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16/12/2010 | FRANCE | N°344864

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 16 décembre 2010, 344864


Vu la requête, enregistrée le 8 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Ibraguim A, domicilié à ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1002959 du 2 décembre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa requête tendant à ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté de réadmission du 29 novembre 2010 par lequel le préfet du Gard a ordonné sa remi

se aux autorités polonaises ;

2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la...

Vu la requête, enregistrée le 8 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Ibraguim A, domicilié à ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1002959 du 2 décembre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa requête tendant à ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté de réadmission du 29 novembre 2010 par lequel le préfet du Gard a ordonné sa remise aux autorités polonaises ;

2°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la mesure de réadmission dont il a fait l'objet ;

3°) d'enjoindre au préfet du Gard de réexaminer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de l'admettre au bénéfice à l'aide juridictionnelle provisoire ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 392 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que l'urgence est satisfaite, la décision refusant une admission au séjour comportant, en effet, des conséquences graves et immédiates pour un demandeur d'asile ; que la mesure contestée a été prise en méconnaissance des dispositions du paragraphe 4 de l'article 3 ainsi que de l'article 20 du règlement du 18 février 2003, dit règlement de Dublin ; qu'en effet, les documents informant le requérant sur les délais de remise aux autorités polonaises n'ont été que partiellement traduits dans la langue de l'intéressé ; qu'ainsi, M. A n'a pas été informé, dans une langue qu'il comprenait, que le délai de transfert pouvait être porté à dix-huit mois ; qu'au surplus, le point de départ du délai de six mois pour exécution de la réadmission de l'intéressé a été calculé à compter du dépôt de la demande d'asile alors que, selon les termes du règlement précité, le délai court à compter de l'acceptation de la prise en charge par l'Etat responsable ; que contrairement à ce qu'affirme le préfet du Gard, le requérant n'était pas en fuite et qu'il n'a jamais été en mesure de présenter des observations pour justifier l'inverse ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2010, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que le préfet du Gard n'a porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile ; que l'administration a, durant le délai de six mois dont elle disposait, accompli les diligences propres à assurer la réadmission effective du requérant vers la Pologne ; que M. A a tenté de prendre la fuite, au sens de l'article 19 du règlement communautaire n° 343/2003 du 18 février 2003 ; qu'en effet, il s'est soustrait de manière intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative, dans le but de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

Vu le procès-verbal de l'audience du 13 décembre 2010 à 10 heures 30, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Balat, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;

- les représentants du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ;

Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que, s'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le 1° de cet article permet de refuser l'admission en France d'un demandeur d'asile lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ; que l'article 19 de ce règlement prévoit que le transfert du demandeur d'asile vers le pays de réadmission doit se faire dans les six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge et que ce délai peut être porté à dix-huit mois si l'intéressé prend la fuite ; que la notion de fuite au sens de ce texte doit s'entendre comme visant notamment le cas où un ressortissant étranger non admis au séjour se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant ; qu'aux termes enfin des dispositions du paragraphe 1 de l'article 3 de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à l'accueil des demandeurs d'asile : La présente directive s'applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d'asile à la frontière ou sur le territoire d'un État membre tant qu'ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d'asile, ainsi qu'aux membres de leur famille, s'ils sont couverts par cette demande d'asile conformément au droit national ;

Considérant que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté la requête de M. A tendant à la suspension de l'exécution de la mesure de réadmission dont il a fait l'objet ; que M. A fait appel de cette ordonnance ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, de nationalité russe et d'origine tchétchène, a sollicité l'asile le 21 avril 2009 auprès des services de la préfecture du Gard ; que le préfet de ce département a toutefois refusé de lui délivrer un document provisoire de séjour au motif que sa demande relevait de la compétence de la Pologne ; que les autorités polonaises ont donné, le 30 juillet 2009, leur accord à la réadmission de l'intéressé ; que le préfet a pris, en conséquence, le 22 janvier 2010, une décision de réadmission de M. A vers la Pologne, tout en laissant à l'intéressé un délai d'un mois pour y déférer ; que, par suite, le requérant a été invité à se présenter aux services de la préfecture le 29 janvier 2010 pour la mise en oeuvre de la décision contestée ; que le 26 février 2010, l'intéressé a été placé en rétention puis libéré par le juge des libertés et de la détention par une ordonnance du 27 février 2010 ; que, par une ordonnance du 1er mars 2010, le magistrat désigné par le premier président de la cour d'appel de Nîmes a ordonné la prolongation de la rétention administrative du requérant qui n'était pas présent ;

