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27/10/2010 | FRANCE | N°318023

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 27 octobre 2010, 318023


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 juillet 2008 et 17 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la SOCIETE PRADEAU ET MORIN, dont le siège est 24/32 rue des Amandiers à Paris (75020) ; la SOCIETE PRADEAU ET MORIN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 6 mai 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris n'a fait droit que partiellement à sa demande de première instance en condamnant le département de Seine-et-Marne à lui verser la somme de 18 872 euros et en rejetant le surplus de ses con

clusions visant, d'une part, à ce que soit ordonnée une mesure d'in...

Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 juillet 2008 et 17 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la SOCIETE PRADEAU ET MORIN, dont le siège est 24/32 rue des Amandiers à Paris (75020) ; la SOCIETE PRADEAU ET MORIN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 6 mai 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris n'a fait droit que partiellement à sa demande de première instance en condamnant le département de Seine-et-Marne à lui verser la somme de 18 872 euros et en rejetant le surplus de ses conclusions visant, d'une part, à ce que soit ordonnée une mesure d'instruction et d'autre part, à la condamnation du département de Seine-et-Marne au paiement d'une indemnité totale de 1 012 517,20 euros en réparation du préjudice subi à raison de son éviction irrégulière d'un marché public ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel en annulant le jugement attaqué et en mettant à la charge du département de Seine-et-Marne la somme de 1 012 517,20 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge du département de la Seine et Marne le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de Me Foussard, avocat de la SOCIÉTÉ PRADEAU ET MORIN et de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat du département de Seine-et-Marne,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Foussard, avocat de la SOCIÉTÉ PRADEAU ET MORIN et à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat du département de Seine-et-Marne ;

Considérant que lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ; que, dans le cas où l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché, elle a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle a subi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le département de Seine-et-Marne a lancé, en vue de la construction d'un collège à Bailly-Romainvillers, un appel d'offres dans lequel il informait les entreprises que les offres seraient appréciées au regard de leur prix, d'une part, de la qualité des prestations, d'autre part ; que deux sociétés ont présenté leur candidature ; que la collectivité publique a regardé comme irrecevable la candidature de la SOCIETE PRADEAU ET MORIN au motif que cette société en nom collectif aurait dû, selon elle, présenter une attestation de régularité de la situation fiscale et sociale de chacune des associées et non une attestation unique ; que l'offre de la société n'a en conséquence pas été examinée ; qu'après avoir saisi l'administration d'une demande préalable, la SOCIETE PRADEAU ET MORIN a introduit auprès du tribunal administratif de Melun une demande, tendant à la condamnation du département à l'indemniser des frais engagés pour la présentation de l'offre, d'une quote-part de ses frais généraux et de la perte de son manque à gagner au titre de l'éviction illégale dont elle estime avoir été l'objet ; que par jugement du 15 décembre 2005, le tribunal administratif a rejeté la demande ; que sur appel de la SOCIETE PRADEAU ET MORIN, la cour administrative d'appel de Paris a, par l'arrêt attaqué du 6 mai 2008, condamné le département à payer à l'entreprise les sommes correspondant aux honoraires et frais extérieurs engagés pour la présentation de son offre, mais rejeté le surplus des conclusions sans procéder à la mesure d'instruction demandée par la SOCIETE PRADEAU ET MORIN et tendant à la communication de l'offre retenue ; que la SOCIETE PRADEAU ET MORIN se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il ne fait droit que partiellement à ses conclusions indemnitaires ;

