La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/05/2011 | FRANCE | N°328905

France | France, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 27 mai 2011, 328905


Vu, 1° sous le n° 328905, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 juin et 21 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS, dont le siège est 11, place Dauphine à Paris Cedex 01 (75053) ; l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 relatif à la détermination du capital social et des sommes versées en compte courant d'associés des sociétés d'exercice libéral pour l'application de l'arti

cle L. 131-6 du code de la sécurité sociale ;

Vu, 2° sous le n° 3289...

Vu, 1° sous le n° 328905, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 juin et 21 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS, dont le siège est 11, place Dauphine à Paris Cedex 01 (75053) ; l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 relatif à la détermination du capital social et des sommes versées en compte courant d'associés des sociétés d'exercice libéral pour l'application de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale ;

Vu, 2° sous le n° 328937, la requête, enregistrée le 17 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, dont le siège est 22, rue de Londres à Paris (75009) ; le CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu, 3° sous le n° 328938, la requête, enregistrée le 17 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'ASSOCIATION AVOCATS CONSEILS D'ENTREPRISES, dont le siège est 114-116, avenue de Wagram à Paris (75007) ; l'ASSOCIATION AVOCATS CONSEILS D'ENTREPRISES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu, 4° sous le n° 328999, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juin et 17 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le SYNDICAT DES BIOLOGISTES, dont le siège est 11, rue de Fleurus à Paris (75006) ; le SYNDICAT DES BIOLOGISTES demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le même décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 ;

....................................................................................

Vu, 5° sous le n° 329012, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 juin et 6 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par l'UNION DES JEUNES AVOCATS DE PARIS, dont le siège est Palais de Justice, 4 boulevard du Palais à Paris (75001) et la FEDERATION NATIONALE DES UNIONS DES JEUNES AVOCATS dont le siège est à la même adresse ; les requérantes demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution, notamment son article 62 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

Vu la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ;

Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;

Vu la décision du 14 juin 2010 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale ;

Vu la décision n° 2010-24 QPC du Conseil constitutionnel du 6 août 2010 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean Lessi, Auditeur,

- les observations de Me Le Prado, avocat de l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS,

- les conclusions de Mme Claire Landais, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat de l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS ;

Considérant que les requêtes visées ci-dessus tendent à l'annulation du même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières, il peut être constitué, pour l'exercice d'une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, des sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), des sociétés d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA), des sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées (SELAS) ou des sociétés d'exercice libéral en commandite par actions (SELCA), auxquelles s'appliquent les dispositions du titre Ier de cette loi ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale : " Les cotisations d'assurance maladie et maternité et d'allocations familiales des travailleurs non salariés non agricoles et les cotisations d'assurance vieillesse des professions artisanales, industrielles ou commerciales sont assises sur le revenu professionnel non salarié ou, le cas échéant, sur des revenus forfaitaires " ; que le troisième alinéa du même article, dans sa rédaction résultant du I de l'article 22 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, dispose que : " Pour les sociétés d'exercice libéral visées à l'article 1er de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (...), est prise en compte dans le calcul des revenus professionnels la part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du code général des impôts perçus par le travailleur non salarié non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs non émancipés et des revenus visés au 4° de l'article 124 du même code qui est supérieure à 10 % du capital social et des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes. Un décret en Conseil d'Etat précise la nature des apports retenus pour la détermination du capital social au sens du présent alinéa ainsi que les modalités de prise en compte des sommes versées en compte courant. " ; que pour l'application de ces dernières dispositions est intervenu le décret du 16 avril 2009 dont l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS, le CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, l'ASSOCIATION AVOCATS CONSEILS D'ENTREPRISES, le SYNDICAT DES BIOLOGISTES, l'UNION DES JEUNES AVOCATS DE PARIS et la FEDERATION NATIONALE DES UNIONS DES JEUNES AVOCATS demandent l'annulation pour excès de pouvoir ;

Sur les conclusions présentées par l'UNION DES JEUNES AVOCATS DE PARIS :

Considérant que le désistement de l'UNION DES JEUNES AVOCATS DE PARIS est pur et simple ; que rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte ;

Sur les interventions de l'Association nationale des sociétés d'exercice libéral (ANSEL) :

Considérant que l'ANSEL a intérêt à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi, ses interventions au soutien des requêtes n°328937 et 328938 sont recevables ;

