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28/01/2011 | FRANCE | N°338199

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 28 janvier 2011, 338199


Vu le mémoire, enregistré le 6 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. Jean-Paul A, demeurant ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A demande au Conseil d'Etat, en défense de la protestation de M. B tendant à l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées les 14 et 21 mars 2010 dans la région d'Ile-de-France en vue de l'élection des membres du conseil régional, au rejet de son compte de campagne, au prononcé de son inéligibilité pour une durée d'un an et à l'annulation

de son élection en qualité de conseiller régional, de renvoyer au C...

Vu le mémoire, enregistré le 6 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. Jean-Paul A, demeurant ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A demande au Conseil d'Etat, en défense de la protestation de M. B tendant à l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées les 14 et 21 mars 2010 dans la région d'Ile-de-France en vue de l'élection des membres du conseil régional, au rejet de son compte de campagne, au prononcé de son inéligibilité pour une durée d'un an et à l'annulation de son élection en qualité de conseiller régional, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 52-11-1, L. 52-15 et L. 118-3 du code électoral ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu les articles L. 52-11-1, L. 52-12, L. 52-15, L. 118-3 et L. 341-1 du code électoral ;

Vu la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 ;

Vu la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 ;

Vu la loi n° 96-300 du 10 avril 1996 ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 89-271 DC du 11 janvier 1990 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Auditeur,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Jean-Paul A,

- les conclusions de M. Edouard Geffray, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Jean-Paul A ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant que M. A soutient que les articles L. 52-11-1, L. 52-12, L. 52-15, L. 118-3 et L. 341-1 du code électoral portent atteinte aux principes de nécessité, d'individualisation et de proportionnalité des peines, qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au respect de la présomption d'innocence, protégé par l'article 9 de cette Déclaration, et au principe de garantie des droits, proclamé par l'article 16 de celle-ci ;

Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité :

Considérant que M. B soutient que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A est irrecevable, dès lors qu'elle a été présentée le 6 décembre 2010, soit postérieurement au prononcé des conclusions du rapporteur public lors de la séance publique du 3 décembre 2010, et que M. A n'invoque aucune circonstance de fait qu'il n'était pas en mesure de faire valoir avant la date de cette clôture ni aucune circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ;

Considérant que, lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ; que, en dehors des hypothèses où il est tenu de rouvrir l'instruction à peine d'irrégularité de sa décision, c'est-à-dire de celles où cette note contient l'exposé soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou qu'il devrait relever d'office, le juge a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré ;

Considérant qu'en l'espèce, le Conseil d'Etat a décidé, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction afin de tenir compte des éléments produits le 6 décembre 2010 ; que, dès lors, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A, qui a été présentée sous la forme d'un mémoire distinct de la note en délibéré et motivé, est recevable ;

Sur le renvoi au Conseil constitutionnel :

Considérant que l'article L. 52-12 du code électoral impose à chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales l'obligation d'établir un compte de campagne retraçant l'ensemble des recettes perçues et l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection et de déposer ce compte, selon des modalités et sous des conditions qu'il définit, auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ; que l'article L. 52-11-1 de ce code instaure un dispositif de remboursement forfaitaire des dépenses électorales par l'Etat et dispose que ce remboursement n'est pas versé notamment aux candidats qui ne se sont pas conformés aux prescriptions des articles L. 52-11 et L. 52-12 ou dont le compte de campagne a été rejeté ; que l'article L. 52-15 du même code prévoit que la CNCCFP approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne et qu'elle arrête le montant du remboursement forfaitaire, énumère les cas dans lesquels la Commission doit saisir le juge de l'élection ou le parquet, et dispose que, dans l'hypothèse d'un dépassement par un candidat du plafond des dépenses électorales, cette Commission fixe la somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public ; que l'article L. 118-3 du même code dispose, d'une part, que, saisi par la CNCCFP, le juge de l'élection peut déclarer inéligible pendant un an le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, d'autre part, que dans les autres cas, le juge de l'élection peut ne pas prononcer l'inéligibilité du candidat dont la bonne foi est établie, ou relever le candidat de cette inéligibilité, enfin, que si le juge de l'élection a déclaré inéligible un candidat proclamé élu, il annule son élection ou, si l'élection n'a pas été contestée, le déclare démissionnaire d'office ; que l'article L. 341-1 du même code, relatif à l'élection des conseillers régionaux, prévoit que peut être déclaré inéligible pendant un an celui qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l'article L. 52-12 et celui dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit ;

Considérant, en premier lieu, que les dispositions des articles L. 52-11-1, L. 52-12, L. 52-15, L. 118-3 et L. 341-1 du code électoral sont applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;

Considérant, en second lieu, que les dispositions des articles L. 52-11-1 et L. 341-1 du code électoral n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

Considérant, en revanche, que, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 89-271 DC du 11 janvier 1990, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article 1er de la loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, duquel sont issus les articles L. 52-12 et L. 52-15 du code électoral, ainsi que les dispositions de l'article 6 de cette loi, duquel est issu l'article L. 118-3 du même code, sous la réserve qu'il ne s'applique pas à l'élection des députés et que la position que la CNCCFP adopte lors de l'examen des comptes de campagne d'un candidat ne s'impose pas au juge administratif ;

