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19/10/2010 | FRANCE | N°337932

France | France, Conseil d'État, 2ème sous-section jugeant seule, 19 octobre 2010, 337932


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mars et 8 avril 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Isan A, élisant domicile à ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 12 novembre 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, statuant sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 522-3 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à ordonner la suspension de la décision en date du 28 octobre 2009 par laquelle le préfet de la

Seine-Saint-Denis a refusé son admission au séjour au titre de l'asi...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mars et 8 avril 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Isan A, élisant domicile à ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 12 novembre 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, statuant sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 522-3 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à ordonner la suspension de la décision en date du 28 octobre 2009 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé son admission au séjour au titre de l'asile et, d'autre part, à enjoindre au préfet de procéder à un nouvel examen de sa situation, dans un délai de 10 jours sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé, d'ordonner la suspension de cette décision et d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de procéder à un nouvel examen de sa situation, dans un délai de 10 jours sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au bénéfice de Me Luc-Thaler au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, Auditeur

- les observations de Me Luc-Thaler, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, Rapporteur public,

- la parole ayant à nouveau été donnée à Me Luc-Thaler, avocat de M. A ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ; qu'aux termes de l'article L. 522-3 du même code : Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ; qu'aux termes de l'article L. 523-1 : Les décisions rendues en application des articles L. 521-1, L. 521-3, L. 521-4 et L. 522-3 sont rendues en dernier ressort. / Les décisions rendues en application de l'article L. 521-2 sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat dans les quinze jours de leur notification (...) ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A, de nationalité russe et d'origine tchétchène, a quitté son pays pour entrer en Pologne où il a saisi les autorités de cet Etat d'une demande d'asile ; qu'il est ultérieurement entré en France le 17 décembre 2008, avec son épouse et ses quatre enfants mineurs et a sollicité du préfet de police son admission au séjour en vue d'obtenir l'asile ; que, par une décision du 13 mars 2009, le préfet de police a pris une décision de refus de séjour sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en relevant que, par application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, la Pologne était l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et avait accepté sa prise en charge par une décision du 19 février 2009 ; que le requérant s'est présenté le 28 octobre 2009 à la préfecture de la Seine-Saint-Denis, soit plus de six mois après la décision du 19 février 2009, pour solliciter à nouveau la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour, qui lui a été refusée le jour même ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a rejeté, pour défaut d'urgence, la requête qu'il a présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

Considérant qu'eu égard tant aux conséquences qu'entraîne un refus de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour afin de déposer une demande d'asile qu'à la présence, aux côtés du requérant, de ses quatre jeunes enfants, le juge des référés a dénaturé les faits de l'espèce en se fondant sur un défaut d'urgence pour rejeter la requête de M. A ; que, par suite, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande en référé en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'en vertu du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile peut être refusée notamment si l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ou d'engagements identiques à ceux prévus par ce règlement contractés avec d'autres Etats ;

Considérant qu'aux termes de l'article 19 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, 3. Le transfert du demandeur de l'Etat membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national du premier État membre, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge ou de la décision sur le recours ou la révision en cas d'effet suspensif. / Si nécessaire, le demandeur d'asile est muni par l'État membre requérant d'un laissez-passer conforme au modèle adopté selon la procédure visée à l'article 27, paragraphe 2. / L'État membre responsable informe l'État membre requérant, selon le cas, de l'arrivée à bon port du demandeur d'asile ou du fait qu'il ne s'est pas présenté dans les délais impartis. / 4. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l'État membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement du demandeur d'asile ou à dix-huit mois au maximum si le demandeur d'asile prend la fuite (...) ; qu'aux termes de l'article 20 du règlement précité : 1. La reprise en charge d'un demandeur d'asile (...) s'effectue selon les modalités suivantes : (...) e) l'État membre requérant notifie au demandeur d'asile la décision relative à sa reprise en charge par l'État membre responsable. Cette décision est motivée. Elle est assortie des indications de délai relatives à la mise en oeuvre du transfert et comporte, si nécessaire, les informations relatives au lieu et à la date auxquels le demandeur doit se présenter s'il se rend par ses propres moyens dans l'État membre responsable (...) ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 723-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : L'office statue par priorité sur les demandes émanant de personnes auxquelles le document provisoire de séjour prévu à l'article L. 742-1 a été refusé ou retiré pour l'un des motifs mentionnés aux 2° à 4° de l'article L. 741-4 (...) ; que le 4° de l'article L. 741-4 du même code concerne le cas où la demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la première décision de refus d'admission au séjour a été prise par le préfet de police, le 13 mars 2009, au motif que la Pologne était l'Etat membre responsable du traitement de la demande d'asile de M. A et que ce pays avait accepté, le 19 février 2009, de prendre en charge cette demande ; qu'il appartenait, en conséquence, aux autorités françaises, d'assurer, dans les six mois, le transfert de l'intéressé vers ce pays afin que sa demande d'asile puisse y être instruite ; que, toutefois, l'administration s'est abstenue, durant le délai de six mois dont elle disposait, d'accomplir les diligences propres à assurer la réadmission effective du requérant ; qu'elle n'a pas délivré à l'intéressé de laissez-passer conforme au modèle prévu à l'article 19 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 et ne lui a donné aucune information relative au lieu et à la date auxquels il devait se présenter s'il souhaitait se rendre par ses propres moyens vers la Pologne ; que le requérant n'a à aucun moment de la procédure tenté de prendre la fuite ; que, dans ces conditions, à l'expiration du délai de six mois imparti pour procéder à la réadmission, la procédure de réadmission avait pris fin ; qu'en conséquence, la responsabilité de l'examen de la demande d'asile incombait alors aux autorités françaises, auprès desquelles cette demande avait été présentée ; qu'il appartenait à ces autorités de l'examiner au regard des dispositions nationales relatives au droit d'asile ;

Considérant que le comportement du requérant au cours des six mois qui ont suivi l'acceptation de la demande de prise en charge par la Pologne ne peut être regardé comme constituant une fraude délibérée ni un recours abusif aux procédures d'asile ; que sa situation ne relève non plus d'aucun des autres cas mentionnés aux 2° à 4° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en conséquence, le moyen tiré de ce que le refus opposé par le préfet de la Seine-Saint-Denis à la demande d'admission au séjour de M. A était dépourvu de base légale est de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, compte tenu des conséquences du refus d'admission au séjour, et eu égard à la situation précaire dans laquelle se trouvent M. A et ses quatre enfants, il est satisfait à la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision du préfet de la Seine-Saint-Denis refusant à M. A son admission au séjour au titre de l'asile et d'enjoindre au préfet de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions de l'avocat de M. A tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que M. A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Luc-Thaler, avocat de M. A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Luc-Thaler de la somme de 1 000 euros ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 12 novembre 2009 du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 28 octobre 2009 du préfet de la Seine-Saint-Denis refusant l'admission de M. A au séjour au titre de l'asile est suspendue.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de procéder au réexamen de la demande d'admission sur le territoire au titre de l'asile de M. A dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à Me Luc-Thaler, avocat de M. A, une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Isan A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.


Synthèse
Formation : 2ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 337932
Date de la décision : 19/10/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 oct. 2010, n° 337932
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Honorat
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Avocat(s) : LUC-THALER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:337932.20101019
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