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16/03/2011 | FRANCE | N°334289

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 16 mars 2011, 334289


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 décembre 2009 et 2 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE TELEVISION FRANCAISE 1 (TF1), dont le siège est 1 quai du point du jour à Boulogne-Billancourt (92656), représentée par son président directeur général en exercice ; la SOCIETE TF 1 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 29 septembre 2009 du Conseil supérieur de l'audiovisuel rejetant son recours gracieux dirigé contre la décision n° 2009-430 du 16 juin 2009 par laquelle il l'

a mise en demeure de se conformer à l'avenir aux dispositions du point 2 d...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 décembre 2009 et 2 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE TELEVISION FRANCAISE 1 (TF1), dont le siège est 1 quai du point du jour à Boulogne-Billancourt (92656), représentée par son président directeur général en exercice ; la SOCIETE TF 1 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 29 septembre 2009 du Conseil supérieur de l'audiovisuel rejetant son recours gracieux dirigé contre la décision n° 2009-430 du 16 juin 2009 par laquelle il l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir aux dispositions du point 2 de la délibération de ce Conseil du 17 avril 2007 relative à l'intervention des mineurs dans le cadre d'émissions de télévision et à l'article 13 de la convention du 8 octobre 2001, ensemble la décision susvisée du 16 juin 2009 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 février 2011, présentée pour la SOCIETE TF1 ;

Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Desportes, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SOCIETE DE TELEVISION FRANÇAISE 1,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SOCIETE DE TELEVISION FRANÇAISE 1 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 l'exercice de la liberté de communication peut être limité dans la mesure requise, notamment, par le respect de la dignité de la personne humaine, par la protection de l'enfance et de l'adolescence et par la sauvegarde de l'ordre public ; qu'aux termes de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (...) peut adresser aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle (...) des recommandations relatives au respect des principes énoncés dans cette loi ; qu'aux termes de l'article 15 de la loi, Le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille à la protection de l'enfance et de l'adolescence et au respect de la dignité de la personne dans les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle (...) ; que selon l'article 42 de la loi, les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle (...) peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 de ladite loi ; qu'enfin l'article 28 de la loi subordonne la délivrance des autorisations d'usage de la ressource radioélectrique pour un service diffusé par voie hertzienne terrestre à la conclusion d'une convention passée au nom de l'Etat entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la personne qui demande l'autorisation et indique que cette convention précise notamment les prérogatives dont dispose le Conseil pour assurer le respect des obligations conventionnelles ;

Considérant que la convention conclue entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la société TF1 le 8 octobre 2001 stipule en son article 13 que la chaîne s'abstient de solliciter le témoignage de mineurs placés dans des situations difficiles dans leur vie privée, à moins d'assurer une protection totale de leur identité par un procédé technique approprié et de recueillir l'assentiment du mineur ainsi que le consentement d'au moins l'une des personnes exerçant l'autorité parentale ; que, par une délibération du 17 avril 2007 relative à l'intervention de mineurs dans le cadre d'émissions de télévision diffusées en métropole et dans les territoires d'outre-mer , le Conseil supérieur de l'audiovisuel a décidé dans le prolongement des stipulations conventionnelles, d'expliciter les dispositions qui s'imposent à l'ensemble des services de télévision français pour préserver l'épanouissement physique, mental et moral des jeunes participants ; que le point 2 de la délibération dispose que toute participation d'un mineur à une émission de télévision est subordonnée à l'autorisation préalable de tous les titulaires de l'autorité parentale ainsi qu'à l'accord du mineur lui-même dès lors qu'il est capable de discernement ; que son point 4 indique que les services de télévision doivent s'abstenir de solliciter le témoignage d'un mineur placé dans une situation difficile dans sa vie privée lorsqu'il existe un risque de stigmatisation après la diffusion de l'émission, à moins d'assurer une protection totale de son identité (...) par un procédé technique approprié de nature à empêcher son identification ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 18 mai 2008 a été diffusé sur la chaîne TF 1, dans le cadre de l'émission Sept à Huit , un reportage intitulé Enfants à la dérive, les fugueurs du TGV au cours duquel était interrogé un mineur faisant l'objet d'une mesure de placement judiciaire, dont l'identité avait été dissimulée ; que, cette diffusion étant intervenue malgré le refus écrit de la mère du mineur, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, par une décision du 16 juin 2009, après avoir relevé qu'avait été recueilli au cours du reportage le témoignage d'un mineur placé dans une situation difficile de sa vie privée sans l'autorisation expresse des personnes exerçant l'autorité parentale, a mis en demeure la SOCIETE TF 1 de se conformer à l'avenir d'une part aux dispositions du point 2 de la délibération du 17 avril 2007 et d'autre part à l'article 13 de la convention du 8 octobre 2001 ; que, saisi d'un recours gracieux formé contre cette décision par la SOCIETE TF 1, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a rejeté ce recours par une décision du 29 septembre 2009 ; que la SOCIETE TF 1 demande l'annulation de la décision de mise en demeure et de la décision prise sur son recours gracieux ;

