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09/05/2011 | FRANCE | N°341117

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 09 mai 2011, 341117


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juillet et 4 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour MM. Jean-Paul et Bruno A, demeurant ... ; MM. A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0802780 du 3 mai 2010 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi en exécution d'un arrêt de la cour d'appel de Paris, a déclaré illégal l'article 38 du traité du 24 février 1965 par lequel la commune du Raincy a confié à Mme Géraud, dont ils sont les ayants droit, l'exploitation des mar

chés publics communaux, en tant que cet article fixe de manière impérati...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juillet et 4 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour MM. Jean-Paul et Bruno A, demeurant ... ; MM. A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0802780 du 3 mai 2010 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi en exécution d'un arrêt de la cour d'appel de Paris, a déclaré illégal l'article 38 du traité du 24 février 1965 par lequel la commune du Raincy a confié à Mme Géraud, dont ils sont les ayants droit, l'exploitation des marchés publics communaux, en tant que cet article fixe de manière impérative la révision des droits de place ;

2°) de déclarer la juridiction administrative incompétente pour connaître de la question préjudicielle renvoyée par l'autorité judiciaire ou, à titre subsidiaire, de déclarer que la clause de révision des droits de place contenue à l'article 38 du traité de concession n'a qu'une valeur indicative en tant qu'elle concerne les tarifs des droits de place effectivement mis en oeuvre auprès des usagers, que cette clause constitue la mesure de l'équilibre financier de la convention et que la commune est tenue d'indemniser son cocontractant du préjudice qui lui a été causé par la modification unilatérale du contrat résultant de son refus d'appliquer la clause de révision contractuelle ;

3°) de mettre à la charge de la commune du Raincy la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des communes ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le décret du 17 mai 1809 relatif aux octrois municipaux et de bienfaisance ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Le Prado, avocat de MM. A,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat de MM. A ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

Considérant que l'article 136 du décret du 17 mai 1809 relatif aux octrois municipaux et de bienfaisance, applicable aux droits de places perçus dans les halles et marchés, attribue spécialement compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur toutes les contestations qui pourraient s'élever entre les communes et les fermiers de ces taxes indirectes, sauf renvoi préjudiciel à la juridiction administrative sur le sens et la légalité des clauses contestées des baux ; qu'il s'ensuit que, contrairement à ce que soutiennent MM. A, la juridiction administrative, saisie en exécution d'une décision de renvoi de l'autorité judiciaire, est compétente pour apprécier la légalité d'une clause contractuelle d'indexation des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés ; qu'il revient en revanche à la seule autorité judiciaire, lorsqu'elle est saisie par une commune et son fermier d'un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, d'apprécier si elle doit écarter le contrat et renoncer à régler le litige sur le terrain contractuel, eu égard à l'illégalité constatée, le cas échéant, par la juridiction administrative ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu'en vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n'appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité d'un acte administratif, de trancher d'autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l'autorité judiciaire ; qu'il suit de là que, lorsque la juridiction de l'ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre de cet acte ; que ce n'est que dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l'ordre judiciaire n'a limité la portée de la question qu'elle entend soumettre à la juridiction administrative, que cette dernière doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été invoqués dans l'instance judiciaire, ainsi que les moyens qu'il lui revient de relever d'office, après avoir fait application, dans ce cas, des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que par un arrêt du 15 janvier 2008, la cour d'appel de Paris, saisie d'un litige opposant la commune du Raincy à MM. A et Mme Françoise Auguste, relatif au préjudice subi par ces derniers du fait de l'absence d'augmentation, depuis 1990, des droits de place payés par les commerçants usagers des marchés publics communaux dont ils assuraient contractuellement l'exploitation, a sursis à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la question préjudicielle de la légalité des stipulations de l'article 38 du contrat conclu entre la commune du Raincy et Mme Géraud, aux droits de laquelle viennent les consorts Auguste, en tant qu'elles s'appliquent à ces droits de place ; que par les motifs de son arrêt, la cour d'appel de Paris a énoncé le moyen invoqué devant elle qui lui paraissait justifier le renvoi, tiré de l'illégalité d'une clause contractuelle donnant une valeur impérative à un mécanisme de révision des tarifs de droits de nature fiscale ;

