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16/06/2011 | FRANCE | N°336306

France | France, Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 16 juin 2011, 336306


Vu le pourvoi, enregistré le 5 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA00066 du 4 décembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement n° 0205257 du 9 octobre 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a réduit la cotisa

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Vu le pourvoi, enregistré le 5 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA00066 du 4 décembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement n° 0205257 du 9 octobre 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a réduit la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la société Universal Vivendi a été assujettie au titre de l'année 1994 ainsi que les pénalités correspondantes et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son recours ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Paquita Morellet-Steiner, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la société Vivendi,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la société Vivendi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de la comptabilité de la société La Compagnie des Eaux et de l'Ozone (CEO), filiale intégrée dont la société mère était la société Vivendi Universal, l'administration fiscale a réintégré aux résultats de l'exercice clos le 31 décembre 1994 le montant de factures établies par des intermédiaires commerciaux ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 décembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement du 9 octobre 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a réduit la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la société Vivendi Universal, devenue la société Vivendi et venant aux droits de la société CEO, a été assujettie au titre de l'année 1994 ainsi que les pénalités correspondantes ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ; que si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application de ces dispositions, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; que le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ; qu'en vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ;

Considérant que si, après avoir constaté que la société produisait les factures des sociétés Auvergne Bourgogne Centre, Normandie Collectivité et Sicopar, la cour a répondu aux moyens du ministre tirés de ce que l'intitulé des factures était imprécis et de ce que les protocoles d'accord conclus avec certains intermédiaires auraient dû conduire à un échange de courrier, elle a omis de répondre au moyen tiré de ce qu'aucun lien direct et nettement précisé n'avait été établi entre ces contrats et l'obtention effective de marchés ou de travaux supplémentaires ; que, par suite, le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Considérant que le recours du ministre comporte l'exposé des faits et des moyens à l'appui de sa critique du jugement attaqué ; qu'ainsi, la fin de non-recevoir opposée par la société doit être écartée ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'ainsi qu'il a été dit, la société CEO a produit les factures émises par les sociétés Auvergne Bourgogne Centre, Normandie Collectivité et Sicopar relatives à des prestations d'entremise commerciale ; que le ministre fait valoir que ces factures qui se bornaient à mentionner des honoraires ou commissions pour assistance commerciale ne permettaient pas d'établir la nature et l'objet des prestations rendues et étaient, dès lors, insuffisamment précises ; qu'il soutient également qu'aucun élément susceptible d'identifier le lien entre chacune des prestations et l'obtention de marchés publics n'a pu être relevé et que la société n'a pas justifié des modalités de calcul des honoraires versés ; que si la société Vivendi Universal a fait état de l'existence de protocoles préalables à l'intervention du prestataire, ce que le ministre ne conteste pas, elle s'est bornée à faire valoir que les missions d'assistance ont été rémunérées en fonction d'un pourcentage de 2 ou 3 % calculé sur la valeur annuelle des marchés publics, sans étayer cette affirmation d'aucun élément de justification, et n'a produit devant le juge de l'impôt aucun élément susceptible de justifier du lien entre les prestations alléguées et les factures litigieuses, alors qu'elle est seule à détenir ces éléments ; que, par suite, et alors même que les prestations immatérielles alléguées ne donnent pas nécessairement lieu à des comptes-rendus de la part de celui qui les fournit, l'administration a à bon droit réintégré le montant de ces factures dans les résultats de la société CEO, au motif qu'elles ne correspondaient pas à la fourniture des prestations alléguées ; que, par suite , le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a fait droit à la demande de la société Vivendi Universal ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société devant le tribunal administratif ;

Considérant, en premier lieu, que si la société a entendu se prévaloir de la mention figurant dans la charte du contribuable vérifié selon laquelle dans le cadre de la procédure contradictoire, en cas de contentieux ultérieur, la charge de la preuve incombe à l'administration, sauf dans des cas exceptionnels, cette mention n'a ni pour objet, ni pour effet d'instaurer des règles de preuve différentes de celles qui résultent de l'application de la loi et des principes généraux de la procédure contentieuse ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a soutenu à aucun stade de la procédure que les conventions d'intermédiation auraient été fictives ou n'avaient pour but que d'éluder l'impôt, mais a fait valoir que le lien entre les prestations alléguées et l'obtention de marchés publics n'était pas établi ; que, ce faisant, l'administration ne s'est pas placée sur le terrain de l'abus de droit et n'a ainsi pas privé la société des garanties prévues par les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

Considérant, en troisième lieu, d'une part, que les dispositions du 1 de l'article 1729 du code général des impôts alors applicable relatives aux pénalités pour mauvaise foi, qui proportionnent les pénalités aux agissements du contribuable et prévoient des taux de majoration différents selon la qualification qui peut être donnée au comportement de celui-ci, ne méconnaissent pas les stipulations du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors même qu'elles ne confèrent pas au juge un pouvoir de modulation du taux des pénalités qu'elles instituent ; que, d'autre part, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'intention délibérée du contribuable de se soustraire à l'impôt dès lors que, malgré les demandes qu'elle a formulées, la société s'est abstenue de produire les éléments qu'elle est seule à détenir qui aurait été de nature à établir la réalité des prestations alléguées ;

Considérant, enfin, que l'intérêt de retard institué par les dispositions de l'article 1727 du code général des impôts vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis par l'Etat à raison du non-respect par les contribuables de leurs obligations de déclarer et payer l'impôt aux dates légales ; que si l'évolution des taux du marché a conduit à une hausse relative de cet intérêt depuis son institution, cette circonstance ne lui confère pas pour autant la nature d'une sanction, dès lors que son niveau n'est pas devenu manifestement excessif au regard du taux moyen pratiqué par les prêteurs privés pour un découvert non négocié ; que, par suite, le moyen invoqué par la société Vivendi Universal tiré de ce que l'intérêt de retard constituerait une sanction, qui était irrégulière faute d'être motivée, ne peut qu'être écarté ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a déchargé la société Vivendi Universal de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1994 ainsi que des pénalités correspondantes à concurrence d'une somme de 41 815,69 euros ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la société Vivendi la somme que celle-ci réclame à ce titre ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 4 décembre 2009 et le jugement du 9 octobre 2007 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la société Vivendi Universal a été assujettie au titre de l'année 1994 ainsi que les pénalités correspondantes sont remises à sa charge à concurrence de la réduction prononcée par le tribunal administratif de Paris.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Vivendi sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT et à la société Vivendi.


Synthèse
Formation : 8ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 336306
Date de la décision : 16/06/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 jui. 2011, n° 336306
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Gilles Bachelier
Rapporteur ?: Mme Paquita Morellet-Steiner
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut
Avocat(s) : SCP DE CHAISEMARTIN, COURJON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:336306.20110616
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