Sur la légalité externe :

Considérant qu'aucune disposition, ni aucun principe, ne faisait obligation au Conseil supérieur de l'audiovisuel de motiver la décision du 29 septembre 2009 par laquelle il a rejeté le recours gracieux formé par la SOCIETE TF 1 contre la décision du 16 juin 2009 dont il n'est pas contesté qu'elle était elle-même motivée ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du 29 septembre 2009 doit être écarté ;

Sur la légalité interne :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des stipulations précitées de l'article 13 de la convention, que la SOCIETE TF1 s'est engagée, lorsqu'elle envisage de diffuser le témoignage d'un mineur placé dans une situation difficile dans sa vie privée, à garantir l'anonymat de l'intéressé et à recueillir préalablement, conformément aux prévisions du code civil, l'autorisation parentale ; que la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 17 avril 2007 a rappelé cette double exigence dans ses points 2 et 4 qui énoncent des règles cumulatives ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'autorisation parentale n'aurait pas été préalablement requise avant la diffusion du reportage litigieux et de ce que les décisions contestées méconnaîtraient la délibération du 17 avril 2007 doit être rejeté ;

Considérant, en deuxième lieu, que si les stipulations du paragraphe 1 de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaissent à toute personne le droit à la liberté d'expression , il résulte du paragraphe 2 du même article que l'exercice de cette liberté peut être soumis à des restrictions prévues par la loi et justifiées, notamment, par la nécessité d'assurer la protection des droits d'autrui ; qu'entre dans les prévisions de ce paragraphe l'interdiction énoncée tant par l'article 13 de la convention du 8 octobre 2001 précitée que par la délibération du 17 avril 2007, de diffuser, sans l'autorisation des titulaires de l'autorité parentale, une émission à laquelle participe un mineur en situation difficile dans sa vie privée ; que la circonstance que cette règle s'impose même dans les cas où l'identité du mineur serait dissimulée, ne constitue pas, au regard de la nécessité de la protection de l'enfance et de l'adolescence une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression en l'absence d'un motif d'intérêt général susceptible de justifier que l'autorisation des titulaires de l'autorité parentale ne soit pas recueillie ; que l'existence d'un tel motif n'est, en l'espèce, ni établi, ni même invoqué ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les décisions attaquées seraient contraires à l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être rejeté ;

Considérant, en troisième lieu, que les décisions attaquées ne méconnaissent pas davantage les dispositions de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les stipulations de l'article 13 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;

Considérant enfin que, ni la circonstance que le ministre de la justice ait fait connaître, par un courrier du 19 juin 2009 adressé à la SOCIETE TF1, qu'il regrettait la saisine du Conseil supérieur de l'audiovisuel par ses services, ni, à le supposer établi, le fait que les titulaires de l'autorité parentale n'aient pas présenté de réclamation à la suite de cette diffusion, ne sont de nature à affecter la légalité des décisions contestées ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE TF 1 n'est pas fondée à demander l'annulation, des décisions du Conseil supérieur de l'audiovisuel des 16 juin et 29 septembre 2009 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la SOCIETE TF 1 et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la SOCIETE TF 1 est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE TF1 et au Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Copie en sera adressée pour information au ministre de la culture et de la communication.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 334289
Date de la décision : 16/03/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION (ART - 10) - RESTRICTIONS AUTORISÉES PAR LA CONVENTION - INTERDICTION DE DIFFUSER SANS L'AUTORISATION DES TITULAIRES DE L'AUTORITÉ PARENTALE UNE ÉMISSION À LAQUELLE PARTICIPE UN MINEUR EN SITUATION DIFFICILE.

26-055-01 L'interdiction de diffuser sans l'autorisation des titulaires de l'autorité parentale une émission à laquelle participe un mineur en situation difficile dans sa vie privée ne méconnaît pas le droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont le paragraphe 2 prévoit qu'il peut être soumis à des restrictions prévues par la loi et justifiées par la nécessité d'assurer la protection des droits d'autrui.

RADIODIFFUSION SONORE ET TÉLÉVISION - CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL - PROTECTION DES MINEURS - MISE EN DEMEURE DU CSA À UNE SOCIÉTÉ DE TÉLÉVISION IMPOSANT UNE AUTORISATION PARENTALE PRÉALABLE ET UNE GARANTIE DE L'ANONYMAT D'UN MINEUR EN SITUATION DIFFICILE.

56-01 Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) peut légalement mettre en demeure une société de télévision de respecter une délibération relative à l'intervention de mineurs dans le cadre d'émissions de télévision qu'il a adoptée ainsi que les termes de la convention qu'il a passée avec cette société pour exiger, avant la diffusion du témoignage d'un mineur en situation difficile, qu'elle recueille l'accord préalable des parents de celui-ci et qu'elle garantisse une protection totale de son identité.


Publications
Proposition de citation : CE, 16 mar. 2011, n° 334289
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Frédéric Desportes
Rapporteur public ?: Mme Lieber Sophie-Justine
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:334289.20110316
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