Sur la légalité externe :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 200-3 du code de la sécurité sociale : " Le conseil ou les conseils d'administration de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, de la Caisse nationale des allocations familiales et de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale et la commission prévue à l'article L. 221-4 sont saisis, pour avis et dans le cadre de leurs compétences respectives, de tout projet de mesure législative ou réglementaire ayant des incidences sur l'équilibre financier de la branche ou entrant dans leur domaine de compétence (...) " ;

Considérant que, si le troisième alinéa de l'article L. 131-6 du même code cité ci-dessus peut avoir pour effet, en tant qu'il prévoit l'assujettissement de sommes distribuées par les sociétés d'exercice libéral aux cotisations de sécurité sociale, d'affecter les ressources de la branche vieillesse et de la branche famille du régime général de la sécurité sociale, le décret attaqué, qui se borne à préciser la nature des apports retenus pour la détermination du capital social ainsi que les modalités de prise en compte des sommes versées en compte courant, ne peut être regardé comme ayant une incidence directe sur l'équilibre financier de ces deux branches, au sens de l'article L. 200-3 ; que ce décret est par ailleurs insusceptible d'affecter l'équilibre financier de la branche accidents du travail et maladies professionnelles ; que, par suite, les moyens tirés de ce que la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, la Caisse nationale des allocations familiales et la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles auraient dû être consultées préalablement à l'édiction du décret attaqué ne peuvent qu'être écartés ; que les moyens tirés des irrégularités dont serait entachée la consultation de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés et du régime social des indépendants ne sont pas assortis de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant, en deuxième lieu, que ni l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, qui dispose que " le Conseil national des barreaux (...) est chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics. ", ni aucun autre texte législatif ou réglementaire n'imposait la consultation de cet organisme préalablement à l'édiction du décret attaqué ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l'absence d'une telle consultation entacherait ce décret d'illégalité ne peut qu'être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, que le décret attaqué n'implique l'intervention d'aucune mesure que le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville ou la ministre de la santé et des sports aurait été compétent pour signer ou contresigner ; qu'ainsi, nonobstant la circonstance que ces ministres avaient autorité sur la direction de la sécurité sociale, ils ne pouvaient être regardés comme étant chargés de l'exécution de ce décret ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ce dernier serait irrégulier, faute de comporter le contreseing de ces ministres, doit être écarté ;

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée, par le troisième alinéa de l'article L.131-6 du code de la sécurité sociale, des droits et libertés garantis par la Constitution :

Considérant qu'il résulte de la décision du Conseil constitutionnel du 6 août 2010 visée ci-dessus que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale sont conformes à la Constitution ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'elles porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut qu'être écarté ;

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée, par le troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, des dispositions du règlement 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 :

Considérant qu'il résulte des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 22 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 dont elles sont issues, que le législateur n'a entendu assujettir au paiement de cotisations sociales que les sommes distribuées par les sociétés d'exercice libéral réputées représentatives d'une rémunération d'activité exercée en leur sein ; qu'ainsi, ces dispositions n'ont pour objet de soumettre au paiement de cotisations sociales que les seuls associés de sociétés d'exercice libéral qui exercent leur activité au sein de ces sociétés, lesquelles sont immatriculées en France ; que ces dispositions ne sont, dès lors, pas applicables à ceux des associés de sociétés d'exercice libéral qui n'exerceraient pas en leur sein et exerceraient en revanche une activité professionnelle sur le territoire d'un autre Etat ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale méconnaissent l'article 13 du règlement 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, en tant qu'elles soumettraient à la législation française des personnes exerçant une activité non salariée sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union européenne ;

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée, par le troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

Considérant qu'en vertu de ces stipulations : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour (...) assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; que, contrairement à ce qui est soutenu, ces stipulations ne font nullement obstacle à ce que le législateur national qualifie de revenus d'activité la fraction des bénéfices distribués et des revenus de comptes courants versés aux associés de sociétés d'exercice libéral exerçant leur activité au sein de ces sociétés, représentative de la rémunération de cette activité professionnelle ; qu'eu égard à l'objet des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale rappelé ci-dessus, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'atteinte à leurs biens que constitue l'assujettissement aux cotisations de sécurité sociale auquel elles procèdent ne reposerait sur aucun motif d'intérêt général ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en fixant à 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenus par les personnes mentionnées à cet alinéa le seuil au-delà duquel les revenus en cause doivent être regardés comme le produit de leur activité professionnelle, et non comme la rémunération du capital investi, et sont ainsi soumis à ces prélèvements, le législateur aurait porté une atteinte disproportionnée aux biens des professionnels concernés ;

