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16/12/2010 | FRANCE | N°336934

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 16 décembre 2010, 336934


Vu la requête, enregistrée le 23 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Serge A demeurant au ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 16 octobre 1995 du ministre de l'économie, des finances et du plan en tant qu'il ne prend pas en compte la bonification mentionnée au b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;

2°) d'enjoindre au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique de procéder dans un délai de deux mois à une nouvelle liquidation de sa pe

nsion en tenant compte de cette bonification ;

3°) de revaloriser cette p...

Vu la requête, enregistrée le 23 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Serge A demeurant au ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 16 octobre 1995 du ministre de l'économie, des finances et du plan en tant qu'il ne prend pas en compte la bonification mentionnée au b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;

2°) d'enjoindre au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique de procéder dans un délai de deux mois à une nouvelle liquidation de sa pension en tenant compte de cette bonification ;

3°) de revaloriser cette pension rétroactivement à compter de la date fixée, assortie des intérêts légaux portant eux-mêmes intérêts, sous déduction des arrérages effectivement perçus ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 141 ;

Vu le traité sur l'Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matthieu Schlesinger, Auditeur,

- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 15 novembre 1995 au grade de lieutenant colonel de l'armée de terre, après avoir effectué 31 ans, 1 mois et 9 jours de services militaires effectifs ; qu'une pension militaire de retraite lui a été concédée par arrêté du 16 octobre 1995 ; que M. A, qui a assuré l'éducation de ses trois enfants, demande l'annulation de cet arrêté en tant qu'il ne prend pas en compte la bonification pour enfants prévue par le b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la défense :

Considérant que M. A a saisi directement le juge d'un recours contre un arrêté de concession qui n'avait pas fait l'objet d'une notification comportant l'indication des voies de recours ; que l'administration ne peut opposer à une demande présentée dans ces conditions le délai d'un an prévu à l'article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite pour les demandes de révision qui lui sont directement présentées ;

Sur la requête de M. A :

Considérant qu'aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne : 1. Chaque Etat membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail ; que les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires entrent dans le champ d'application de ces stipulations ; que, nonobstant les stipulations de l'article 6, paragraphe 3, de l'accord annexé au protocole n°14 sur la politique sociale, joint au traité sur l'Union européenne, le principe de l'égalité des rémunérations s'oppose à ce qu'une bonification, pour le calcul d'une pension de retraite, accordée aux personnes qui ont assuré l'éducation de leurs enfants, soit réservée aux femmes, alors que les hommes ayant assuré l'éducation de leurs enfants seraient exclus du bénéfice de cette mesure ;

Considérant que le b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction applicable au présent litige, antérieure à celle issue de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, institue, pour le calcul de la pension, une bonification d'ancienneté d'un an par enfant dont il réserve le bénéfice aux femmes fonctionnaires ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'une telle disposition est incompatible avec le principe de l'égalité des rémunérations tel qu'il est affirmé par le traité instituant la Communauté européenne et par l'accord annexé au protocole n°14 sur la politique sociale joint au traité sur l'Union européenne ; qu'il suit de là qu'en tant qu'il ne prend pas en compte la bonification prévue par ce texte, alors même que M. A aurait assuré l'éducation de ses trois enfants, l'arrêté du 16 octobre 1995 portant concession à l'intéressé de sa pension militaire de retraite est entaché d'illégalité ; que, dès lors, M. A est fondé à demander pour ce motif l'annulation de l'arrêté attaqué ;

Considérant que M. A demande qu'il soit enjoint au ministre compétent de le faire bénéficier de la bonification d'ancienneté prévue au b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; que le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de fixer ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté que M. A, qui a assuré la charge de ses trois enfants, en a assuré l'éducation ; que, dans la mesure où sont maintenues des dispositions plus favorables aux fonctionnaires de sexe féminin ayant assuré l'éducation de leurs enfants, en ce qui concerne la bonification d'ancienneté retenue pour le calcul de la pension militaire de retraite, M. A a droit, ainsi qu'il a été dit plus haut, au bénéfice de la bonification prévue au b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Considérant, toutefois, qu'un recours contentieux directement formé contre un arrêté de concession de pension en vue d'en remettre en cause le montant implique nécessairement, s'il est accueilli, que l'administration procède, en prenant un nouvel arrêté, à une nouvelle liquidation de la pension ; que, par suite, lorsque, comme en l'espèce, le titulaire d'une pension est recevable à saisir directement le juge d'un recours contre un arrêté de concession qui n'avait pas fait l'objet d'une notification comportant l'indication des voies de recours, la demande ainsi présentée doit être regardée comme une demande de liquidation de pension, au sens de l'article L. 53 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; que l'administration est en droit de se prévaloir de la règle de prescription des arrérages fixée par l'article L. 53 de ce code, hormis le cas où le délai mis par l'intéressé à présenter une telle demande ne serait pas imputable à son fait personnel ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'aucune circonstance ne faisait obstacle à ce que M. A présentât, dès la notification de son titre de pension, un recours tendant à obtenir une nouvelle liquidation de pension, en contestant l'absence de la bonification dont il revendique le bénéfice ; que le délai de prescription prévu par l'article L. 53 lui est donc applicable ; que l'intéressé a saisi le Conseil d'Etat le 23 février 2010 ; que M. A peut en conséquence prétendre à la revalorisation de sa pension à compter du 1er janvier 2006 ; qu'il y a lieu, dès lors, de prescrire au ministre de modifier, dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision, les conditions dans lesquelles la pension de M. A lui a été concédée et de revaloriser rétroactivement cette pension à compter du 1er janvier 2006 ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant, d'une part, que M. A a demandé le versement des intérêts sur les rappels d'arrérages de la pension qui lui ont été illégalement refusés pour la période postérieure au 1er janvier 2006 ; qu'il y a lieu de faire droit à ces conclusions à compter du 23 février 2010, date de sa requête ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que M. A a demandé la capitalisation des intérêts dans son mémoire du 23 février 2010 ; qu'à cette date et à celle de sa présente décision, il n'était pas dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, la demande de capitalisation présentée par M. A ne peut qu'être rejetée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 1 000 euros ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêté de concession de pension de M. A du 16 octobre 1995 est annulé en tant qu'il ne tient pas compte de la bonification mentionnée au b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Article 2 : Le ministre revalorisera, dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision, rétroactivement la pension de M. A en tenant compte de la bonification pour enfants à compter du 1er janvier 2006.

Article 3 : Les arrérages versés pour la période postérieure au 1er janvier 2006 porteront intérêts au taux légal à compter du 23 février 2010.

Article 4 : l'Etat versera une somme de 1 000 euros à M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Serge A, au ministre d'Etat, ministre de la défense et des anciens combattants et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 336934
Date de la décision : 16/12/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 16 déc. 2010, n° 336934
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jouguelet
Rapporteur ?: M. Matthieu Schlesinger
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:336934.20101216
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