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19/07/2010 | FRANCE | N°314054

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 19 juillet 2010, 314054


Vu le pourvoi du MINISTRE DE LA DEFENSE, enregistré le 10 mars 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 20 décembre 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté la demande formulée le 2 décembre 2001 par Mme Khadra A née C veuve D A et M. Mustapha A, en tant qu'elle concerne la pension de réversion de la pension militaire de retraire de M. D A, pour la période postérieure au 1er janvier 1997 et, d'autr

e part, enjoint au ministre du budget, des comptes publics ...

Vu le pourvoi du MINISTRE DE LA DEFENSE, enregistré le 10 mars 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 20 décembre 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté la demande formulée le 2 décembre 2001 par Mme Khadra A née C veuve D A et M. Mustapha A, en tant qu'elle concerne la pension de réversion de la pension militaire de retraire de M. D A, pour la période postérieure au 1er janvier 1997 et, d'autre part, enjoint au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique de procéder à la revalorisation de la pension de réversion pour la période postérieure au 1er janvier 1997 et au versement des arrérages sous déduction des sommes versées au titre de ladite période ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu l'article 116 de la loi du 16 avril 1930 et l'article 85 de la loi du 28 février 1933 ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

Vu le décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cytermann, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Ghestin, avocat de Mme Khadra A et de M. Mustapha A,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Ghestin, avocat de Mme Khadra A et de M. Mustapha A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. D A, de nationalité algérienne, ayant servi dans l'armée française jusqu'en 1944, est décédé le 8 janvier 1982 ; que le 2 décembre 2001, Mme Khadra A, sa veuve, et M. Mustapha A, son fils, ont demandé au Premier ministre, pour ce qui concerne Mme Khadra A, le bénéfice d'une pension de réversion au taux applicable aux ressortissants français, et pour ce qui concerne M. Mustapha A, en tant qu'héritier de M. D A, le montant de la créance que possédait son père sur l'Etat français au moment du décès, avec intérêts moratoires capitalisés ; que Mme Khadra A et M. Mustapha A ont saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande d'annulation du refus implicite opposé à leur demande ; que par un arrêté du 14 novembre 2005, le ministre chargé du budget a accordé à Mme A le bénéfice d'une pension de réversion au taux de droit commun, avec entrée en jouissance le 1er janvier 1997 ; que par un jugement du 20 décembre 2007, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé la décision de refus en tant qu'elle concernait la pension de réversion pour la période postérieure au 1er janvier 1997, et, d'autre part, enjoint au ministre chargé du budget de procéder à la revalorisation de la pension de réversion pour la période postérieure au 1er janvier 1997 et au versement des arrérages sous déduction des sommes versées au titre de ladite période ; que le ministre de la défense se pourvoit contre ce jugement en tant que celui-ci a partiellement fait droit à la requête de M. et Mme A ; que par la voie du pourvoi incident, ces derniers demandent l'annulation du même jugement en tant qu'il a fixé au 1er janvier 1997, et non à la date du décès de M. D A, la jouissance de la pension de réversion, et en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant au versement des arrérages de la pension militaire de retraite de M. D A ;

En ce qui concerne le pourvoi du ministre de la défense :

Considérant qu'en application du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, un sous-directeur d'administration centrale a qualité pour signer au nom du ministre ; que la fin de non-recevoir opposée à ce titre par Mme et M. A doit donc être rejetée ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que par un arrêté du ministre chargé du budget du 14 novembre 2005, Mme A s'est vue accorder une pension de réversion au taux applicable aux ressortissants français à compter du 1er janvier 1997 ; que le tribunal administratif de Paris, qui avait été informé de cette décision, devait en conséquence juger que la requête de M. et Mme A était devenue sans objet en ce qui concernait la pension de réversion pour la période postérieure au 1er janvier 1997 ; qu'en ne constatant pas que la requête était devenue sans objet dans cette mesure et en annulant la décision attaquée en tant qu'elle portait précisément sur la période postérieure au 1er janvier 1997, le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit ; qu'il en résulte que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a partiellement fait droit à la requête de M. et Mme A ;

En ce qui concerne le pourvoi incident de M. et Mme A :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics: Sont prescrites, au profit de l'Etat (...), sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ; qu'aux termes de l'article L. 53 du code des pensions civiles et militaires de retraite : Lorsque, par suite du fait personnel du pensionné, la demande de liquidation ou de révision de la pension est déposée postérieurement à l'expiration de la quatrième année qui suit celle de l'entrée en jouissance normale de la pension, le titulaire ne peut prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux quatre années antérieures ; que l'article 116 de la loi du 16 avril 1930, dans sa rédaction issue de la loi du 28 février 1933, dispose : Sauf l'hypothèse où la production tardive de la demande de liquidation ou de révision ne serait pas imputable au fait personnel du pensionné, il ne pourra y avoir lieu en aucun cas au rappel de plus d'une année d'arrérages antérieur à la date du dépôt de la demande de pension ;

Considérant que le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la prescription quadriennale résultant des dispositions de la loi du 31 décembre 1968 pour rejeter les conclusions de M. Mustapha et Mme Khadra A tendant à l'octroi de la pension de réversion pour la période antérieure au 1er janvier 1997 et au rappel des arrérages de la pension militaire de retraite de M. D A ; que leurs demandes doivent être regardées comme des demandes de liquidation de pension, au sens de l'article L. 53 du code des pensions civiles et militaires de retraite en ce qui concerne la pension de réversion et au sens de l'article 116 de la loi du 16 avril 1930, dans sa rédaction issue de la loi du 28 février 1933, en ce qui concerne la pension militaire de retraite ; qu'en se fondant sur les dispositions générales de la loi du 31 décembre 1968, alors que les dispositions spéciales mentionnées ci-dessus étaient seules applicables, le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'octroi d'une pension de réversion au titre de la pension militaire de retraite pour la période antérieure au 1er janvier 1997 et au rappel des arrérages de la pension militaire de retraite ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la pension militaire de retraite de M. D A :

