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15/04/2011 | FRANCE | N°322956

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 15 avril 2011, 322956


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 décembre 2008 et 4 mars 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE USINE DU MARIN, dont le siège est chez Azurel à Marin (97290), la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND, dont le siège est chez Azurel à Marin (97290), et M. Jean-Michel A, demeurant au ... ; la SOCIETE USINE DU MARIN, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et M. A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07BX00130 du 2 septembre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'un

e part, annulé le jugement du 26 janvier 2006 du tribunal administr...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 décembre 2008 et 4 mars 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE USINE DU MARIN, dont le siège est chez Azurel à Marin (97290), la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND, dont le siège est chez Azurel à Marin (97290), et M. Jean-Michel A, demeurant au ... ; la SOCIETE USINE DU MARIN, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et M. A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07BX00130 du 2 septembre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, annulé le jugement du 26 janvier 2006 du tribunal administratif de Fort-de-France ayant condamné la commune de Sainte-Anne (Martinique) à leur verser la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice résultant notamment de la délibération du 24 septembre 1993 par laquelle le conseil municipal de la commune a modifié l'emprise de la 4ème tranche d'aménagement de la zone d'aménagement concerté de Belfond et, d'autre part, rejeté leur demande et leur appel incident ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Sainte-Anne le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Flauss, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Didier, Pinet, avocat de la SOCIETE USINE DU MARIN et autres et de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la commune de Sainte-Anne,

- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Didier, Pinet, avocat de la SOCIETE USINE DU MARIN et autres et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la commune de Sainte-Anne ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par deux arrêtés du 4 mars 1985, le préfet de Martinique a, d'une part, créé sur le territoire de la commune de Sainte-Anne une zone d'aménagement concerté, dénommée zone d'aménagement concerté de Belfond, et d'autre part, approuvé son plan d'aménagement ; que, par une convention signée le 22 février 1985, la commune a entendu confier à la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND l'aménagement et l'équipement de la zone ; que, toutefois, la quatrième tranche des travaux n'ayant pu être réalisée, la SOCIETE USINE DU MARIN, propriétaire du terrain d'assiette de la zone, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et M. A, gérant de ces deux sociétés, ont sollicité de la commune de Sainte-Anne le versement d'une somme de 11 082 930 F (1 689 581 euros) en réparation du préjudice que leur aurait causé le comportement adopté par la commune pour bloquer la réalisation de cette tranche, et notamment la délibération du conseil municipal du 24 septembre 1993 décidant la modification de l'emprise de la zone d'aménagement concerté, annulée par un jugement du tribunal administratif de Fort-de-France en date du 2 décembre 1997 ; que la SOCIETE USINE DU MARIN, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et M. A se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 2 septembre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 26 janvier 2006 ayant fait droit à leur demande d'indemnisation à hauteur de 150 000 euros et a rejeté cette demande ainsi que leurs conclusions incidentes tendant à la condamnation de la commune au versement de l'intégralité de la somme sollicitée ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'avis de réception du pli recommandé portant notification du jugement du tribunal administratif de Fort-de-France, adressé à la commune de Sainte-Anne, comporte le cachet apposé par le bureau de poste de Sainte-Anne lors de son expédition au tribunal administratif, le 13 novembre 2006 ; qu'en l'absence de mention de la date de distribution du pli, celle-ci doit être regardée comme ayant eu lieu au plus tard à la date figurant sur le cachet de la poste apposé sur l'avis de réception lors de son envoi à l'expéditeur ; qu'il en résulte que le pli recommandé, qui a bien été distribué à la commune comme en atteste la signature apposée dans la case signature du destinataire, dont il n'est pas contesté qu'elle est celle d'un agent de la commune, l'a été au plus tard le 13 novembre 2006 ; que, par suite, ainsi que le font valoir les requérants par un moyen qui n'est pas inopérant, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt de dénaturation en considérant que la date de départ du délai d'appel n'était pas connue ; que, dès lors, la SOCIETE USINE DU MARIN, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et M. A sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 2 septembre 2008 ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Sur la recevabilité de l'appel de la commune de Sainte-Anne :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4 ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 811-5 du même code, dans sa rédaction alors applicable : Les délais supplémentaires de distance prévus aux articles 643 et 644 du nouveau code de procédure civile s'ajoutent aux délais normalement impartis ; qu'aux termes de l'article 643 du nouveau code de procédure civile alors applicable : Lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais (...) d'appel (...) sont augmentés de : / 1. Un mois pour les personnes qui demeurent dans un département d'outre-mer (...) ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le délai dont la commune de Sainte-Anne disposait pour faire appel du jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 26 janvier 2006 courait à compter du 13 novembre 2006 ; qu'ainsi, son appel enregistré le 17 janvier 2007 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, soit dans le délai de trois mois résultant de la combinaison des dispositions précitées du code de justice administrative et du nouveau code de procédure civile, n'était pas tardif ;

