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09/07/2010 | FRANCE | N°301411

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 09 juillet 2010, 301411


Vu le pourvoi du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE, enregistré le 9 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 14 décembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel formé par la SARL Précis tendant à l'annulation du jugement du 2 juin 2004 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercice

s 1992 à 1994, d'une part, annulé ce jugement, d'autre part, déchargé ...

Vu le pourvoi du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE, enregistré le 9 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 14 décembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel formé par la SARL Précis tendant à l'annulation du jugement du 2 juin 2004 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 1992 à 1994, d'une part, annulé ce jugement, d'autre part, déchargé la société de ces cotisations supplémentaires ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la SARL Précis devant la cour administrative d'appel de Paris, en tant qu'il porte sur les impositions supplémentaires au titre des exercices clos en 1992 et 1993 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, Corlay, avocat de la SARL Précis,

- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Tiffreau, Corlay, avocat de la SARL Précis ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SARL Précis a amorti un bien immobilier situé 25 rue Franklin à Paris (16ème), dont elle était propriétaire depuis le 10 janvier 1989 et qui était inscrit à son actif immobilisé, selon le mode linéaire et au taux annuel de deux pour cent ; que, dans le cadre d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices 1992 à 1994, le vérificateur, sans remettre en cause la valeur pour laquelle ce bien était inscrit au bilan de la société ni le taux de l'amortissement pratiqué, a estimé que la société n'était pas en droit de l'amortir pour la totalité de cette valeur, dès lors que celle-ci incluait le prix du terrain, non amortissable ; qu'après avoir évalué à trente pour cent la part représentative du terrain d'assise dans la valeur pour laquelle le bien a été inscrit au bilan, il a assujetti la SARL Précis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des trois exercices vérifiés, en conséquence de la reprise partielle des amortissements résultant de l'exclusion de la valeur du terrain de la base amortissable ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 décembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur l'appel formé par la SARL Précis tendant à l'annulation du jugement du 2 juin 2004 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires mentionnées ci-dessus, annulé ce jugement et déchargé la société de ces cotisations supplémentaires ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi ;

Considérant qu'après avoir jugé que la SARL Précis n'était pas en droit d'inclure dans les amortissements qu'elle avait pratiqués la valeur correspondant à la fraction du terrain d'assiette affectée au bien immobilier concerné et seulement estimé que la société était fondée à soutenir que l'administration avait surévalué la part représentative du terrain d'assiette dans la valeur pour laquelle ce bien avait été inscrit au bilan, la cour administrative d'appel a accordé à la société la décharge intégrale des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui avaient été mises à sa charge à la suite de la remise en cause partielle des amortissements pratiqués au titre des exercices 1992 à 1994 à raison de ce bien ; qu'elle a ainsi entaché son arrêt d'une contradiction de motifs ; que, par suite, le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE est fondé à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société requérante, le jugement est suffisamment motivé ;

Sur le fond :

En ce qui concerne la régularité de la procédure de redressement :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ; que, dès lors qu'elle mentionnait les dispositions du 2° du 1 de l'article 39 du code général des impôts et les années d'imposition concernées, et comportait l'ensemble des éléments de droit et de fait sur lesquels le vérificateur s'est fondé, la notification de redressement adressée le 30 juin 1995 à la SARL Précis était suffisamment motivée ;

Considérant, en second lieu, que si la société soutient que les éléments sur lesquels le vérificateur s'est fondé pour déterminer la fraction non amortissable de la valeur du terrain d'assiette ne lui ont pas été transmis, il ressort des pièces du dossier, et notamment des observations adressées par cette société le 26 juillet 1995 à l'administration sur la notification de redressement, qu'elle s'est bornée à critiquer la méthode de calcul du vérificateur, sans demander à ce que ces éléments lui soient communiqués ; que, contrairement à ce qu'elle soutient, l'administration n'était pas tenue de lui communiquer ces éléments d'elle-même, en l'absence de toute demande de sa part ;

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions en litige :

Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts : 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...), notamment : (...) 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation (...) ; qu'il résulte de ces dispositions, ainsi qu'il est rappelé à l'article 38 sexies de l'annexe III au même code, que les immobilisations qui ne se déprécient pas avec le temps, comme les terrains, ne donnent pas lieu à amortissement ; qu'il en est ainsi des terrains d'assiette des immeubles bâtis, même si ces derniers occupent toute la superficie de ces terrains et n'ont pas vocation à être cédés en vue d'une reconstruction ;

