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10/06/2011 | FRANCE | N°342600

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 10 juin 2011, 342600


Vu le pourvoi, enregistré le 20 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 08PA04731 du 14 juin 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, à la demande de Mme B...A..., d'une part, annulé le jugement n° 0603048/5-2 du 20 juillet 2008 du tribunal administratif de Paris, d'autre part, condamné l'Etat à payer à MmeA..., au titre de la période comprise entre le 30 septembre 1999 et le 30 septembre 2004, une indemnité pour perte

de rémunérations subie pendant la période considérée ainsi qu'...

Vu le pourvoi, enregistré le 20 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 08PA04731 du 14 juin 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, à la demande de Mme B...A..., d'une part, annulé le jugement n° 0603048/5-2 du 20 juillet 2008 du tribunal administratif de Paris, d'autre part, condamné l'Etat à payer à MmeA..., au titre de la période comprise entre le 30 septembre 1999 et le 30 septembre 2004, une indemnité pour perte de rémunérations subie pendant la période considérée ainsi qu'une somme représentative de la perte de retraite ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yves Doutriaux, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de MmeA...,

- les conclusions de M. Damien Botteghi, Rapporteur public,

La parole ayant à nouveau été donnée à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de Mme A...;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 9 octobre 2003, devenu définitif, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 14 avril 1999 mutant d'office à l'administration centrale du ministère des affaires étrangères MmeA..., adjoint administratif de chancellerie responsable d'archives et de documentation à l'ambassade de France près le Saint Siège, mariée à un ressortissant italien et mère d'un enfant résidant à Rome ; que Mme A...a demandé à être indemnisée du préjudice que lui avait causé cet arrêté de mutation illégal ; que, par jugement du 20 juillet 2008, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par l'arrêt attaqué, du 14 juin 2010, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement du tribunal, a condamné l'Etat à payer à MmeA..., au titre de la période comprise entre le 30 septembre 1999 et le 30 septembre 2004, une indemnité pour perte de rémunérations subie pendant la période considérée ainsi qu'une somme représentative de la perte de retraite ; que le MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES se pourvoit en cassation contre cet arrêt ; que Mme A...forme un pourvoi incident en tant que l'arrêt a limité la période indemnisable à la date du 30 septembre 2004 ;

Considérant, d'une part, qu'eu égard à l'objet des indemnités de résidence attribuées aux personnels de l'Etat en service à l'étranger qui est, en vertu de l'article 5 du décret du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger, de compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées, aux conditions d'exercice de ces fonctions et aux conditions locales d'existence, l'indemnité destinée à réparer le préjudice subi par un agent titulaire dans une ambassade de France à l'étranger qui a fait l'objet d'une mutation d'office illégale à l'administration centrale doit représenter la différence entre, d'une part, la rémunération qu'aurait perçue l'intéressé en cette qualité, à l'exclusion des indemnités de résidence attribuées aux personnels de l'Etat en service à l'étranger et, d'autre part, les rémunérations qui lui ont été servies ; qu'ainsi, en jugeant que Mme A...avait droit à la différence entre, d'une part, la rémunération qu'elle aurait perçue en qualité d'adjointe de chancellerie au 10ème échelon, y compris les indemnités de fonction attribuées aux personnels de l'Etat en service à l'étranger, au motif qu'elles constitueraient des accessoires du traitement, d'autre part, les rémunérations perçues sur la même période provenant des activités qu'elle avait effectivement exercées, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;

Considérant, d'autre part, qu'à la suite d'une éviction illégale d'un agent titulaire, annulée par le juge de l'excès de pouvoir, il incombe à l'administration de prendre les mesures de réintégration que l'exécution de la décision du juge appelle nécessairement, même dans le cas où elle en a demandé la cassation ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES a implicitement rejeté la demande de reconstitution de carrière présentée le 31 mai 2006 par Mme A...en exécution du jugement du tribunal administratif de Paris du 9 octobre 2003 ; que Mme A...a demandé le renouvellement de sa mise en disponibilité pour convenance personnelle le 29 juin 2004 en raison de l'éventuelle cassation de ce jugement et de la difficulté d'obtenir un emploi si elle quittait celui qu'elle occupait ; qu'en limitant la responsabilité de l'Etat du fait de l'illégalité de l'arrêté de mutation d'office de Mme A...du 14 avril 1999 à la période s'achevant à la date d'expiration de la dernière période de disponibilité accordée pour convenance personnelle avant l'intervention du jugement du 9 octobre 2003, soit le 30 septembre 2004, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;

