le fondement des dispositions de l'article 1649 quater A du code général des impôts et aux pénalités correspondantes ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la mesure de l'annulation prononcée ci-dessus, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que, dès lors que les requérants doivent être regardés comme ayant transféré leur domicile fiscal d'Irlande en France à partir du 1er juillet 1994, il en résulte qu'en application des dispositions précitées de l'article 4 A du code général des impôts, ils n'étaient soumis à une obligation fiscale illimitée en France qu'à compter de cette date ; que s'il ressort des constatations opérées par le service des douanes du Léman que, lors de son entrée sur le territoire français le 3 juin 1994, M. B était en possession d'une somme de 200 000 F en espèces et de deux chèques d'une valeur respective de 650 000 F et 200 000 F, le ministre ne produit aucun élément de nature à établir que les sommes en litige se rattacheraient à des revenus de source française acquis préalablement au transfert de leur domicile fiscal en France et que les intéressés auraient omis de déclarer ; qu'il suit de là que l'administration fiscale n'était pas fondée à inclure ces sommes dans l'assiette de l'impôt sur le revenu établi au nom de M. et Mme B au titre de l'année 1994 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 9 juin 2005, le tribunal administratif de Melun a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu qui leur a été assignée au titre des sommes mentionnées sur le procès-verbal douanier établi le 3 juin 1994 et des pénalités correspondantes ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme B d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 3 juillet 2007 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. et Mme B relatives à la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à leur charge au titre de l'année 1994 sur le fondement des dispositions de l'article 1649 quater A du code général des impôts et aux pénalités correspondantes.

Article 2 : M. et Mme B sont déchargés de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à leur charge au titre de l'année 1994 sur le fondement des dispositions de l'article 1649 quater A du code général des impôts et des pénalités correspondantes.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 9 juin 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme B la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. et Mme B est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Scott B, à Mme Frédérique A épouse B et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 309363
Date de la décision : 01/07/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-03-01 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. RÈGLES GÉNÉRALES. IMPÔT SUR LE REVENU. DÉTERMINATION DU REVENU IMPOSABLE. REVENUS À LA DISPOSITION. - TRANSFERT DE VALEURS DEPUIS OU VERS L'ÉTRANGER EN MÉCONNAISSANCE DES OBLIGATIONS DÉCLARATIVES PARTICULIÈRES APPLICABLES - PRÉSOMPTION DE REVENU (ART. 1649 QUATER A DU CGI) - COMBINAISON NÉCESSAIRE AVEC LES RÈGLES RELATIVES À LA TERRITORIALITÉ DE L'IMPÔT - ABSENCE DE PRÉSOMPTION DE REVENUS DE SOURCE FRANÇAISE [RJ1].

19-04-01-02-03-01 Il résulte des dispositions des articles 4 A, 166 et 1649 quater A du code général des impôts (CGI) que les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France ne peuvent être imposées en France que pour leurs revenus de source française et non pour les sommes qu'elles transfèrent en France depuis l'étranger ou de France vers l'étranger. Par suite, commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que la présomption d'existence de revenus instituée par les dispositions de l'article 1649 quater A s'applique à toute personne physique, qu'elle soit ou non domiciliée en France au sens de l'article 4 A du CGI.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant de la possibilité d'imposer en France des revenus d'origine indéterminée d'une personne ne résidant pas fiscalement en France, 4 décembre 1985, Bauchet, n° 43383, T. p. 580.


Publications
Proposition de citation : CE, 01 jui. 2010, n° 309363
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Benoit Bohnert
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:309363.20100701
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