Sur l'appel de la commune de Sainte-Anne :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale ;

Considérant que, par jugement du 2 décembre 1997, le tribunal administratif de Fort-de-France a annulé la délibération du 24 septembre 1993 modifiant l'emprise de la quatrième tranche de la ZAC de Belfond, pour n'avoir pas respecté les formes prescrites pour procéder à cette modification ; que par le jugement attaqué du 26 janvier 2006, ce même tribunal a considéré que cette délibération n'était pas justifiée par des impératifs de sécurité publique et que les manoeuvres successives de la municipalité, bloquant l'opération pendant près de dix ans, constituaient une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Sainte-Anne ;

Considérant, en premier lieu, que si l'intervention d'une décision illégale constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de son auteur, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cadre d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise ; qu'il résulte de l'instruction que si les terrains d'assiette de la quatrième tranche de la zone d'aménagement concerté de Belfond sont situés dans une zone où les conséquences sur le bâti des risques d'inondation pourraient être prévenues par des mesures de protection, l'interdiction des constructions y est toutefois justifiée par le souci de ne pas aggraver les risques auxquels sont exposées les constructions voisines existantes ; qu'un tel motif pouvait légalement justifier la modification de l'acte de création de la zone, dans les formes prescrites pour sa création, sur le fondement de l'article R. 311-32 du code de l'urbanisme alors applicable ;

Considérant, en second lieu, que, si la commune de Sainte-Anne avait, dès le 26 mai 1989, mis en oeuvre la procédure de révision du plan d'occupation des sols puis, par délibération du 15 mai 1992, approuvé la révision de ce plan classant les terrains litigieux en zone 2ND inconstructible, avant de retirer, par délibération du 30 juillet 1993 prise sur demande du sous-préfet intervenant dans le cadre du contrôle de légalité, la disposition prononçant ce classement, il ne résulte pas de l'instruction que la commune puisse ainsi être regardée comme s'étant livrée à une manoeuvre, constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Sainte-Anne est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Fort-de-France a estimé qu'elle avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard des requérants ; qu'il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les demandes indemnitaires présentées par la SOCIETE USINE DU MARIN, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et M. A sur le terrain de la responsabilité sans faute devant le tribunal administratif de Fort-de-France ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la convention du 22 février 1985 par laquelle la commune de Sainte-Anne a confié à la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND l'aménagement de la zone d'aménagement concerté de Belfond n'avait pas recueilli l'approbation préfectorale conformément aux dispositions de l'article R. 311-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur ; qu'en ces circonstances, ayant engagé les travaux de la quatrième tranche de la zone d'aménagement concerté sans titre définitif, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND a pris un risque qu'il lui appartient d'assumer ; qu'en tout état de cause, elle ne justifie ainsi d'aucun préjudice grave et spécial du fait de la modification du plan d'occupation des sols de la commune de Sainte-Anne puis de la modification de l'emprise de la zone d'aménagement concertée dans les conditions décrites ci-dessus ; que par suite, elle ne saurait se prévaloir d'une rupture d'égalité devant les charges publiques de nature à engager la responsabilité de la commune de Sainte-Anne ;

Considérant que ni la SOCIETE USINE DU MARIN, ni M. A n'établissent pour leur part, en tout état de cause, avoir exposé des dépenses en vue de la réalisation de l'aménagement de la quatrième tranche de la zone d'aménagement concerté ;

Considérant que les demandes de la SOCIETE USINE DU MARIN, de la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et de M. A devant le tribunal administratif doivent dès lors être rejetées ;

Sur les conclusions d'appel incident de la SOCIETE USINE DU MARIN, de la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et de M. A :

Considérant que, par la voie de l'appel incident contre le jugement du 26 janvier 2006, la SOCIETE USINE DU MARIN, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et M. A demandent que la commune de Sainte-Anne soit condamnée à leur verser une indemnité supérieure à celle allouée par les premiers juges ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, d'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Sainte-Anne, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que les requérants demandent à ce titre ; que, d'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SOCIETE USINE DU MARIN, de la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et de M. A le versement de la somme que la commune de Sainte-Anne demande en application de ces dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 2 septembre 2008 est annulé.

Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 26 janvier 2006 est annulé.

Article 3 : La demande présentée par la SOCIETE USINE DU MARIN, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et M. A devant le tribunal administratif ainsi que leur appel incident sont rejetés.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Sainte-Anne tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées tant devant le Conseil d'Etat que devant la cour administrative d'appel de Bordeaux par la SOCIETE USINE DU MARIN, la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND et M. A et par la commune de Sainte-Anne est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE USINE DU MARIN, à la SOCIETE D'AMENAGEMENT DE BELFOND, à M. Jean-Michel A et à la commune de Sainte-Anne.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 322956
Date de la décision : 15/04/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 avr. 2011, n° 322956
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Flauss
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET ; SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:322956.20110415
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