Considérant, toutefois, d'une part, que, postérieurement à la loi du 15 janvier 1990, l'article L. 118-3 du code électoral a été substantiellement modifié par l'article 3 de la loi du 10 avril 1996 tendant à préciser la portée de l'incompatibilité entre la situation de candidat et la fonction de membre d'une association de financement électorale ou de mandataire financier, qui a introduit la possibilité de ne pas prononcer l'inéligibilité du candidat dont la bonne foi est établie, ou de relever le candidat de cette inéligibilité ;

Considérant, d'autre part, que, depuis 1990, certaines modifications des règles applicables au financement des campagnes électorales ont conduit à une augmentation significative des cas de manquements susceptibles de justifier le rejet du compte d'un candidat et d'entraîner le prononcé de son inéligibilité, ainsi qu'à une aggravation des conséquences, autres que l'inéligibilité, entraînées par la méconnaissance de la législation sur les comptes de campagne ; qu'ainsi, alors que l'article L. 52-8 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi du 15 janvier 1990, prohibait les dons des personnes morales de droit public mais autorisait ceux des personnes morales de droit privé, sous réserve, s'agissant des dons de personnes morales de droit privé autres que les partis et groupements politiques, qu'ils n'excèdent pas 10% du plafond des dépenses électorales dans la limite de 500 000 F, la modification de ces dispositions par l'article 4 de la loi du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique a conduit à interdire toute participation des personnes morales, publiques comme privées, à l'exception des partis ou groupements politiques, au financement de la campagne électorale d'un candidat ; que l'article 7 de cette loi a également modifié les dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral, en instaurant l'interdiction de présenter un compte de campagne en déficit ; qu'enfin, alors qu'aucun dispositif de remboursement forfaitaire par l'Etat n'existait en 1990 pour les dépenses électorales, en dehors des frais de propagande officielle, exposées par les candidats aux élections locales et que la méconnaissance par un candidat à ces élections de la législation sur les comptes de campagne était donc sans incidence sur ce point, l'article L. 52-11-1 du code électoral, créé par l'article 6 de la loi du 19 janvier 1995, a étendu à toutes les élections pour lesquelles les dépenses électorales sont plafonnées le mécanisme du remboursement forfaitaire de ces dépenses par l'Etat et dispose que sont privés du bénéfice de ce remboursement les candidats qui ne se sont pas conformés aux prescriptions des articles L. 52-11 et L. 52-12 de ce code ou dont le compte de campagne a été rejeté ;

Considérant que ces évolutions peuvent être regardées comme traduisant, au sens du 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 auquel renvoie le troisième alinéa de l'article 23-5 de la même ordonnance, un changement dans les circonstances de droit de nature à justifier que la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 52-12, L. 52-15 et L. 118-3 du code électoral soit à nouveau soumise au Conseil constitutionnel ; que ce dernier a au demeurant estimé, dans ses observations du 15 mai 2003 relatives aux élections législatives des 9 et 16 juin 2002 et du 29 mai 2008 relatives aux élections législatives des 10 et 17 juin 2007, qu'il a rendues à la suite de décisions prises en sa qualité de juge électoral, que, s'agissant des dispositions applicables aux candidats à ces élections, l'inéligibilité peut revêtir un caractère disproportionné pour les candidats élus ;

Considérant, enfin, que le moyen tiré de ce que les articles L. 52-11-1, L. 52-12, L. 52-15, L. 118-3 et L. 341-1 du code électoral portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment aux principes de nécessité, d'individualisation et de proportionnalité des peines, soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles L. 52-11-1, L. 52-12, L. 52-15, L. 118-3 et L. 341-1 du code électoral est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la protestation de M. B jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Paul A, à M. Paul B, à Mme Valérie C, à Mme Cécile D, à Mme Marie-Christine E, à M. Jean-Pierre F, à M. Alain G, à M. Jean-Marc H, à M. Pierre I, à M. Axel J, à M. Nicolas K, à M. Olivier L, à M. Almamy M, au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 338199
Date de la décision : 28/01/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-10-02 PROCÉDURE. - EXISTENCE - QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ POSÉE PAR NOTE EN DÉLIBÉRÉ.

54-10-02 Lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction, d'une note en délibéré posant une question prioritaire de constitutionnalité, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. En dehors des hypothèses où il est tenu de rouvrir l'instruction à peine d'irrégularité de sa décision, c'est-à-dire de celles où cette note contient l'exposé soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou qu'il devrait relever d'office, le juge a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction. Lorsque le juge use de cette dernière faculté et rouvre l'instruction dans l'intérêt d'une bonne justice, la question prioritaire de constitutionnalité posée est recevable, nonobstant le fait que la partie qui la soulève n'invoque aucune circonstance qu'elle n'était pas en mesure de faire valoir avant la clôture de l'instruction, ni aucune circonstance de droit nouvelle que le juge devrait relever d'office.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 jan. 2011, n° 338199
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Rapporteur public ?: M. Geffray Edouard
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:338199.20110128
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