Considérant que, par suite, le MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES, par la voie du pourvoi principal, et MmeA..., par la voie du pourvoi incident, sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant, en premier lieu, comme il a été dit ci-dessus, qu'il appartenait au MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES de réintégrer Mme A...au poste qu'elle occupait le 30 septembre 1999, date de sa mise en disponibilité et de la prise d'effet de l'arrêté de mutation d'office annulé par le jugement du 9 octobre 2003 ; que la circonstance que Mme A...ait demandé le 29 juin 2004 le renouvellement de sa mise en disponibilité à une date postérieure au jugement du 9 octobre 2003, afin de ne pas perdre l'emploi de salarié de droit local qu'elle occupait à l'ambassade de France en Italie, est sans incidence sur la date à laquelle le MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES aurait dû la réintégrer sur un emploi de titulaire ainsi que sur la durée de la période pendant laquelle la responsabilité de l'Etat est engagée, laquelle court jusqu'à sa réintégration à la date du 1er septembre 2006 ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'en l'absence de toute réintégration avant le 1er septembre 2006, date à laquelle elle a été réintégrée rétroactivement à l'ambassade de France en Italie, MmeA..., qui a été employée à compter du 30 septembre 1999 par cette ambassade par un contrat de droit local, ne peut prétendre, en l'absence de service fait, au rappel du traitement qu'elle aurait dû percevoir en qualité d'agent titulaire à l'ambassade de France en Italie ; qu'elle est cependant fondée à demander à l'Etat la réparation de son préjudice pour perte en matière de traitement du fait de la mutation d'office illégale, qu'elle a sollicitée par une demande préalable en date du 8 novembre 2005 ; qu'ainsi, Mme A...a droit, sur la période précédemment définie, à la différence entre, d'une part, la rémunération qu'elle aurait perçue en qualité d'adjointe de chancellerie au 10ème échelon à l'exclusion de l'indemnité de résidence attribuée aux personnels de l'Etat en service à l'étranger prévue par l'article 5 du décret du 28 mars 1967, nette des cotisations sociales calculées en tenant compte des taux de cotisation en vigueur aux dates de naissance respectives des droits, d'autre part, les rémunérations d'activité qu'elle a perçues pendant la même période ; qu'il résulte de l'instruction que les rémunérations perçues par Mme A... pendant cette période sont supérieures à celles qu'elle aurait perçues en qualité d'agent titulaire ; que, par suite, les conclusions de Mme A...relatives à l'indemnisation du préjudice pour perte de traitement doivent être écartées ;

Considérant, en troisième lieu, que Mme A...avait également demandé la réparation de son préjudice moral, estimé à 15 000 euros ; qu'eu égard au motif d'illégalité retenu par le tribunal administratif de Paris dans le jugement du 9 octobre 2003 devenu définitif, et le lien direct de causalité étant établi entre cette illégalité et les préjudices subis, il y a lieu d'évaluer forfaitairement les troubles de toute nature dans les conditions d'existence de Mme A..., y compris le préjudice moral, du fait de la privation illégale d'un emploi d'agent titulaire qu'elle occupait de longue date et des contraintes auxquelles elle a été confrontée lorsqu'elle a dû rechercher une nouvelle activité, à la somme de 10 000 euros, sous déduction de la somme déjà versée en exécution de l'arrêt attaqué ;

Considérant, en quatrième lieu, que, durant la période précédemment définie, Mme A...soutient qu'elle a dû cotiser à titre privé à la mutuelle des affaires étrangères à un taux plus élevé que celui qui serait applicable aux agents titulaires et que le maintien de son affiliation à cette mutuelle découlerait de stipulations de la convention fiscale bilatérale franco-italienne du 5 octobre 1989 l'obligeant à payer ses impôts en France, ces impôts et cotisations étant ensemble prélevés ; qu'en tout état de cause, en vertu du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, Mme A...aurait dû être affiliée au régime italien de sécurité sociale puisqu'elle était salariée de droit privé italien durant la période de disponibilité, nonobstant les termes de cette convention fiscale ; que, dans ces conditions, le moyen selon lequel elle avait tout intérêt à rester affiliée au régime mutualiste français compte tenu des insuffisances du régime italien de sécurité sociale est inopérant ; que sa demande d'indemnisation de ce chef de préjudice doit, dès lors, être écartée ;

