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08/06/2011 | FRANCE | N°330836

France | France, Conseil d'État, 7ème sous-section jugeant seule, 08 juin 2011, 330836


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 août et 13 novembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Dominique A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06VE01413 du 5 juin 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, à la demande de la société Axa France Iard, annulé le jugement n° 0204172 du 2 juin 2006 du tribunal administratif de Versailles et condamné conjointement et solidairement la société Delas et lui-même à verser à la société Axa France I

ard la somme de 872 355 euros, la somme 44 183,19 euros portant intérêts au ...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 août et 13 novembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Dominique A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06VE01413 du 5 juin 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, à la demande de la société Axa France Iard, annulé le jugement n° 0204172 du 2 juin 2006 du tribunal administratif de Versailles et condamné conjointement et solidairement la société Delas et lui-même à verser à la société Axa France Iard la somme de 872 355 euros, la somme 44 183,19 euros portant intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2001, la société Delas et M. Dominique A se garantissant mutuellement, à hauteur de 70 % et 30 % des condamnations prononcées à leur encontre ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête d'appel de la société Axa France Iard ;

3°) de mettre à la charge de la société Axa France Iard le versement de la somme de 4 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 mai 2011, présentée pour M. A ;

Vu le code civil ;

Vu le code des assurances ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arno Klarsfeld, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. Dominique A, de la SCP Boutet, avocat de la société Axa France Iard, de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la société Delas, représentée par Me Roche, de la SCP Roger, Sevaux, avocat de la société Desbin et de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la société SAS Terreal,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boulloche, avocat de M. Dominique A, à la SCP Boutet, avocat de la société Axa France Iard, à la SCP Peignot, Garreau, avocat de la société Delas, représentée par Me Roche, à la SCP Roger, Sevaux, avocat de la société Desbin et à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la société SAS Terreal ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) de la région de Montfort-l'Amaury a conclu le 22 février 1993 un marché de conception-construction relatif à la construction à Montfort-l'Amaury d'un ensemble sportif incluant une piscine ; que la réception des ouvrages a eu lieu le 31 janvier 1994 ; que, durant l'année 1998, des phénomènes de condensation entraînant la dégradation rapide des tuiles et compromettant l'étanchéité de la toiture sont apparus; que le SIVOM de la région de Montfort-l'Amaury a assigné la société Axa Assurances, assureur dommage-ouvrage, devant le tribunal de grande instance de Versailles lequel, par son jugement en date du 30 mars 2006, a condamné la société Axa Assurances à indemniser le SIVOM des préjudices matériel et immatériel causés par les dommages; que la société Axa Assurances a demandé le 4 décembre 2002, en tant que subrogée dans les droits de son assuré sur le fondement de l'article L. 121.12 du code des assurances, au tribunal administratif de Versailles, la condamnation solidaire des constructeurs à l'indemniser des sommes versées à son assuré en exécution du jugement intervenu au civil ; que par un jugement en date du 2 juin 2006, le tribunal administratif de Versailles a déclaré la requête irrecevable ; que la cour administrative d'appel de Versailles, saisie par la société Axa France Iard, venant aux droits et obligations de la société Axa Assurances, a annulé, par son arrêt en date du 5 juin 2009, le jugement de première instance, jugé la demande de la société Axa France Iard recevable et condamné conjointement et solidairement M. A et la société Delas à verser à la société Axa France Iard la somme de 872 355 euros, la somme de 44 183,19 euros portant intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2001, M. A et la société Delas se garantissant mutuellement à hauteur de 30 % et 70 % des condamnations prononcées ; que M. A et la société Delas par la voie du pourvoi provoqué, se pourvoient à l'encontre de cet arrêt ;

Considérant que M. A et la société Delas soutiennent que la cour a insuffisamment motivé sa décision et commis une erreur de droit en jugeant recevable la demande de la société Axa Assurances de condamnation des constructeurs sur le terrain de la garantie décennale en relevant que l'assignation en référé introduite le 14 décembre 2000 devant le juge civil avait eu, à leur égard, un effet interruptif de la prescription de cette garantie ; qu'il résulte des dispositions applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l'égard des maîtres d'ouvrage publics, qu'une citation n'interrompt la prescription qu'à la double condition d'émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que l'action en référé introduite le 14 décembre 2000 par le SIVOM de la région de Montfort-l'Amaury devant le juge civil ne visait que l'assureur des dommages ; que si, ultérieurement, l'expertise ordonnée par le juge des référés a été, à la demande de la société Axa Assurances, étendue par une nouvelle ordonnance du juge aux constructeurs, ceux-ci n'étaient pas directement visés par la citation qui, de ce fait et contrairement à ce qu'a retenu la cour administrative d'appel de Versailles dans son arrêt, n'a pu interrompre la prescription à leur égard ; qu'il suit de là que l'arrêt attaqué est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il a jugé recevable la demande de la société Axa Assurances en première instance ; que M. A et la société Delas, représentée par Me Roche, liquidateur, sont, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a jugé recevable la requête de la société Axa Assurances ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : La juridiction est saisie par requête. La requête indique les noms et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ;