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée, par le troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combiné avec l'article 14 de cette convention :

Quant aux différences de traitement invoquées entre les sociétés d'exercice libéral et d'autres formes d'exercice des professions libérales :

Considérant que les requérants soutiennent que le troisième alinéa de l'article L. 131-6 introduit un traitement discriminatoire prohibé par les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il ne s'applique qu'aux bénéfices distribués et aux revenus des comptes courants des sociétés d'exercice libéral et non aux distributions et revenus analogues perçus par les professionnels libéraux exerçant dans le cadre d'autres formes de sociétés, de capitaux ou de personnes ;

Considérant, en premier lieu, que si le législateur a, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, réputé constitutive d'une rémunération d'activité professionnelle la fraction des bénéfices distribués aux associés par les sociétés d'exercice libéral et des revenus de comptes courants supérieure à un seuil fixé pour l'ensemble de ces sociétés à 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant, les bénéfices distribués à des professionnels exerçant leur activité libérale sous une autre forme sociale demeurent eux aussi susceptibles, dans la mesure où il apparaîtrait que tout ou partie de ces sommes correspondent en réalité à la rémunération d'une activité professionnelle, d'être traités comme des revenus professionnels non salariés et assujettis à ce titre aux cotisations sociales mentionnées au premier alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale ;

Considérant, en deuxième lieu, que si le seuil et les modalités d'assujettissement aux cotisations sociales ainsi définis au troisième alinéa de l'article L. 131-6 ne s'appliquent pas, en particulier, aux professionnels exerçant leur activité libérale sous forme d'associations ou d'autres sociétés de capitaux mentionnées au 1 de l'article 206 du code général des impôts, il résulte de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1990 que les sociétés d'exercice libéral ont, à la différence d'autres formes sociales, pour objet exclusif l'exercice en commun des professions libérales ; que d'ailleurs, en vertu des articles 5 et 12 de la même loi, et nonobstant la possibilité de dérogation prévue à son article 5-1, les professionnels exerçant leur activité au sein de sociétés d'exercice libéral, parmi lesquels sont obligatoirement désignés les dirigeants de ces sociétés, doivent détenir la majorité de leur capital ; que les bénéfices distribués à ces professionnels et les revenus des comptes courants d'associés sont susceptibles de représenter une part substantielle de la rémunération de leur activité ; qu'ainsi, la différence de situation existant entre les professionnels libéraux exerçant au sein de sociétés d'exercice libéral, lesquelles distribuent des bénéfices susceptibles de rémunérer principalement l'activité libérale exercée au sein de la société, et ceux qui exercent sous la forme d'associations ou d'autres sociétés de capitaux mentionnés au 1 de l'article 206 du code général des impôts, lesquelles distribuent des bénéfices susceptibles de rémunérer principalement les investissements consentis par des associés qui n'exercent pas leurs fonctions dans l'entreprise, justifie la différence de traitement instituée par le troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale ; qu'il en va de même, en raison notamment de la nature de l'activité et des investissements réalisés, de la différence de traitement instituée entre ces professionnels libéraux et les travailleurs non salariés exerçant une activité industrielle, commerciale ou artisanale au sein de sociétés à responsabilité limitée ;

Considérant, enfin, qu'il est vrai qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 29 novembre 1966 relatives aux sociétés civiles professionnelles, ces sociétés ont également pour objet, comme les sociétés d'exercice libéral, l'exercice en commun de la profession de leurs membres ; que, toutefois, il résulte du 1° de l'article 206 du code général des impôts que, à la différence des associés des sociétés d'exercice libéral, les associés des sociétés civiles professionnelles sont, lorsque leur société n'a pas opté pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu des personnes physiques pour la part des bénéfices sociaux qui leur est attribuée ; qu'ils doivent donc acquitter, sur cette part des bénéfices sociaux, les cotisations de sécurité sociale mentionnées à l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale ; que dans le cas, au demeurant extrêmement minoritaire, où une société civile professionnelle a opté pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, ses associés restent néanmoins, ainsi qu'il a été dit plus haut, susceptibles d'être assujettis aux cotisations de sécurité sociale pour la part des bénéfices distribués et des revenus de compte courant qui auraient en réalité le caractère d'une rémunération d'activité ; qu'ainsi, compte tenu de la marge d'appréciation que les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales réservent au législateur national, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale ne peuvent être regardées, en tant qu'elles n'ont pas étendu aux sociétés civiles professionnelles la présomption légale instaurée pour les sociétés d'exercice libéral, comme ayant introduit une discrimination incompatible avec ces mêmes stipulations ;

