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25/02/2011 | FRANCE | N°312290

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 25 février 2011, 312290


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 janvier et 15 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE, dont le siège est 10 rue Marcel Salhave à Ivry-sur-Seine (94854 cedex), représentée par son président-directeur général en exercice ; la société demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 05PA03246 du 28 novembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, faisant droit à l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de l'indust

rie, a annulé l'article 2 du jugement n° 02-3049 du 24 février 2005 du tri...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 janvier et 15 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE, dont le siège est 10 rue Marcel Salhave à Ivry-sur-Seine (94854 cedex), représentée par son président-directeur général en exercice ; la société demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 05PA03246 du 28 novembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, faisant droit à l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a annulé l'article 2 du jugement n° 02-3049 du 24 février 2005 du tribunal administratif de Melun, modifié par une ordonnance du 26 mai 2005 du président de ce tribunal, qui l'avait déchargée pour un montant de 7 498 859 F (1 143 194 euros) de rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997 et remis ces droits à sa charge ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 février 2011, présentée pour la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE ;

Vu la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Michel, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE, créée en 1986, a pour activité le négoce de produits informatiques et la fabrication et la distribution d'ordinateurs personnels ; qu'à l'occasion d'une vérification de comptabilité, l'administration a remis en cause l'exonération appliquée à des livraisons intracommunautaires, en application des dispositions du 1° de l'article 262 ter du code général des impôts, à cinq de ses clients, dont la société de droit espagnol Moon Computers ; que la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 novembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a remis à sa charge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 7 498 859 F (1 143 194 euros) au titre de la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 28 quater de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 : " A. Exonération des livraisons de biens. Sans préjudice d'autres dispositions communautaires et dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion ou abus éventuels, les Etats membres exonèrent : / a) les livraisons de biens, au sens de l'article 5, expédiés ou transportés, par le vendeur ou par l'acquéreur ou pour leur compte en dehors du territoire visé à l'article 3 mais à l'intérieur de la Communauté, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un Etat membre autre que celui du départ de l'expédition ou du transport des biens. " ; qu'aux termes de l'article 262 ter du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions : " I. Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie (...) " ; qu'aux termes du 4 de l'article 283 de ce code : " Lorsque la facture ou le document ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée " ; qu'aux termes du 2 de l'article 272 du même code : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ou le document en tenant lieu " ;

Considérant que si, pour l'application de ces dispositions, un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée disposant de justificatifs de l'expédition des biens à destination d'un autre Etat membre et du numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée de l'acquéreur doit être présumé avoir effectué une livraison intracommunautaire exonérée, cette présomption ne fait pas obstacle à ce que l'administration fiscale puisse établir que les livraisons en cause n'ont pas eu lieu, en faisant notamment valoir que des livraisons, répétées et portant sur des montants importants, ont eu pour destinataire présumé des personnes dépourvues d'activité réelle ; que, toutefois, le droit à exonération de cet assujetti ne peut être remis en cause que s'il est établi, au vu des éléments dont il avait connaissance, qu'il savait ou aurait pu savoir en effectuant les diligences nécessaires, que la livraison intracommunautaire qu'il effectuait le conduisait à participer à une fraude fiscale ;

Considérant qu'aucune disposition n'impose à un assujetti de consulter la base de données des numéros d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, par suite, un assujetti, qui ne dispose pas d'éléments lui permettant de soupçonner l'existence d'une fraude, ne peut voir son droit à exonération remis en cause au seul motif qu'il n'a pas procédé à cette consultation ; que, dès lors, en jugeant, après avoir relevé que les informations dont la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE disposait ne pouvaient la conduire à soupçonner le comportement frauduleux de sa cliente, que l'administration était fondée à remettre en cause l'exonération appliquée à ses opérations, au motif que la seule consultation de cette base de données lui aurait permis d'apprendre que le numéro d'identification fourni par la société Moon Computers n'était pas valide, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société requérante est fondée à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, en l'absence de toute disposition donnant à la consultation de la base de données des numéros d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée un caractère obligatoire, la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE n'était pas tenue de procéder à cette consultation, si les informations dont elle disposait ne pouvaient la conduire à soupçonner le comportement frauduleux de sa cliente ;

Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction et notamment des pièces produites par le ministre pour la première fois devant le Conseil d'Etat, qu'à l'exception de trente-cinq livraisons intracommunautaires facturées à la société Moon Computers admises par l'administration, d'une part, nombre de factures ne sont accompagnées d'aucun justificatif du transport, d'autre part, la plupart des factures de transporteur ne font pas référence aux factures de vente émises par la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE ; qu'en outre, les factures émises par plusieurs transporteurs ne désignent pas la société Moon Computers comme le destinataire des marchandises ; que cette dernière société n'était pas connue en Espagne comme ayant une activité économique en relation avec les marchandises qu'elle a acquises de la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE ; que, compte tenu aussi du nombre important des livraisons intracommunautaires dont la société Moon Computers était supposée être le destinataire, ces données auraient dû inciter la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE à effectuer les diligences nécessaires pour vérifier la régularité de l'activité de son client, notamment par la consultation de la base de données des numéros d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, dès lors, l'administration établit que la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE aurait pu savoir, en effectuant les diligences nécessaires, que la livraison intracommunautaire qu'elle effectuait la conduisait à participer à une fraude fiscale ; que, par suite, son droit à exonération pouvait être remis en cause ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement qu'il attaque, le tribunal administratif de Melun a réduit d'une somme de 1 143 194 euros le rappel de droits de taxe sur la valeur ajoutée réclamé à la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE au titre de la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997 ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 28 novembre 2007 est annulé.

