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20/04/2011 | FRANCE | N°344714

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 20 avril 2011, 344714


Vu le pourvoi, enregistré le 3 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT, représentée par son maire ; la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n°10BX02237 et n°10BX02238 du 15 octobre 2010 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur sa requête tendant au sursis à exécution de l'ordonnance du juge des réf

rés du tribunal administratif de Basse-Terre en date du 12 juillet 2010...

Vu le pourvoi, enregistré le 3 décembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT, représentée par son maire ; la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n°10BX02237 et n°10BX02238 du 15 octobre 2010 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur sa requête tendant au sursis à exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre en date du 12 juillet 2010 et rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'ordonnance du 12 juillet 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre l'a condamnée à verser à la société Serco une provision de 48 891,32 euros en paiement d'une facture correspondant à l'exécution d'un marché de location de journaux électroniques et en réparation du préjudice subi par cette société à la suite de la résiliation anticipée de ce marché ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Serco le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Balat, avocat de la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT et de la SCP Coutard, Mayer, Munier-Apaire, avocat de la société Serco,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Balat, avocat de la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT et à la SCP Coutard, Mayer, Munier-Apaire, avocat de la société Serco ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT a conclu en 1991 avec la société Serco un marché de mobilier urbain ayant pour objet la location de trois journaux électroniques d'information pour une durée de dix ans ; que ce contrat a été renouvelé en 2001, puis en 2006, en application d'une clause de tacite reconduction d'une durée de cinq ans ; que, par une ordonnance du 12 juillet 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre a condamné la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT à verser à la société Serco une provision de 48 891,32 euros en paiement d'une facture correspondant à l'exécution de ce marché au titre des quatre premiers mois de l'année 2009 et en réparation du préjudice subi par cette société à la suite de la résiliation anticipée de ce marché prononcée par la commune le 29 avril 2009 ; que la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 15 octobre 2010 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre ;

Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d'une part à la gravité de l'illégalité et d'autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;

Considérant que, pour retenir que le litige opposant la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT à la société Serco pouvait être réglé sur le fondement du contrat, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a d'abord considéré que l'irrégularité alléguée relative à la passation du marché, tenant au recours à la procédure négociée prévue par l'article 312 bis du code des marchés publics alors en vigueur en méconnaissance des conditions fixées par cet article, se rattachait à la procédure de choix du cocontractant et ne concernait ni le contenu du contrat ni les conditions dans lesquelles les parties avaient donné leur consentement ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la gravité de cette irrégularité et les circonstances dans lesquelles elle avait été commise n'imposaient pas d'écarter le contrat pour le règlement du litige, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte ce qui précède que l'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 15 octobre 2010 doit être annulée ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ;

Considérant que, pour condamner la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT à verser à la société Serco une provision, le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre a considéré que l'obligation dont se prévalait cette dernière sur le fondement du contrat la liant à la commune n'était pas sérieusement contestable à hauteur du montant de 48 891,32 euros ;

Considérant que le contrat dont la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT invoque l'application a été conclu en 2006 en application de la clause de tacite reconduction présente dans le contrat initialement conclu en 1991 avec la société Serco ; que, toutefois, l'irrégularité tenant à la conclusion du contrat en application d'une clause de tacite reconduction, eu égard à sa gravité et sans même que le juge du référé provision, compte tenu de son office, ait à examiner les circonstances dans lesquelles elle a été commise, ne permet pas de regarder l'obligation qui découlerait de ce contrat comme non sérieusement contestable ; que, par suite, la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre a considéré que l'obligation dont se prévalait la société Serco sur le fondement du contrat la liant à la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT, reconduit en 2006 en application de la clause de tacite reconduction, n'était pas sérieusement contestable et l'a condamnée sur ce fondement à verser une provision de 48 891,32 euros à cette dernière ;

Considérant qu'il y a lieu d'examiner, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, l'autre moyen soulevé par la société Serco et tenant au caractère non sérieusement contestable de la créance dont elle se prévaut sur la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT au titre de l'enrichissement sans cause de cette dernière ;

Considérant en premier lieu que la société Serco ne peut, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, prétendre au versement de l'indemnité de résiliation prévue par l'article 6 du contrat la liant à la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT ; que, par suite, l'obligation dont la société Serco se prévaut au titre des conséquences indemnitaires de la résiliation du marché ne peut être regardée comme non sérieusement contestable ; qu'il n'y a donc pas lieu de condamner la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT à lui verser une provision au titre de ces conséquences ;

Considérant en second lieu que la réalité et l'utilité des prestations de mise à disposition de journaux électroniques au titre de la période du 1er janvier au 29 avril 2009 ne sont pas contestées par la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT ; que, compte tenu de la contestation portant sur le montant de la créance, l'obligation dont se prévaut la société Serco au titre de ces prestations doit être regardée comme non sérieusement contestable à hauteur de 10 000 euros ; qu'il y a lieu en conséquence de condamner la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT à lui verser une provision de ce montant ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de faire droit aux conclusions de la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT tendant à la constitution de garanties, que celle-ci doit être condamnée à verser à la société Serco une provision de 10 000 euros ; que cette somme portera intérêts à compter du 29 décembre 2009, date à laquelle la société Serco en a demandé le paiement à la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT ; que la société, dont la demande de capitalisation des intérêts a été présentée dans sa requête introductive d'instance enregistrée le 6 avril 2010 au greffe du tribunal administratif de Basse-Terre, a également droit, en application de l'article 1154 du code civil, à la capitalisation des intérêts à compter du 7 avril 2011, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT la somme demandée par la société Serco au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu non plus de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la société Serco ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 15 octobre 2010 est annulée.

Article 2 : La COMMUNE DE BAIE-MAHAULT est condamnée à verser à la société Serco une provision de 10 000 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 29 décembre 2009. Les intérêts de la provision échus à la date du 7 avril 2011 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date.

Article 3 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre du 12 juillet 2010 est réformée en ce qu'elle a de contraire au précédent article.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT et la société Serco au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT et à la société Serco.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 20 avr. 2011, n° 344714
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Frédéric Dieu
Rapporteur public ?: M. Dacosta Bertrand
Avocat(s) : BALAT ; SCP COUTARD, MAYER, MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Date de la décision : 20/04/2011
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 344714
Numéro NOR : CETATEXT000023897747 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2011-04-20;344714 ?
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