Quant aux traitements discriminatoires invoqués s'agissant des associés n'exerçant pas leur activité au sein de la société d'exercice libéral :

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 n'ont pour objet de soumettre au paiement de cotisations sociales que les bénéfices distribués et les revenus de comptes courants versés aux seuls associés de sociétés d'exercice libéral qui exercent leur activité au sein de ces sociétés ; que le moyen tiré de ce qu'elles seraient incompatibles avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 14 de cette convention, en ce qu'elles traiteraient de manière identique les sommes versées à tous les associés des sociétés d'exercice libéral, qu'ils exercent ou non leur activité au sein de la société, doit, dès lors, être écarté comme manquant en fait ; qu'à l'inverse, les sommes versées aux associés qui n'exercent pas d'activité au sein de la société d'exercice libéral ne pouvant être qualifiés de revenus d'activité, ces associés se trouvent, au regard de l'objet de la loi, dans une situation différente de celles des associés exerçant au sein de la société ; que le moyen tiré de ce que la loi aurait, en les excluant implicitement de son champ, introduit un traitement discriminatoire prohibé par les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

Quant aux différences de traitement invoquées au sein des sociétés d'exercice libéral :

Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale introduisent une discrimination entre associés salariés et non salariés, incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment au profit des dirigeants des SELAFA et des SELAS et des gérants minoritaires des SELARL, en raison de ce que les bénéfices qui leur sont distribués et les revenus de leurs comptes courants seraient exonérés de prélèvements sociaux ;

Considérant, s'agissant en premier lieu de l'assurance maladie et maternité, que les présidents de SELAFA et de SELAS ainsi que les gérants minoritaires de SELARL, qui sont obligatoirement affiliés aux assurances sociales du régime général en vertu des 11° et 12° de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, ne sont, en application des dispositions de l'article L. 613-2 du même code, pas affiliés au régime d'assurance maladie et d'assurance maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles ; que, relevant d'un autre régime de sécurité sociale, ils doivent être regardés comme se trouvant, au regard de l'objet de la loi, dans une situation différente de celle des autres associés de ces mêmes sociétés, de nature à justifier la différence de traitement introduite par le législateur ;

Considérant, s'agissant en deuxième lieu de l'assurance vieillesse, que si, pour les rémunérations perçues au titre de l'exercice de leur mandat social, les gérants minoritaires de SELARL et les présidents de SELAFA et de SELAS sont affiliés au régime général d'assurance vieillesse, il résulte des dispositions combinées des articles L. 642-2 et L. 622-2 de ce code qu'ils sont cumulativement affiliés à un régime d'assurance vieillesse de travailleurs non salariés non agricoles pour les revenus perçus au titre de leur activité libérale et entrent dans cette mesure, s'agissant des cotisations correspondantes, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, dans les prévisions de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale ;

Considérant enfin, s'agissant des associés qui exerceraient la profession correspondant à l'objet social de la société dans des conditions conduisant à les regarder comme des travailleurs salariés, que leur exclusion du champ d'application du troisième alinéa de l'article L. 131-6 ne saurait être regardée comme procédant d'un traitement discriminatoire prohibé, dès lors que ces associés se trouvent, au regard de l'objet même de cet article, dans une situation différente de celle des associés y exerçant à titre libéral ;

Considérant qu'eu égard à l'objet de la loi, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 ont pu, sans introduire une discrimination incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, appliquer le même seuil de 10 % pour le prélèvement des cotisations sociales aux associés auteurs des apports initiaux et aux acquéreurs ultérieurs de parts sociales, nonobstant la circonstance que le coût d'acquisition de ces parts sociales puisse être plus élevé pour les seconds que pour les premiers ;

Considérant que, dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 131-6 n'introduisent aucune différence de traitement incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le moyen tiré de ce que serait incompatible avec ces mêmes stipulations la circonstance que certaines professions libérales peuvent opter pour un exercice sous forme de société d'exercice libéral ou sous une autre forme sociale, tandis que d'autres professions, si elles choisissent d'exercer leur activité sous forme sociétaire, doivent nécessairement le faire dans le cadre d'une société d'exercice libéral, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée des normes de droit interne :

Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le décret attaqué, qui se borne à fixer les modalités d'application du troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, n'introduit aucune différence de traitement entre professionnels libéraux et non libéraux, entre les sociétés d'exercice libéral et les sociétés à responsabilité limitée de droit commun, entre les professionnels libéraux selon qu'ils recourent ou non aux sociétés à forme commerciale, entre les avocats selon leur mode d'exercice, entre les biologistes selon la forme sociale qu'ils choisissent, et entre les SELAFA et les SELAS, d'une part, et les SELARL, d'autre part ; qu'ils ne sauraient dès lors et, en tout état de cause, soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait, par lui-même, le principe général d'égalité ou le principe d'égalité devant l'impôt ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte du II de l'article 22 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 que les dispositions du I du même article, dont est issu le troisième alinéa de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale et que le décret attaqué se borne à préciser, sont applicables aux bénéfices et revenus distribués ou payés à compter du 1er janvier 2009, y compris s'ils proviennent de sommes versées au compte courant des sociétés d'exercice libéral au cours d'exercices antérieurs ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que ce décret ne pouvait légalement s'appliquer à des sommes versées avant son entrée en vigueur ne peut qu'être écarté ;

Considérant, enfin, que le moyen tiré de la méconnaissance des principes généraux du droit fiscal n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées à certaines requêtes par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, les requérants, qui ne sauraient sérieusement soutenir que l'absence de défense de l'administration sur certains éléments soulevés dans leurs mémoires vaudrait acquiescement de sa part, ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret attaqué ; que leurs requêtes ne peuvent dès lors qu'être rejetées, y compris en ce qu'elles comportent des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est donné acte du désistement de l'UNION DES JEUNES AVOCATS DE PARIS.

Article 2 : Les interventions de l'Association nationale des sociétés d'exercice libéral sont admises.

Article 3 : Les requêtes de l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS, du CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, de l'ASSOCIATION AVOCATS CONSEILS D'ENTREPRISES, du SYNDICAT DES BIOLOGISTES et de la FEDERATION NATIONALE DES UNIONS DES JEUNES AVOCATS sont rejetées.

Article 4: La présente décision sera notifiée à l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE PARIS, au CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, à l'ASSOCIATION AVOCATS CONSEILS D'ENTREPRISES, au SYNDICAT DES BIOLOGISTES, à l'UNION DES JEUNES AVOCATS DE PARIS, à la FEDERATION NATIONALE DES UNIONS DES JEUNES AVOCATS, au Premier ministre et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.


Synthèse
Formation : 1ère et 6ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 328905
Date de la décision : 27/05/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - PROCÉDURE CONSULTATIVE - CONSULTATION NON OBLIGATOIRE - CONSULTATION DES CONSEILS D'ADMINISTRATION DES CAISSES NATIONALES DE SÉCURITÉ SOCIALE ET DE L'ACOSS (ART - L - 203 DU CODE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE) - S'AGISSANT DES PROJETS DE TEXTES DÉPOURVUS D'INCIDENCE DIRECTE SUR L'ÉQUILIBRE FINANCIER DE LA BRANCHE [RJ1].

01-03-02-03 La consultation, prévue à l'article L. 200-3 du code de la sécurité sociale, des conseils d'administration des caisses nationales et de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) sur les projets de texte ayant des incidences sur l'équilibre financier de la branche correspondante, n'est obligatoire que pour les projets de textes ayant une incidence directe sur cet équilibre financier.

SÉCURITÉ SOCIALE - ORGANISATION DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - RÉGIME DE SALARIÉS - RÉGIME GÉNÉRAL - CAISSES NATIONALES ET ACOSS - CONSEIL D'ADMINISTRATION - OBLIGATION DE CONSULTATION SUR LES PROJETS DE TEXTES AYANT UNE INCIDENCE SUR L'ÉQUILIBRE FINANCIER DE LA BRANCHE (ART - L - 203 DU CODE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE) - CHAMP D'APPLICATION - PROJETS DE TEXTES AYANT UNE INFLUENCE DIRECTE SUR CET ÉQUILIBRE FINANCIER [RJ1].

62-01-01-01 La consultation, prévue à l'article L. 200-3 du code de la sécurité sociale, des conseils d'administration des caisses nationales et de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) sur les projets de texte ayant des incidences sur l'équilibre financier de la branche correspondante, n'est obligatoire que pour les projets de textes ayant une incidence directe sur cet équilibre financier.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 20 décembre 2006, Syndicat national des fabricants et des distributeurs en ophtalmologie, n° 282202, inédite au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 mai. 2011, n° 328905
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean Lessi
Rapporteur public ?: Mme Claire Landais
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:328905.20110527
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award