Considérant que la société Axa Assurances a, le 4 décembre 2002 présenté au tribunal administratif de Versailles, en qualité de subrogée de son assuré, le SIVOM de la région de Montfort-l'Amaury, une demande tendant à condamner in solidum les sociétés Bureau Veritas, Delas, Desbin, Tuilerie Briqueterie Française Everlite et M. A à l'indemniser sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil en réparation du versement qu'elle a dû effectuer en qualité d'assureur au profit du SIVOM ; que la mention dans cette requête des articles 1792 et suivants du code civil était suffisante pour éclairer le tribunal sur le fondement juridique que la requérante entendait donner à celle-ci ; que cette action, introduite avant le 31 janvier 2004, terme de la garantie décennale attachée à l'ouvrage objet des désordres, a eu pour effet d'interrompre le délai dans lequel cette garantie peut être invoquée ; qu'ainsi, en réitérant dans ses mémoires ultérieurs qu'elle entendait se placer sur le terrain de la garantie décennale, la société Axa Assurances, devenue Axa France Iard, a précisé sa demande initiale, la circonstance que ces mémoires aient été produits après l'expiration du délai mentionné ci-dessus étant sans incidence sur la recevabilité de la demande, acquise dès le dépôt de la requête initiale; que dès lors, le tribunal administratif de Versailles, a commis une erreur de droit en jugeant irrecevable la demande de la société Axa Assurances au regard des dispositions précitées de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; que, par suite, la société Axa France Iard est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté comme irrecevable la demande présentée devant lui par la société Axa Assurances ;

Considérant, qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Axa France Iard ;

Sur les conclusions de la société Axa France Iard dirigées contre les sociétés Desbin, Everlite Concept et Tuilerie Briqueterie Française :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les sociétés Desbin, Everlite Concept et Tuilerie Briqueterie Française ont agi, en ce qui concerne les désordres litigieux, pour les deux premières, en qualité de sous-traitantes de l'entreprise Delas et, pour la dernière, en qualité de fournisseur de matériaux ; qu'ainsi, dès lors que ces sociétés n'ont jamais été liées par contrat au maître d'ouvrage, elles n'ont pas la qualité de constructeur qui serait seule de nature à rendre recevables, devant le juge administratif, des conclusions dirigées contre elles fondées sur la garantie qu'impliquent les principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ; que, par suite, les conclusions de la société Axa France Iard dirigées contre elles ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les responsabilités :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que les désordres apparus en 1998, qui affectent gravement l'étanchéité de la toiture de la piscine, rendent l'ouvrage impropre à sa destination et compromettent sa solidité ; qu'ils sont, dès lors, de nature à engager la responsabilité des constructeurs, par application des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ;

En ce qui concerne la responsabilité de la société Delas et de M. A :

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert que les désordres constatés affectent la couverture de la piscine de Montfort-l'Amaury, notamment les tuiles, fragilisées par des phénomènes de délitages, de fractures et de déstructurations, et les liaisons entre les voûtes éclairantes et la toiture en tuiles ; que ces désordres découlent, d'une part, d'une pente de toiture inférieure à celle qu'imposent les règles de l'art ou les documents techniques unifiés (DTU), favorisant la stagnation des eaux de pluie et, d'autre part, de l'absence d'étanchéité du pare-vapeur, installé sous la toiture, qui a favorisé une migration et une condensation des eaux entre les faux-plafonds et la couverture ; que de tels désordres trouvent leur origine, à titre principal, dans le défaut de conception de l'ouvrage par le groupement d'entreprises Delas-Hélary ; qu'il résulte également de l'instruction que l'entreprise Delas à laquelle la réalisation des travaux a été confiée, n'a pas scrupuleusement respecté les indications du concepteur, lesquelles excédaient le cadre habituel des travaux de bâtiment ; qu'ainsi ces désordres liés à l'exécution des travaux engagent solidairement la responsabilité de la société Delas, entreprise générale, en raison du défaut d'exécution imputable tant à elle-même qu'à sa sous-traitante, l'entreprise Desbin, et celle de M. A, architecte maître d'oeuvre, auquel est également imputable un défaut de surveillance de ces travaux ;

