Vu le pourvoi, enregistré le 27 novembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE ; le ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 1er octobre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 7 décembre 2007 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, a annulé sa décision en date du 14 octobre 2004 confirmant, après avis de la commission des recours des militaires, la décision du 22 avril 2004 refusant à M. Johann A l'attribution de l'indemnité de départ prévue par le décret n°91-606 du 27 juin 1991, d'autre part, l'a condamné à verser à l'intéressé la somme de 32 601,60 euros correspondant à cette indemnité, majorée des intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2004 et de la capitalisation des intérêts ;
2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du 7 décembre 2007 du tribunal administratif de Strasbourg et de rejeter la demande présentée à ce tribunal par M. A ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n°72-662 du 13 juillet 1972 ;
Vu le décret n°73-1219 du 20 décembre 1973 ;
Vu le décret n°91-606 du 27 juin 1991 ;
Vu le décret n°2003-917 du 19 septembre 2003 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Foussard, avocat de M. Yohann A,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Foussard, avocat de M. Yohann A ;
Considérant que l'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante ; qu'en principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s'appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ; que, toutefois, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle, d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, cette réglementation nouvelle ; qu'il en va ainsi lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 1er du décret du 27 juin 1991 relatif à l'indemnité de départ allouée à certains militaires non officiers, dans sa rédaction antérieure au décret du 19 septembre 2003 : Une indemnité de départ est attribuée aux sous-officiers, officiers mariniers, caporaux-chefs et quartiers-maîtres de 1ère classe engagés, en position d'activité, qui ayant au moins huit ans et au plus onze ans révolus de services militaires sont rayés des cadres au terme de leur contrat ; que le décret du 19 septembre 2003 a subordonné l'attribution de l'indemnité de départ aux militaires engagés à la condition que l'autorité militaire ne leur ait pas proposé un nouveau contrat , a porté à neuf ans, à compter du 1er janvier 2004, la durée minimale de services militaires à prendre en compte pour l'appréciation du droit à l'indemnité de départ, et a réduit le montant de celle-ci, à compter du lendemain de la publication du décret, à vingt mois, puis, à compter du 1er janvier 2004, à quatorze mois de solde brute soumise à retenue pour pensions ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une décision du 22 avril 2004, confirmée le 14 octobre 2004 après avis de la commission des recours des militaires, le MINISTRE DE LA DEFENSE a rejeté la demande de versement de l'indemnité de départ présentée le 2 septembre 2003 par M. A, sergent de l'armée de l'air engagé, dont la durée des services militaires atteignait celle de huit ans le 3 septembre 2003, au motif qu'à la date de sa radiation des cadres, le 26 février 2004, prononcée à l'issue du congé de conversion qui lui avait été accordé le 8 août 2003 à compter du 1er septembre 2003, M. A ne remplissait pas la condition de durée minimale de neuf ans de services militaires applicable depuis le 1er janvier 2004 ;
Considérant que le relèvement par le décret du 19 septembre 2003 de la durée des services militaires requise pour l'octroi de l'indemnité de départ instituée par le décret du 27 juin 1991 avait notamment pour objet d'inciter les militaires engagés à accomplir une durée minimale de services dans les armées appropriée aux besoins de celles-ci ; qu'eu égard à cet objectif, la cour administrative d'appel de Nancy, en estimant que le décret du 19 septembre 2003, en privant de la totalité de cette indemnité les militaires dont le contrat expirait après le 1er janvier 2004 sans leur permettre d'atteindre la durée nouvellement requise de neuf années de service, avait porté une atteinte excessive aux intérêts de tous les militaires qui remplissaient la condition initiale de huit années de services à la date de publication du décret, même en ce qui concerne ceux auxquels il aurait été loisible de solliciter la prolongation de leur contrat, a inexactement qualifié les faits de l'espèce ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE est fondé à demander pour ce motif, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'en