Article 2 : La somme de 1 143 194 euros correspondant au rappel de droits de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE au titre de la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997 est remise à sa charge.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 24 février 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi et la demande de la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE devant le tribunal administratif de Melun, en tant qu'elle porte sur la somme mentionnée à l'article 2, sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ABACUS EQUIPEMENT ELECTRONIQUE, et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 312290
Date de la décision : 25/02/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - TAXES SUR LE CHIFFRE D'AFFAIRES ET ASSIMILÉES - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - EXEMPTIONS ET EXONÉRATIONS - LIVRAISONS INTRACOMMUNAUTAIRES - CAS OÙ LA LIVRAISON EST IMPLIQUÉE DANS UNE FRAUDE COMMISE PAR LE DESTINATAIRE - PERTE DU BÉNÉFICE DE L'EXONÉRATION SI LE FOURNISSEUR SAVAIT OU AURAIT PU SAVOIR QUE LA LIVRAISON INTRACOMMUNAUTAIRE QU'IL EFFECTUAIT LE CONDUISAIT À PARTICIPER À UNE FRAUDE FISCALE [RJ1] - OBLIGATION DE CONSULTER LA BASE DE DONNÉES DES NUMÉROS D'IDENTIFICATION À LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - ABSENCE.

19-06-02-02 Un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) disposant de justificatifs de l'expédition des biens à destination d'un autre Etat membre et du numéro d'identification à la TVA de l'acquéreur doit être présumé avoir effectué une livraison intracommunautaire exonérée. Cette présomption ne fait pas obstacle à ce que l'administration fiscale puisse établir que les livraisons en cause n'ont pas eu lieu, en faisant notamment valoir que des livraisons, répétées et portant sur des montants importants, ont eu pour destinataire présumé des personnes dépourvues d'activité réelle. Le droit à exonération de cet assujetti ne peut être remis en cause que s'il est établi, au vu des éléments dont il avait connaissance, qu'il savait ou aurait pu savoir, en effectuant les diligences nécessaires, que la livraison intracommunautaire qu'il effectuait le conduisait à participer à une fraude fiscale. Toutefois, aucune disposition n'impose à un assujetti de consulter la base de données des numéros d'identification à la TVA. Ainsi, un assujetti qui ne dispose pas d'éléments lui permettant de soupçonner l'existence d'une fraude, ne peut voir son droit à exonération remis en cause au seul motif qu'il n'a pas procédé à cette consultation.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - TAXES SUR LE CHIFFRE D'AFFAIRES ET ASSIMILÉES - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - LIQUIDATION DE LA TAXE - FRAUDE - LIVRAISONS INTRACOMMUNAUTAIRES - CAS OÙ LA LIVRAISON EST IMPLIQUÉE DANS UNE FRAUDE COMMISE PAR LE DESTINATAIRE - PERTE DU BÉNÉFICE DE L'EXONÉRATION SI LE FOURNISSEUR SAVAIT OU AURAIT PU SAVOIR QUE LA LIVRAISON INTRACOMMUNAUTAIRE QU'IL EFFECTUAIT LE CONDUISAIT À PARTICIPER À UNE FRAUDE FISCALE [RJ1] - OBLIGATION DE CONSULTER LA BASE DE DONNÉES DES NUMÉROS D'IDENTIFICATION À LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - ABSENCE.

19-06-02-08-04 Un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) disposant de justificatifs de l'expédition des biens à destination d'un autre Etat membre et du numéro d'identification à la TVA de l'acquéreur doit être présumé avoir effectué une livraison intracommunautaire exonérée. Cette présomption ne fait pas obstacle à ce que l'administration fiscale puisse établir que les livraisons en cause n'ont pas eu lieu, en faisant notamment valoir que des livraisons, répétées et portant sur des montants importants, ont eu pour destinataire présumé des personnes dépourvues d'activité réelle. Le droit à exonération de cet assujetti ne peut être remis en cause que s'il est établi, au vu des éléments dont il avait connaissance, qu'il savait ou aurait pu savoir, en effectuant les diligences nécessaires, que la livraison intracommunautaire qu'il effectuait le conduisait à participer à une fraude fiscale. Toutefois, aucune disposition n'impose à un assujetti de consulter la base de données des numéros d'identification à la TVA. Ainsi, un assujetti qui ne dispose pas d'éléments lui permettant de soupçonner l'existence d'une fraude, ne peut voir son droit à exonération remis en cause au seul motif qu'il n'a pas procédé à cette consultation.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 27 juillet 2005, Société Fauba France, n°s 273619 273620, T. pp. 836-867-1043.


Publications
Proposition de citation : CE, 25 fév. 2011, n° 312290
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jérôme Michel
Rapporteur public ?: Mme Escaut Nathalie
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:312290.20110225
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