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15/12/2010 | FRANCE | N°344729

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 15 décembre 2010, 344729


Vu le recours, enregistré le 6 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE LA RECHERCHE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1007392-1 du 19 novembre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a enjoint, à la demande de M. et MmeB..., d'affecter un auxiliaire de vie scolaire pour une durée hebdomadaire de

douze heures pour la scolarisation de l'enfant A...B...à l'école pr...

Vu le recours, enregistré le 6 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE LA RECHERCHE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1007392-1 du 19 novembre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a enjoint, à la demande de M. et MmeB..., d'affecter un auxiliaire de vie scolaire pour une durée hebdomadaire de douze heures pour la scolarisation de l'enfant A...B...à l'école primaire privée Saint-Joseph de la Madeleine de Marseille ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. et MmeB... ;

il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie, dès lors que l'enfant demeure scolarisé et que son droit à l'éducation n'est pas méconnu ; que la démission de l'auxiliaire de vie n'a pas empêché l'enfant de poursuivre une scolarisation effective ; que le droit à l'éducation n'a pas été reconnu par la jurisprudence comme une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code justice administrative ; que si tel devrait être le cas, il n'inclurait pas le droit à l'éducation avant l'âge de la scolarité obligatoire et n'aurait pas nécessairement pour corollaire un droit à la scolarisation ; qu'en retenant l'existence d'un tel droit, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille n'a, en tout état de cause, pas statué dans la limite des conclusions et des moyens des requérants, qui invoquaient la seule méconnaissance d'un " droit à l'éducation " ; que ce n'est qu'à la suite d'un concours de circonstances que la décision de la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées n'a plus été provisoirement exécutée, de sorte qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est caractérisée ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2010, présenté pour M. et MmeB..., qui concluent au rejet du recours ; ils soutiennent que le droit à l'éducation est protégé tant au niveau national qu'international ; que si les enfants handicapés bénéficient, comme tous les enfants, du droit à l'éducation, les dispositions des articles L. 112-1 et L. 113-1 du code de l'éducation imposent également à l'Etat des obligations particulières à leur égard ; que le droit à l'éducation des enfants handicapés dont les parents ont sollicité une prise en charge éducative doit être regardé comme une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que le refus persistant de l'Etat d'affecter une auxiliaire de vie scolaire au jeune A...porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l'éducation ; que c'est à juste titre que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a considéré que l'urgence était caractérisée, dès lors qu'en l'absence d'auxiliaire de vie scolaire auprès de cet enfant, le déroulement des cours auxquels il participe se trouve gravement perturbé et que le directeur de l'école pourrait être contraint de le déscolariser à bref délai, en raison notamment du fait que l'absence de cette assistance met en péril la sécurité de l'enfant et de ses camarades ; qu'en tout état de cause, la nature même du litige caractérise à elle seule l'urgence à statuer ; que l'Etat ne saurait faire état de considérations budgétaires pour priver l'enfant handicapé de son droit à l'éducation ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code de l'éducation ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE LA JEUNESSE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE et, d'autre part, M. et MmeB... ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 13 décembre 2010 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE LA JEUNESSE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE ;

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. et MmeB... ;

- M.B... ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;

Considérant que l'égal accès à l'instruction est garanti par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958 ; que ce droit, confirmé par l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est en outre rappelé à l'article L. 111-1 du code de l'éducation, qui énonce que " le droit à l'éducation est garanti à chacun " et, s'agissant des enfants présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant, à l'article L. 112-1 du même code, selon lequel le service public de l'éducation leur assure une formation scolaire adaptée ; que l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction est mise en oeuvre par les dispositions de l'article L. 131-1 de ce code, aux termes desquelles : " L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six et seize ans ", ainsi que par celles de l'article L. 113-1 qui prévoient, si la famille en fait la demande, l'accueil des enfants, dès l'âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, l'article L. 112-1 précisant en outre que la formation scolaire adaptée qu'il prévoit pour les enfants handicapés " est entreprise avant l'âge de la scolarité obligatoire, si la famille en fait la demande " ;

Considérant que la privation pour un enfant, notamment s'il souffre d'un handicap, de toute possibilité de bénéficier d'une scolarisation ou d'une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d'assurer le respect de l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, pouvant justifier l'intervention du juge des référés sur le fondement de cet article, sous réserve qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention d'une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures ; qu'en outre, le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte, d'une part de l'âge de l'enfant, d'autre part des diligences accomplies par l'autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'enfant A...B..., en situation de handicap, a fait l'objet le 12 décembre 2008, alors qu'il était âgé de trois ans, d'un accord de la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées des Bouches-du-Rhône pour l'intervention d'un auxiliaire de vie scolaire, à raison de douze heures par semaine, en vue de permettre sa scolarisation en classe de maternelle à l'école primaire privée Saint-Joseph de la Madeleine à Marseille ; que si, en dernier lieu, une auxiliaire de vie scolaire avait été recrutée, par le biais d'un contrat aidé, pour l'assister à compter du 1er octobre 2010, cet enfant ne bénéficie plus de cette assistance depuis la rentrée des vacances de la Toussaint, à la suite de la démission de cette personne, l'administration n'ayant pu lui trouver un remplaçant ; que toutefois il demeure scolarisé, en dépit des conditions difficiles de cette scolarisation depuis qu'il n'est plus assisté ;