Considérant, en cinquième lieu, que Mme A...a droit à ce que soit réparé son préjudice résultant de l'absence de cotisations au régime de retraite des fonctionnaires de l'État durant la période de disponibilité, qui a entraîné une minoration de sa pension de retraite ; qu'il y a lieu de lui allouer le différentiel entre la pension qu'elle a perçue à la date à laquelle elle a fait valoir ses droits à la retraite - ou qu'elle percevra à la date à laquelle elle fera valoir ses droits à la retraite - par rapport à la même pension qu'elle aurait perçue si elle avait cotisé en tant que fonctionnaire titulaire pendant la période où la responsabilité de l'Etat est engagée ; que ce différentiel, calculé en tenant compte des cotisations qui ont été supportées ou auraient dû être supportées par l'intéressée, sera lui-même estimé sur la période comprise entre la date de retraite et la date correspondant à l'espérance de vie des femmes établie par l'INSEE pour l'année correspondant à la date de retraite ; que l'état de l'instruction ne permettant pas de déterminer exactement le montant de l'indemnité due à la requérante pour ce chef de préjudice, correspondant au versement de cette différence, il y a lieu de renvoyer l'intéressée devant le ministre des affaires étrangères et européennes pour qu'il soit procédé au calcul de cette indemnité ;

Considérant que Mme A...a droit aux intérêts au taux légal sur l'indemnité précédemment retenue et dont le calcul sera effectué par l'administration ainsi que sur l'indemnité pour les troubles de toute nature dans les conditions d'existence y compris le préjudice moral allouée par la présente décision, à compter de la date de réception par celle-ci de sa demande préalable soit le 9 novembre 2005, ainsi qu'à la capitalisation de ces intérêts, demandée dans un mémoire enregistré devant le tribunal administratif de Paris le 14 mai 2008, les intérêts étant alors dus pour au moins une année entière, à cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A...de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 14 juin 2010 et le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 10 juillet 2008 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Mme A...une somme de 10 000 euros au titre de ses troubles dans ses conditions d'existence sous déduction de la somme déjà versée en exécution de l'arrêt attaqué ainsi que la somme représentative de la perte de retraite dont elle a fait l'objet à la date à laquelle elle fera ou a fait valoir ses droits à la retraite, telle que définie dans les motifs de la présente décision. Ces sommes porteront intérêts à compter du 9 novembre 2005. Les intérêts échus à la date du 14 mai 2008 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Mme A...est renvoyée devant l'administration (MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES) aux fins de liquidation, sur les bases indiquées dans la présente décision, de l'indemnité relative à la perte de retraite

Article 4 : L'Etat versera à Mme A...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme A...est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES et à Mme B...A....


Synthèse
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 342600
Date de la décision : 10/06/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - RÉMUNÉRATION - INDEMNITÉS ET AVANTAGES DIVERS - INDEMNITÉS DE RÉSIDENCE ATTRIBUÉES AUX PERSONNELS DE L'ETAT EN SERVICE À L'ÉTRANGER - OBJET - COMPENSATION DE CHARGE LIÉES AUX FONCTIONS EXERCÉES - CONSÉQUENCE - EXCLUSION DU PRÉJUDICE INDEMNISABLE RÉSULTANT D'UNE ÉVICTION ILLÉGALE DU SERVICE [RJ1] [RJ2].

36-08-03 Les indemnités de résidence attribuées aux personnels de l'Etat en service à l'étranger ont pour objet de compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées. Elles sont, de ce fait, exclues du préjudice indemnisable résultant d'une éviction illégale du service (en l'espèce, mutation d'office à l'administration centrale d'un agent titulaire dans une ambassade de France à l'étranger).

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - ÉVALUATION DU PRÉJUDICE - PRÉJUDICE MATÉRIEL - PERTE DE REVENUS - PRÉJUDICE MATÉRIEL SUBI PAR DES AGENTS PUBLICS - EVICTION ILLÉGALE DU SERVICE - INDEMNITÉS DE RÉSIDENCE ATTRIBUÉES AUX PERSONNELS DE L'ETAT EN SERVICE À L'ÉTRANGER - INCLUSION DANS LE PRÉJUDICE INDEMNISABLE - ABSENCE [RJ1] [RJ2].

60-04-03-02-01-03 Les indemnités de résidence attribuées aux personnels de l'Etat en service à l'étranger ont pour objet de compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées. Elles sont, de ce fait, exclues du préjudice indemnisable résultant d'une éviction illégale du service (en l'espèce, mutation d'office à l'administration centrale d'un agent titulaire dans une ambassade de France à l'étranger).


Références :

[RJ1]

Rappr., dans le cas d'un retard fautif à titulariser un agent, CE, 10 juin 2011, Erouart, n° 326870, à mentionner aux Tables.,,

[RJ2]

Comp. CE, 18 juillet 2008, Stilinovic, n° 304962, p. 306.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2011, n° 342600
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Yves Doutriaux
Rapporteur public ?: M. Damien Botteghi
Avocat(s) : SCP DELVOLVE, DELVOLVE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:342600.20110610
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