vertu de l'article 1er du décret du 27 juin 1991, l'indemnité de départ est attribuée aux militaires engagés qui, remplissant les autres conditions d'attribution de l'indemnité, sont rayés des cadres au terme de leur contrat ; qu'il en résulte que le droit à bénéficier de cette indemnité doit être apprécié conformément aux dispositions applicables à la date à laquelle le contrat du militaire vient à terme ; que c'est à tort, par conséquent, que, pour annuler la décision du MINISTRE DE LA DEFENSE du 14 octobre 2004 et condamner l'Etat à verser à M. A une indemnité de 32 601, 60 euros assortie des intérêts légaux à compter du 21 décembre 2004, le tribunal administratif de Strasbourg a exclu l'appréciation du droit à l'indemnité de départ à la date de cessation du contrat d'engagement et s'est au contraire fondé sur ce qu'en ne statuant pas sur la demande présentée par M. A avant la date du 1er janvier 2004 à laquelle le décret du 19 septembre 2003 a fixé l'entrée en vigueur de la disposition portant de huit à neuf années la durée de services militaires à laquelle est subordonné le bénéfice de l'indemnité de départ, le ministre avait privé d'effet utile ce dispositif transitoire;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A devant le tribunal administratif de Strasbourg et la cour administrative d'appel de Nancy ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle, d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, cette réglementation nouvelle ; qu'il en va ainsi lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ;
Considérant qu'en vertu des dispositions du 5° de l'article 53 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires en vigueur à la date de publication du décret du 19 septembre 2003 et applicables aux engagés en vertu de l'article 94 de la même loi, le militaire placé dans la position d'activité que constitue le congé de reconversion, d'une durée maximum de six mois, et qui n'est pas placé en congé complémentaire de reconversion, est alors soit mis d'office à la retraite, soit tenu de démissionner de son état de militaire de carrière s'il n'a pas acquis de droits à pension de retraite ; qu'aux termes du 8° de l'article 57 de la même loi, le congé complémentaire de reconversion constitue une position de non-activité ; qu'il résulte de ces dispositions de la loi que le militaire sous contrat bénéficiant d'un congé de reconversion ne peut faire suivre celui-ci d'une période d'activité au sein des armées ;
Considérant que le décret du 19 septembre 2003 a eu pour effet de priver du bénéfice de l'indemnité de départ instituée par le décret du 27 juin 1991 les militaires dont, comme M. A, le contrat d'engagement s'achevait au-delà du 31 décembre 2003 et qui avaient comme lui demandé avant la publication de ce décret à bénéficier d'un congé de reconversion à l'issue duquel, au plus tard, ils remplissaient la condition de huit années de services militaires précédemment requise, sans qu'il leur soit permis par les dispositions applicables à ce congé, rappelées ci-dessus, d'atteindre en position d'activité la durée désormais exigée de neuf ans ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les besoins de la gestion du personnel des armées, invoqués par le MINISTRE DE LA DEFENSE, auraient exigé, en leur appliquant ces nouvelles dispositions, d'ailleurs impropres à permettre le prolongement de l'activité au sein des armées des militaires placés en congé de reconversion, de les priver totalement d'une indemnité susceptible de faciliter de manière déterminante, compte tenu de son montant, leur reconversion dans la vie civile au-delà de la durée des services requise ; que le décret du 19 septembre 2003 a ainsi porté une atteinte excessive aux intérêts de ces militaires, sans comporter des mesures transitoires suffisant à assurer le respect du principe de sécurité juridique ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE LA DEFENSE n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé sa décision du 14 octobre 2004 et a condamné l'Etat à verser à M. A la somme de 32 601,60 euros augmentée d'intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2004, avec capitalisation des intérêts ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 4 500 euros au titre des frais exposés par lui tant en appel qu'en cassation et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 1er octobre 2009 est annulé.
Article 2 : Le recours présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 4 500 euros à M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE et à M. Johann A.
Copie en sera adressée pour information au Premier ministre.