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27/04/2011 | FRANCE | N°320999

France | France, Conseil d'État, 3ème sous-section jugeant seule, 27 avril 2011, 320999


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 24 septembre 2008 et le 15 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Serge A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0700442-3 du 15 juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 28 septembre 2006 de la Caisse des dépôts et consignations, chargée de la gestion de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, rejetant sa

demande de départ anticipé à la retraite et, d'autre part, à ce qu'i...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 24 septembre 2008 et le 15 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Serge A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0700442-3 du 15 juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 28 septembre 2006 de la Caisse des dépôts et consignations, chargée de la gestion de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, rejetant sa demande de départ anticipé à la retraite et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à ladite Caisse de liquider ses droits à pension ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, notamment son article 136 ;

Vu le décret n° 2005-449 du 10 mai 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Foussard, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Foussard, avocat de M. A,

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A, ouvrier professionnel qualifié au centre hospitalier Mémorial France Etats-Unis de Saint-Lô, père de trois enfants, a demandé, le 18 août 2004, à être mis à la retraite avec jouissance immédiate de la pension à compter du 1er septembre 2004 ; que M. A se pourvoit en cassation contre le jugement du 15 juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande présentée le 23 février 2007 tendant à l'annulation des décisions de la Caisse des dépôts et consignations des 28 septembre 2006 et 22 janvier 2007 rejetant sa demande de mise à la retraite avec jouissance immédiate de la pension et à ce qu'il soit enjoint à la Caisse des dépôts et consignations de liquider ses droits à pension ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'en vertu du 1° de l'article L. 4 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le droit à pension est acquis aux fonctionnaires après quinze années accomplies de services civils et militaires effectifs ; que, par dérogation aux dispositions du 1° du I de l'article L. 24 du même code subordonnant la jouissance de la pension à des conditions d'âge, celles du a) du 3° de ce I, dans leur rédaction antérieure à l'intervention de la loi du 30 décembre 2004, ouvrent à toute femme fonctionnaire, mère de trois enfants et justifiant de cette condition de services effectifs, le droit de prendre sa retraite avec jouissance immédiate de sa pension ; que, toutefois, le principe d'égalité des rémunérations résultant des stipulations de l'article 119 du traité instituant la Communauté économique européenne, devenu l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, puis l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, impose de reconnaître le même droit aux fonctionnaires masculins, pères de trois enfants, remplissant la même condition de services effectifs ;

Considérant, il est vrai, qu'aux termes de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004, modifiant les règles de liquidation immédiate de la pension prévues par les dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite : I.- Le 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite est ainsi rédigé : / 3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, ou d'un enfant vivant, âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 %, à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / Sont assimilées à l'interruption d'activité mentionnée à l'alinéa précédent les périodes n'ayant pas donné lieu à cotisation obligatoire dans un régime de retraite de base, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (...) ; que ces dispositions sont entrées en vigueur à la suite de l'intervention du décret du 10 mai 2005 définissant, pour les hommes comme pour les femmes, les conditions d'interruption de l'activité ouvrant droit à la jouissance immédiate de la pension ; qu'en vertu du II du même article 136, selon lequel Les dispositions du I sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée , ces nouvelles règles s'appliquent en principe aux fonctionnaires qui ont déposé une demande de jouissance immédiate de leur pension avant l'entrée en vigueur de ce texte, sans bénéficier d'une décision de justice passée en force de chose jugée ;

Mais considérant que les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales font obstacle, en l'absence de tout motif impérieux d'intérêt général pouvant justifier cette rétroactivité, à ce qu'elle soit appliquée à un requérant remplissant les conditions antérieurement applicables qui a présenté, avant la publication de la loi du 30 décembre 2004, une demande qui a donné lieu à une décision de refus avant le 12 mai 2005 ;