Considérant que, s'il incombe à l'administration, qui ne saurait se soustraire à ses obligations légales, de prendre toute disposition pour que le jeune A...bénéficie d'une scolarisation au moins équivalente, compte tenu de ses besoins propres, à celle dispensée aux autres enfants, de telles circonstances ne peuvent caractériser, contrairement à ce qu'a jugé le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, susceptible de justifier l'intervention du juge des référés sur ce fondement ; que par suite, et sans qu'il soit besoin de rechercher si la condition particulière d'urgence exigée par cet article était remplie, le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE LA RECHERCHE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, lui a enjoint d'affecter un auxiliaire de vie scolaire pour une durée hebdomadaire de douze heures pour la scolarisation de cet enfant à l'école Saint-Joseph de la Madeleine de Marseille ;

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'ordonnance n° 1007392-1 du 19 novembre 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE LA JEUNESSE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE et à M. et MmeB....


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

AIDE SOCIALE - DIFFÉRENTES FORMES D'AIDE SOCIALE - AIDE SOCIALE AUX PERSONNES HANDICAPÉES - PRIVATION DE TOUTE POSSIBILITÉ DE SCOLARISATION OU DE FORMATION SCOLAIRE ADAPTÉE - NOTAMMENT POUR UN ENFANT HANDICAPÉ - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CJA) - MODALITÉS D'APPRÉCIATION - 2) ESPÈCE - ABSENCE.

04-02-04 1) La privation pour un enfant, notamment s'il souffre d'un handicap, de toute possibilité de bénéficier d'une scolarisation ou d'une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d'assurer le respect de l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA). Le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte, d'une part, de l'âge de l'enfant, d'autre part, des diligences accomplies par l'autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose. 2) En l'espèce, cette condition n'est pas remplie s'agissant d'un enfant handicapé de trois ans qui, à la suite de la démission de l'auxiliaire de vie qui l'assistait et faute qu'un remplacement ait été trouvé, ne bénéficie plus d'une assistance depuis octobre 2010 mais reste malgré cela scolarisé.

ENSEIGNEMENT ET RECHERCHE - QUESTIONS GÉNÉRALES - QUESTIONS GÉNÉRALES CONCERNANT LES ÉLÈVES - 1) EGAL ACCÈS À L'INSTRUCTION - LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CJA) - INCLUSION - 2) PRIVATION DE TOUTE POSSIBILITÉ DE SCOLARISATION OU DE FORMATION SCOLAIRE ADAPTÉE - NOTAMMENT POUR UN ENFANT HANDICAPÉ - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE - MODALITÉS D'APPRÉCIATION - 3) ESPÈCE - ABSENCE.

30-01-03 1) L'égal accès à l'instruction, garanti par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958, et confirmé par l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA).,,2) La privation pour un enfant, notamment s'il souffre d'un handicap, de toute possibilité de bénéficier d'une scolarisation ou d'une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d'assurer le respect de l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte, d'une part, de l'âge de l'enfant, d'autre part, des diligences accomplies par l'autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose. 3) En l'espèce, cette condition n'est pas remplie s'agissant d'un enfant handicapé de trois ans qui, à la suite de la démission de l'auxiliaire de vie qui l'assistait et faute qu'un remplacement ait été trouvé, ne bénéficie plus d'une assistance depuis octobre 2010 mais reste malgré cela scolarisé.

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE - 1) PRIVATION DE TOUTE POSSIBILITÉ DE SCOLARISATION OU DE FORMATION SCOLAIRE ADAPTÉE - NOTAMMENT POUR UN ENFANT HANDICAPÉ - MODALITÉS D'APPRÉCIATION - 2) ESPÈCE - ABSENCE.

54-035-03-03-01 1) La privation pour un enfant, notamment s'il souffre d'un handicap, de toute possibilité de bénéficier d'une scolarisation ou d'une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d'assurer le respect de l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte, d'une part, de l'âge de l'enfant, d'autre part, des diligences accomplies par l'autorité administrative compétente, au regard des moyens dont elle dispose. 2) En l'espèce, cette condition n'est pas remplie s'agissant d'un enfant handicapé de trois ans qui, à la suite de la démission de l'auxiliaire de vie qui l'assistait et faute qu'un remplacement ait été trouvé, ne bénéficie plus d'une assistance depuis octobre 2010 mais reste malgré cela scolarisé.

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE - LIBERTÉ FONDAMENTALE - EGAL ACCÈS À L'INSTRUCTION - INCLUSION.

54-035-03-03-01-01 L'égal accès à l'instruction, garanti par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère celui de la Constitution de 1958, et confirmé par l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 15 déc. 2010, n° 344729
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Formation : Juge des référés
Date de la décision : 15/12/2010
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 344729
Numéro NOR : CETATEXT000023248217 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2010-12-15;344729 ?
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