Considérant, en premier lieu, qu'en se bornant à relever qu'il ne résultait pas de l'instruction que la SOCIETE PRADEAU ET MORIN disposait d'une chance sérieuse de se voir attribuer le marché, sans exposer les considérations de fait qui motivaient cette appréciation et alors que la société requérante soutenait qu'elle disposait d'une telle chance dès lors, en premier lieu, que le prix qu'elle proposait était inférieur à celui résultant de l'offre retenue, en deuxième lieu, que seules deux entreprises avaient manifesté leur intérêt pour le marché, en troisième lieu, que la valeur technique de son offre n'avait pu être comparée à celle de l'entreprise attributaire du marché, la cour administrative d'appel a insuffisamment motivé son arrêt eu égard à l'argumentation développée devant elle et n'a pas mis le juge de cassation à même d'exercer son contrôle ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en n'assortissant pas la condamnation prononcée à l'encontre du département de Seine-et-Marne, des intérêts au taux légal, alors que des conclusions en ce sens figuraient dans les écritures d'appel de la SOCIETE PRADEAU ET MORIN, le juge a commis une erreur de droit ; que la circonstance qu'aux termes de l'article 1153-1 du code civil, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement est sans incidence, dès lors que les dispositions précitées n'accordent les intérêts au demandeur qu'à compter de la date du jugement, alors que dans le cas où une telle demande a été présentée, fût-ce sans mention d'un quelconque point de départ, les intérêts légaux courent à compter de la première demande devant le juge du fond ;

Considérant, en revanche, que si la SOCIETE PRADEAU ET MORIN avait présenté une demande portant sur une quote-part de ses frais généraux, elle n'établit pas avoir effectivement supporté ces coûts en vue de la présentation de son offre ; que la cour administrative d'appel a donc pu, sans erreur de droit, exclure ce poste de préjudice du calcul de l'indemnisation due au titre des frais de présentation de l'offre ;

Considérant, enfin, que la demande initiale de la SOCIETE PRADEAU ET MORIN a été présentée sans précision s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'en l'absence de précision, une somme est réputée inclure la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'il en résulte que la société n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en ne condamnant pas en outre la collectivité publique à lui payer la somme correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée sur la somme résultant de la condamnation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens relatifs au refus par la cour administratif d'appel de prononcer une mesure d'expertise, qu'il y a lieu d'annuler l'arrêt attaqué en tant qu'il limite l'indemnisation de la SOCIETE PRADEAU ET MORIN par le département de Seine-et-Marne au titre de son éviction illégale d'un marché public à la somme de 18 872 euros et qu'il n'assortit pas cette somme des intérêts moratoires d'autre part ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du département de Seine et Marne le versement de la somme de 3 000 euros à la SOCIETE PRADEAU ET MORIN ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que le département de Seine et Marne présente au même titre ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 6 mai 2008 est annulé en tant qu'il limite à 18 872 euros la somme que le département de Seine-et-Marne est condamné à payer à la SOCIETE PRADEAU ET MORIN et qu'il n'assortit pas la condamnation des intérêts moratoires.

Article 2 : L'affaire, dans la mesure de ce qui a été annulé, est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : Le département de Seine-et-Marne versera la somme de 3 000 euros à la SOCIETE PRADEAU ET MORIN en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions du département de Seine-et-Marne tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE PRADEAU ET MORIN et au département de Seine-et-Marne.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 318023
Date de la décision : 27/10/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-08-03 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES. POUVOIRS ET OBLIGATIONS DU JUGE. - INDEMNISATION DE LA PERTE DE CHANCE SÉRIEUSE DE REMPORTER UN MARCHÉ - OBLIGATION DE MOTIVATION DU JUGEMENT REFUSANT DE RECONNAÎTRE LA PERTE DE CHANCE - EXISTENCE.

39-08-03 Alors même que la perte de chance ne relève que de l'appréciation souveraine du juge du fond, insuffisance de motivation de la cour administrative d'appel qui se borne à relever l'absence de chance sérieuse de remporter un marché public alors que l'entreprise soutenait qu'il n'y avait que deux entreprises en compétition, qu'elle proposait le prix le plus bas et que son offre a été éliminée sans qu'elle puisse faire valoir ses atouts techniques.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 oct. 2010, n° 318023
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: Mme Agnès Fontana
Rapporteur public ?: M. Dacosta Bertrand
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL ; FOUSSARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:318023.20101027
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