Considérant que, devant le tribunal, M. A a soutenu que l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004, ne pouvait lui être appliqué rétroactivement sauf à méconnaître les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en ne recherchant pas, pour s'assurer du bien-fondé de la demande de M. A, si celui-ci avait sollicité sa mise à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension avant la date de publication de la loi du 30 décembre 2004 et si cette demande avait donné lieu à une décision de refus avant le 12 mai 2005, le tribunal a méconnu son office et a commis une erreur de droit ; que, par suite, M. A est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation du jugement attaqué ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Sur la demande tendant à l'obtention de la jouissance anticipée d'une pension de retraite :

Considérant que la requête de M. A doit être regardée comme dirigée en réalité non contre les décisions de la Caisse des dépôts et consignations des 28 septembre 2006 et 22 janvier 2007 mais contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Caisse des dépôts et consignations plus de deux mois après la demande d'admission à la retraite avec jouissance immédiate de la pension déposée le 18 août 2004 par le requérant ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A a demandé avant la date de publication de la loi du 30 décembre 2004 sa mise à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension ; qu'une décision de rejet implicite est née, avant le 12 mai 2005, du silence gardé pendant plus de deux mois par la Caisse des dépôts et consignations sur cette demande ; que dès lors, M. A est fondé à soutenir que les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales font obstacle à ce que les dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans leur rédaction issue de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004, lui soient appliquées rétroactivement ;

Considérant que les droits du fonctionnaire relatifs au point de départ de la jouissance de sa pension de retraite doivent être légalement appréciés à la date à compter de laquelle l'intéressé demande à bénéficier de cette pension ; qu'il en résulte que les droits à pension de M. A doivent s'apprécier au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables à la date du 1er septembre 2004 ; que M. A est donc fondé à demander à son profit, pour la jouissance d'une pension de retraite, le bénéfice du régime applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004 ; que le a) du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction alors applicable, institue la jouissance immédiate de la pension et en réserve le bénéfice aux femmes fonctionnaires lorsqu'elles sont mères de trois enfants vivants ou décédés par faits de guerre ou les ont élevés pendant au moins neuf ans ; que le principe d'égalité des rémunérations résultant des stipulations de l'article 119 du traité instituant la Communauté économique européenne, devenu l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, puis l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'oppose, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à ce que la jouissance immédiate d'une pension de retraite, accordée aux personnes qui ont assuré l'éducation de trois enfants au moins, soit réservée aux femmes, alors que les hommes ayant assuré l'éducation de trois enfants au moins seraient exclus du bénéfice de cette mesure ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et qu'il n'est pas contesté, que M. A, qui totalise plus de quinze années de service, a assuré la charge de ses trois enfants et en a assuré l'éducation ; que M. A a droit à la jouissance immédiate de sa pension de retraite au 1er septembre 2004 ; qu'il est donc fondé à demander l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Caisse des dépôts et consignations sur sa demande d'admission à la retraite avec jouissance immédiate de la pension déposée le 18 août 2004 ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et, sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de fixer ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. A a droit à la jouissance immédiate de sa pension à compter du 1er septembre 2004 ; qu'il y a lieu, dès lors, de prescrire à la Caisse des dépôts et consignations de procéder, dans les deux mois de la notification de la présente décision, à la liquidation de ses droits à pension en fonction de sa situation à cette date ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations le versement à M. A de la somme de 3 000 euros ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du 15 juillet 2008 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 2 : La décision implicite de rejet née du silence gardé par la Caisse des dépôts et consignations sur la demande d'admission à la retraite avec jouissance immédiate de la pension déposée le 18 août 2004 par M. A est annulée.

Article 3 : M. A est renvoyé devant la Caisse des dépôts et consignations afin qu'il soit procédé, dans les deux mois de la notification de la présente décision, à la liquidation de sa pension de retraite à compter du 1er septembre 2004.

Article 4 : La Caisse des dépôts et consignations versera à M. A la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Serge A et à la Caisse des dépôts et consignations.

Copie en sera adressée pour information au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.


Synthèse
Formation : 3ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 320999
Date de la décision : 27/04/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 27 avr. 2011, n° 320999
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Ménéménis
Rapporteur ?: M. Christian Fournier
Rapporteur public ?: Mme Cortot-Boucher Emmanuelle
Avocat(s) : FOUSSARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:320999.20110427
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