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27/05/2011 | FRANCE | N°348946

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 mai 2011, 348946


Vu la requête, enregistrée le 3 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Tiburce A, demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution du décret du 31 janvier 2011 relatif à son licenciement pour insuffisance professionnelle ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration de le réintégrer dans ses fonctions à compter de la d

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Vu la requête, enregistrée le 3 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Tiburce A, demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution du décret du 31 janvier 2011 relatif à son licenciement pour insuffisance professionnelle ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration de le réintégrer dans ses fonctions à compter de la date d'effet du décret contesté, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'ordonnance et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que le décret contesté est irrégulier en raison de vices qui affectent la régularité de la procédure ; que le rapport de saisine de la commission administrative paritaire ne prend pas en compte l'exercice de ses fonctions jusqu'à la date de la nouvelle saisine de la commission ; que la séance de la commission en date du 7 octobre 2010 n'ayant pas été publique, l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense ont été méconnus ; que l'avis de la commission administrative paritaire prononçant son licenciement n'est pas motivé ; que les motifs du décret sont par ailleurs insuffisants ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ; que l'appréciation retenue par le décret est entaché d'une inexactitude matérielle, d'une erreur manifeste d'appréciation et d'un détournement de pouvoir ; que la condition d'urgence est caractérisée dès lors que l'exécution du décret contesté est de nature à créer un trouble grave dans ses conditions d'existence ;

Vu le décret dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête en annulation présentée par M. A ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2011, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que l'urgence n'est pas caractérisée dès lors que M. A a déjà perçu des revenus de remplacement de nature à atténuer la gravité des conséquences que la décision implique pour lui ; que le fait que le rapport de saisine de la commission administrative paritaire ne fasse pas état de l'aptitude professionnelle de M. A pour la période postérieure à sa réintégration n'est pas un vice de procédure affectant de façon substantielle la légalité de l'acte ; que ni l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni le principe général du respect des droits de défense ne trouvent à s'appliquer en l'espèce, la commission n'infligeant aucune sanction disciplinaire ; que l'avis rendu par cette commission, ainsi que le décret contesté, sont tous deux suffisamment motivés ; que les moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur de qualification juridique des faits doivent être écartés, l'administration ayant correctement déterminé que le comportement général de M. A traduisait une insuffisance professionnelle ; que le moyen tiré du détournement de pouvoir doit également être écarté ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 23 mai 2011, présenté pour M. A, qui reprend les conclusions et les moyens de sa requête ; il soutient en outre que les notations qui lui ont été attribuées entre 1992 et 2002 sont en contradiction avec le grief d'insuffisance professionnelle reproché par l'administration ; que son comportement a été qualifié à tort d'insuffisance professionnelle ; que la condition d'urgence est remplie dès lors qu'il ne perçoit pas les faibles revenus de remplacement allégués ;

Vu le mémoire de production, enregistré le 23 mai 2011, présenté pour M. A, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 24 mai 2011 à 10 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Guillaume Delvolvé, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;

- M. A ;

- les représentants du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

Considérant d'une part, qu'il résulte de l'instruction que l'exécution du décret portant licenciement pour insuffisance professionnelle de M. A a pour effet de le priver de revenus ; qu'en outre, l'administration s'est abstenue de lui verser l'allocation d'aide au retour à l'emploi à laquelle il pouvait prétendre depuis la date de prise d'effet de son licenciement ; que, dans ces conditions, l'exécution du décret contesté a causé un trouble grave dans les conditions d'existence de M. A, et que, par conséquent, la condition d'urgence au sens des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative est remplie ;

Considérant d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que, par un décret en date du 20 mars 2008, le Président de la République a procédé au licenciement de M. A des cadres de la police nationale pour insuffisance professionnelle ; que, par une décision du 23 novembre 2009, le Conseil d'Etat a annulé cette décision au motif que l'avis de la commission administrative paritaire, s'étant prononcée sur son licenciement, n'était pas suffisamment motivé ; que M. A a alors été réintégré dans le corps des cadres de la police nationale à compter du 7 janvier 2010, au poste de chargé de mission responsable du suivi des fonds européens au sein de la direction centrale de la police aux frontières ; qu'il ne résulte ni des pièces au dossier ni des débats lors de l'audience publique que son activité à ce poste ait fait l'objet d'appréciations négatives ; que fin 2010, une nouvelle procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle a été mise en oeuvre par l'administration ; que, par le décret attaqué en date du 31 janvier 2011, M. A a été licencié du corps des cadres de la police nationale pour insuffisance professionnelle ; que cette décision a été motivée par le manque de connaissances, de compétences, d'investissement et d'intérêt démontré par M. A tout au long de sa carrière ; que, toutefois, il ressort des procès verbaux des commissions administratives paritaires versés au dossier que le 7 octobre 2010 comme le 29 janvier 2008, n'ont été mentionnés que les services et les notations de l'intéressé jusqu'en 2008 ; que l'administration ne conteste pas n'avoir pas pris en compte, pour évaluer les capacités professionnelles de M. A, son activité la plus récente au cours de l'année 2010 au sein de la direction centrale de la police aux frontières ; qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que le moyen soulevé par le requérant, tiré de ce que le décret serait entaché d'une erreur de droit faute pour son auteur d'avoir pris en compte les caractéristiques de l'activité professionnelle de l'intéressé depuis sa réintégration en janvier 2010, paraît, en l'état de l'instruction, faire naître un doute sérieux sur sa légalité dès lors qu'il s'agissait d'un nouveau licenciement pour insuffisance professionnelle et non de la reprise d'une révocation disciplinaire ; qu'il suit de là que M. A est fondé à en demander la suspension ;

Considérant que la suspension de l'exécution du décret du 31 janvier 2011 prononçant le licenciement de M. A, implique nécessairement sa réintégration à la date de son licenciement jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa demande d'annulation du même décret et au plus tard dans le délai d'un mois ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte ;

Sur les conclusions présentées par M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 3 000 euros qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E :

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Article 1er : Le décret du Président de la République du 31 janvier 2011 licenciant M. A des cadres de la police nationale pour insuffisance professionnelle est suspendu.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration d'engager la procédure de réintégration de M. A à la date de son licenciement et jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la demande d'annulation du décret du 31 janvier 2011 et au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. A la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Tiburce A, au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 348946
Date de la décision : 27/05/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mai. 2011, n° 348946
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christian Vigouroux
Avocat(s) : SCP DELVOLVE, DELVOLVE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:348946.20110527
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