Considérant que s'il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire de statuer sur l'admission ou la non-admission des créances nées avant la mise en redressement judiciaire, il appartient néanmoins au juge administratif de juger si la collectivité publique, ou son assureur subrogé, a droit à la réparation de son préjudice et de fixer le montant des indemnités qui lui sont dues à ce titre par l'entreprise défaillante ou son liquidateur, sans préjudice des suites que la procédure judiciaire est susceptible d'avoir sur le recouvrement de cette créance ; qu'ainsi la société Delas n'est pas fondée à soutenir qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre au motif que la créance alléguée est antérieure au jugement déclarant sa mise en redressement judiciaire ;

En ce qui concerne la société Bureau Veritas :

Considérant que si, en vertu de la convention passée le 4 septembre 1992 entre le SIVOM de la région de Montfort-l'Amaury et la société Bureau Veritas, cette dernière devait s'assurer de la solidité des ouvrages par l'examen des plans, des contrôles visuels et des visites ponctuelles, il résulte de l'instruction que le contrôleur technique a émis, à plusieurs reprises, des réserves et prescriptions sur la nécessité de traiter les discontinuités du pare-vapeur avec une attention particulière et que le rapport établi en fin de mission a, de nouveau, rappelé ces préconisations ; que, dans ces conditions, la responsabilité de la société Bureau Veritas, alors même qu'il a donné son accord à la conception générale du projet et n'a pas émis de réserve lors de l'achèvement des ouvrages, ne saurait être engagée en raison des désordres constatés ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Axa France Iard, est seulement fondée à rechercher la responsabilité et la condamnation solidaire de la société Delas et de M. A, architecte, à raison des désordres objet du litige ;

Sur le montant du préjudice :

Considérant que les préjudices dont la société Axa France Iard demande l'indemnisation correspondent au montant des sommes qu'elle justifie avoir versées à son assuré, selon le relevé de la Caisse des règlements pécuniaires des avocats de Versailles, à savoir les sommes de 44 183,19 euros, 618 555,64 euros et 209 617,37 euros, soit un montant total de 872 355 euros ;

Sur les intérêts :

Considérant que la provision de 44 183,19 euros, que l'assureur a été condamné à verser à son assuré par ordonnance du 23 janvier 2001 du juge des référés du Tribunal de grande instance de Versailles, portera intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2001 ;

Sur les appels en garantie :

Considérant que, compte tenu des rôles respectifs incombant, d'une part, à la société Delas, qui est intervenue à la fois comme entreprise générale et comme co-maître d'oeuvre, d'autre part, à M. A, qui est intervenu en qualité de concepteur et de maître d'oeuvre de l'opération, il convient que l'entreprise et l'architecte se garantissent mutuellement à hauteur respectivement de 70 % et de 30 % des condamnations prononcées à leur encontre par la présente décision ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de la société Axa France Iard, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes demandées par M. A et par la société Delas, représentée par Me Roche, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. A la somme que demande la société Axa France Iard au titre de ces dispositions, ni celles que demandent, au même titre, les sociétés Desbin et SAS Terreal venue aux droits de la société Tuilerie Briqueterie française ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 5 juin 2009 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 2 : Le jugement du 2 juin 2006 du Tribunal administratif de Versailles est annulé.

Article 3 : La société Delas, représentée par Me Roche, liquidateur, et M. A sont condamnés solidairement, à verser à la société Axa France Iard la somme de 872 355 euros, la somme de 44 183,19 euros portant intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2001.

Article 4 : La société Delas et M. A se garantiront mutuellement, à hauteur de 70 % et 30 %, des condamnations prononcées à leur encontre par la présente décision.

Article 5 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par M. A, par la société Axa France Iard, par la société Delas, représentée par Me Roche, liquidateur, et par les sociétés Desbin et SAS Terreal sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Dominique A, à la société Axa France Iard, à Me Roche es-qualité de liquidateur de la société Delas, à la société Desbin, à la société SAS Terreal, à la société Bureau Veritas et à la société Everlite Concept.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 08 jui. 2011, n° 330836
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Rémy Schwartz
Rapporteur ?: Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir
Rapporteur public ?: M. Nicolas Boulouis
Avocat(s) : SCP BOULLOCHE ; SCP BOUTET ; SCP PEIGNOT, GARREAU ; SCP ROGER, SEVAUX ; SCP BARADUC, DUHAMEL

Origine de la décision
Formation : 7ème sous-section jugeant seule
Date de la décision : 08/06/2011
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 330836
Numéro NOR : CETATEXT000024154071 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2011-06-08;330836 ?
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