En ce qui concerne la qualité pour agir de M. Mustapha A :

Considérant que les ayants cause du titulaire d'une pension civile ou militaire de retraite peuvent, sous réserve des prescriptions applicables et sans préjudice de leur droit à pension de réversion, se prévaloir d'un droit aux arrérages dus au titulaire de la pension à la date de son décès ; que M. Mustapha A produit une procuration, dont la validité n'est pas contestée, en vertu de laquelle il a qualité pour agir au nom des héritiers ; que ses conclusions, présentées dès le mémoire introductif devant le tribunal administratif de Paris, n'ont pas le caractère d'une intervention ; que les fins de non-recevoir opposées par le MINISTRE DE LA DEFENSE tirées du défaut de qualité pour agir des requérants doivent donc être rejetées ;

En ce qui concerne la forclusion :

Considérant que l'article 65 de la loi du 14 avril 1924 portant réforme du régime des pensions civiles et des pensions militaires, applicable au moment de l'ouverture de droits à pension de M. D A, dispose : Les pensions attribuées en vertu de la présente loi sont irrévocables. Elles peuvent toutefois être annulées et révisées, s'il y a lieu, dans les cas suivants, par un décret rendu sur le rapport du ministre des finances, après avis du conseil d'Etat : / 1°) Lorsqu'une erreur matérielle de liquidation ou de concession a été commise ; / 2°) Lorsque les énonciations des actes ou des pièces, sur le vu desquels la pension a été concédée, sont reconnues inexactes, soit en ce qui concerne la fonction ou le grade, le décès ou le genre de mort, soit en ce qui concerne l'état civil ou la situation de famille (...) ;

Considérant que si les requérants soutiennent que ces dispositions sont incompatibles avec les stipulations combinées des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son protocole additionnel, il résulte de l'instruction qu'en tout état de cause, M. D A a attendu dix-huit ans pour demander la révision de sa pension cristallisée ; que dès lors, il ne peut soutenir que la forclusion qui lui a été opposée l'aurait été en méconnaissance de ces stipulations ;

Sur la pension de réversion :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un arrêté du 14 novembre 2005, une pension de réversion a été octroyée à Mme A au taux applicable aux ressortissants français, avec entrée en jouissance à compter du 1er janvier 1997 ; que par suite, les conclusions de Mme A tendant à l'octroi de cette pension sont devenues sans objet dans cette mesure ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A a déposé une demande de pension de réversion dès le décès de son mari en 1982 et a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'un recours contre le refus qui lui a été opposé ; qu'ainsi les dispositions précitées de l'article L. 53 du code des pensions civiles et militaires de retraite, applicables à la date du décès de M. D A, ne lui sont pas opposables ;

Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 39 et L. 47 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans leur version applicable à la date de la demande de Mme A, qu'une pension de réversion est ouverte à la veuve d'un militaire lorsqu'un ou plusieurs enfants sont issus du mariage ; que plusieurs enfants étant issus du mariage de Mme Khadra A et M. D A, le MINISTRE DE LA DEFENSE n'est pas fondé à soutenir que Mme Khadra A n'aurait pas droit à une pension de réversion au motif que le mariage serait postérieur à la radiation des cadres ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A peut donc prétendre au rappel des arrérages de sa pension à compter du 8 janvier 1982, date du décès de son mari ; que la décision attaquée doit être annulée dans cette mesure ;

Sur les autres conclusions des requérants :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat d'octroyer à Mme A une pension de réversion au taux applicable aux ressortissants français à compter du 8 janvier 1982 ;

Considérant que Mme A a droit aux intérêts au taux légal sur les sommes correspondantes à compter du 8 janvier 1982 ; qu'il y a lieu d'accorder à Mme NABI la capitalisation des intérêts au 2 décembre 2002 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date jusqu'au jour du paiement du principal ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que M. Mustapha A et Mme Khadra A ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Ghestin, avocat de M. Mustapha A et Mme Khadra A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du ministre de la défense le versement à la SCP Ghestin de la somme de 2 500 euros ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 20 décembre 2007 est annulé en tant qu'il a fait droit partiellement à la requête de M. Mustapha A et Mme Khadra A et en tant qu'il a rejeté les conclusions de ces derniers tendant à l'octroi d'une pension de réversion au titre de la pension militaire de retraite pour la période antérieure au 1er janvier 1997 et au rappel des arrérages de la pension militaire de retraite.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme Khadra A relatives à sa pension de réversion pour la période postérieure au 1er janvier 1997.

Article 3 : La décision implicite rejetant la demande tendant à l'octroi à Mme Khadra A d'une pension de réversion à compter du 8 janvier 1982 est annulée.

Article 4 : Il est enjoint au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat de procéder au versement de la pension de réversion de Mme Khadra A avec rappel des arrérages à compter du 8 janvier 1982, application des intérêts au taux légal à compter de cette même date et capitalisation de ces intérêts à la date du 2 décembre 2002 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date jusqu'au paiement du principal.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme Khadra A et M. Mustapha A est rejeté.

Article 6 : L'Etat versera à la SCP Ghestin, avocat de Mme Khadra A et de M. Mustapha A, une somme de 2 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 7 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE, à Mme Khadra A et à M. Mustapha A.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 314054
Date de la décision : 19/07/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2010, n° 314054
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Laurent Cytermann
Rapporteur public ?: M. Dacosta Bertrand
Avocat(s) : SCP GHESTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:314054.20100719
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