Considérant, en premier lieu, que si la société requérante critique le bien-fondé des redressements qui lui ont été notifiés en invoquant le bénéfice de la suppression de la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, au motif qu'elle s'est vue redresser à raison de la réintégration d'une quote-part d'amortissements afférents à une période prescrite, il est constant que l'administration n'a pas modifié la valeur d'inscription au bilan du bien en cause ; que le moyen soulevé est donc inopérant pour contester le fait que l'administration, dans le cadre d'une vérification de comptabilité portant sur un exercice postérieur non prescrit, ait rectifié les écritures relatives à l'amortissement de ce bien ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que la SARL Précis a amorti, au cours des années 1992 et 1993, l'appartement situé 25 rue Franklin à Paris (16ème) sur la base de la totalité du prix d'achat de ce bien, sans opérer de réfaction pour tenir compte de la valeur du terrain d'assiette qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ne pouvait donner lieu à amortissement ; que, dès lors, l'administration fiscale était fondée à procéder à la réintégration de la fraction des amortissements portant sur la valeur de ce terrain dans les bases de l'impôt sur les sociétés de la SARL Précis ;

Considérant, toutefois, qu'il ressort de la notification de redressement du 30 juin 1995 et de la réponse aux observations du contribuable du 31 août 1995 que, pour déterminer la valeur de la part non amortissable représentant la valeur du terrain, le vérificateur s'est fondé, d'une part, sur une étude de la direction des services fonciers de Paris de la direction générale des impôts, dont il résulte que les prix des terrains et des appartements situés dans le 16ème arrondissement de Paris s'étaient respectivement élevés à 77 000 F et 28 000 F par mètre carré au cours de l'année 1990 et, d'autre part, en tenant compte des caractéristiques intrinsèques de l'immeuble dont il s'agit, qui comporte neuf étages, sur un coefficient d'occupation des sols estimé à 7 ; que sur la base de ces éléments, il a déterminé un rapport entre le prix du terrain et le prix de l'appartement qui s'établit à 39,68 pour cent, ramené à 30 pour cent pour tenir compte de l'absence de données statistiques fiables relatives à l'année d'acquisition du bien ; que la société requérante ne peut utilement soutenir que l'évaluation d'un bien doit reposer sur des termes de comparaison provenant exclusivement de transactions réalisées au cours de l'année correspondant à celle du fait générateur de l'impôt, dès lors que, d'une part, l'administration n'a pas entendu remettre en cause la valeur vénale d'achat du bien concerné et, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction qu'en se plaçant en 1990, le service a entendu retenir des données statistiques plus fiables que celles dont il disposait au titre de l'année 1989 ; que, cependant, le mode d'évaluation retenu par l'administration, qui se fonde sur des estimations moyennes de prix à partir de transactions effectuées dans l'ensemble de l'arrondissement ainsi que sur un coefficient d'occupation des sols dont le calcul n'est pas justifié, ne prend en compte ni la spécificité du bien, ni la localisation précise du terrain, et conduit à une estimation manifestement excessive du pourcentage représentatif de la valeur du terrain qu'il y avait lieu de soustraire de la base d'amortissement du bien ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE soutient dans ses écritures devant le Conseil d'Etat, dans la perspective d'un règlement au fond de l'affaire, que ce pourcentage ne saurait être inférieur à 10 pour cent, soit le taux proposé par la SARL Précis dans ses observations du 26 juillet 1995 ; que, dans ces conditions, l'administration ne peut être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, que la part représentative de la valeur du terrain devrait être fixée à une valeur supérieure à 10 pour cent ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Précis est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'elle attaque, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des impositions contestées pour la fraction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondant à la différence entre la base d'amortissement retenue par l'administration et celle résultant de la fixation à 10 pour cent de la part de la valeur représentative du terrain d'assise ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SARL Précis de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle pour l'ensemble de la procédure et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 14 décembre 2006 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : La base d'imposition à l'impôt sur les sociétés de la SARL Précis au titre des exercices clos en 1992 et 1993 est calculée en retenant un amortissement du bien situé 25 rue Franklin à Paris (16ème) sur la base de 90 pour cent du prix d'achat de ce bien.

Article 3 : La SARL Précis est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1992 et 1993, à hauteur de la différence entre les cotisations supplémentaires qui ont été mises à sa charge et celles résultant de la fixation de la base d'imposition conformément à l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : L'Etat versera à la SARL Précis une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le jugement du 2 juin 2004 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 6 : Le surplus des conclusions présentées par la SARL Précis devant la cour administrative d'appel de Paris est rejeté.

Article 7 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT et à la SARL Précis.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 301411
Date de la décision : 09/07/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 jui. 2010, n° 301411
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jouguelet
Rapporteur ?: Mme Karin Ciavaldini
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre
Avocat(s) : SCP TIFFREAU, CORLAY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:301411.20100709
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