Considérant qu'il en résulte qu'en déclarant l'article 38 du contrat illégal en tant qu'il fixe de façon impérative la révision des droits de place, après avoir interprété cette clause comme ayant un caractère contraignant et nécessairement écarté l'argumentation contraire de MM. A, et en rejetant comme irrecevables les conclusions tendant à ce qu'il déclare que la clause de révision constitue la mesure de l'équilibre financier de la convention ou que la commune est tenue d'indemniser son cocontractant du préjudice qui lui a été causé par la modification unilatérale du contrat résultant de son refus d'appliquer la clause de révision contractuelle, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise n'a pas méconnu la portée de la question préjudicielle renvoyée par l'autorité judiciaire, ni celle des conclusions dont il était saisi ;

Sur la légalité des stipulations en cause :

Considérant qu'il résulte tant des dispositions du décret du 17 mai 1809 mentionné ci-dessus, que de celles de l'article L. 2331-3 du code général des collectivités territoriales, qui reprennent celles de l'article L. 231-5 du code des communes, en vigueur à la date où le litige est né, relatives aux recettes fiscales facultatives de la section de fonctionnement du budget communal, que le produit des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés présente le caractère d'une recette fiscale de la commune ; qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 2224-18 du code général des collectivités territoriales, dont les dispositions reprennent celles de l'article L. 376-2 du code des communes : Le régime des droits de place et de stationnement sur les halles et les marchés est défini conformément aux dispositions d'un cahier des charges ou d'un règlement établi par l'autorité municipale après consultation des organisations professionnelles intéressées ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales, identiques à ceux du premier alinéa de l'article L. 121-26 du code des communes : Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que seul le conseil municipal est compétent pour arrêter des modalités de révision de droits de nature fiscale tels que les droits de place perçus dans les halles, foires et marchés ; que ces modalités de révision ne peuvent résulter des stipulations impératives d'un contrat passé par la commune ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 38 du contrat en cause : Les tarifs des droits de place, de stationnement ou de déchargement, seront modifiés dans les mêmes proportions que les tarifs se rapportant à la location du matériel, mais les modifications ne seront applicables qu'après décision du conseil municipal. ; qu'aux termes de l'article 37 du même contrat : En raison de la situation économique pouvant se présenter dans le cours de l'exploitation, il est convenu que les tarifs des droits de location des abris, tables et tréteaux, ainsi que ceux de resserre, seront révisés chaque fois que les charges de l'exploitation feront apparaître une modification de huit pour cent par rapport à l'époque de la révision précédente sans toutefois, en cas de baisse, revenir à des tarifs inférieurs à ceux initialement fixés. / Pour faciliter l'application de cette clause, les parties décident, à défaut de justifications particulières qui auraient pu avoir une influence sensible sur l'application de la révision, de modifier les conditions proportionnellement aux variations constatées en fonction de la formule suivante : (...) ; que, dans les termes dans lesquels sont rédigées ces stipulations, la clause de révision contenue à l'article 38 revêt, en dépit de la réserve prévoyant que les modifications de tarifs ne sont applicables qu'après décision du conseil municipal, un caractère impératif ; que, dès lors, MM. A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déclaré illégal l'article 38 du contrat en tant qu'il fixe la révision des droits de place ;

Sur les conclusions d'appel incident de la commune du Raincy :

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, il n'appartient pas à la juridiction administrative, saisie sur renvoi préjudiciel ordonné par l'autorité judiciaire, de trancher des questions autres que celles qui ont été renvoyées par cette autorité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel de Paris n'a renvoyé à la juridiction administrative que la question préjudicielle de la légalité des stipulations de l'article 38 du contrat, en tant qu'elles s'appliquent aux droits de place perçus dans les marchés de la commune, au regard du moyen tiré de l'illégalité d'une clause contractuelle donnant une valeur impérative à un mécanisme de révision des tarifs de droits de nature fiscale ; que, par suite, la commune du Raincy n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par MM. A à l'encontre de telles conclusions d'appel, que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à ce que les consorts A soient déclarés irrecevables à contester le montant des droits de place résultant des délibérations du conseil municipal pendant la durée du contrat ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune du Raincy, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par MM. A et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de MM. A le versement à la commune du Raincy de la somme globale de 3 000 euros ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de MM. A est rejetée.

Article 2 : MM. A verseront à la commune du Raincy la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune du Raincy est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à MM. Jean-Paul et Bruno A et à la commune du Raincy.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 341117
Date de la décision : 09/05/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 09 mai. 2011, n° 341117
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Philippe Martin
Rapporteur ?: M. Nicolas Polge
Rapporteur public ?: M. Bertrand Dacosta
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:341117.20110509
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