Considérant que le préfet a, en application des dispositions de l'article 19.4 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, notifié aux autorités polonaises l'extension à dix-huit mois du délai de réadmission, l'intéressé étant en situation de fuite ; qu'il est constant que la notion de fuite au sens de cet article, ainsi qu'il a été rappelé, doit s'entendre comme visant notamment le cas où un ressortissant étranger non admis fait obstacle à l'exécution d'une mesure d'éloignement le concernant ; que, pour autant, si le fait pour l'intéressé de ne pas déférer à l'unique invitation de l'autorité publique pour organiser les conditions de son départ consécutivement à un refus d'admission constitue un indice d'un tel comportement, il ne saurait suffire à lui seul à établir que son auteur a pris la fuite au sens des dispositions précitées du règlement communautaire ;

Considérant qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, et nonobstant la seule circonstance que le requérant se soit abstenu de déférer à la convocation du 29 janvier 2010 l'invitant à organiser son départ, il ne saurait être valablement soutenu, en l'absence de toute autre initiative de l'administration vis-à-vis de l'intéressé qui soutient avoir saisi par écrit le 5 mars 2010 les service préfectoraux, que M. A puisse être regardé comme ayant pris la fuite au sens de l'article 19, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 343/2003 ; qu'en conséquence, en décidant le prolongement du délai de l'exécution de la procédure de réadmission, le préfet du Gard a méconnu les dispositions de l'article 19 du règlement précité ; que, dans ces conditions, à l'expiration du délai de six mois imparti pour procéder à la réadmission, la procédure de réadmission avait pris fin ; qu'en conséquence, la responsabilité de l'examen de la demande d'asile incombait alors aux autorités françaises, auprès desquelles cette demande avait été présentée ; que, dès lors, il appartenait à ces autorités de l'examiner au regard des dispositions nationales relatives au droit d'asile ;

Considérant qu'il ne résulte pas non plus de l'instruction que le comportement du requérant au cours des six mois qui ont suivi l'acceptation de la demande de prise en charge par la Pologne pourrait être regardé comme constituant une fraude délibérée ni un recours abusif aux procédures d'asile ; qu'il apparaît ainsi qu'en ordonnant la réadmission vers la Pologne à M. A le 29 novembre 2010, le préfet du Gard a porté, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

Considérant que, compte tenu des conséquences du refus d'admission au séjour, et eu égard à la situation précaire dans laquelle se trouve M. A, il est satisfait à la condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet du Gard, dès lors qu'il n'est pas soutenu que l'intéressé entrerait dans l'un des autres cas prévus à l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de lui délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, l'autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile prévue par l'article L. 742-1 de ce code, afin que sa demande d'admission au statut de réfugié puisse être examinée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides selon la procédure normale ;

Considérant qu'il y a lieu d'admettre provisoirement M. A à l'aide juridictionnelle ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et pour les frais exposés avant l'octroi de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 2 392 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : M. A est admis à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : L'ordonnance n° 1002959 en date du 2 décembre 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Nîmes est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Gard de délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, à M. A une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'à la notification de la décision, qui devra être prise selon la procédure normale, du directeur général de l'office français de protection des réfugiés et apatrides.

Article 4 : L'Etat versera à M. A, une somme de 2 392 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Ibraguim A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

Copie en sera adressée au préfet du Gard.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 344864
Date de la décision : 16/12/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 déc. 2010, n° 344864
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Christian Vigouroux

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:344864.20101216
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