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01/07/2011 | FRANCE | N°334040

France | France, Conseil d'État, 2ème sous-section jugeant seule, 01 juillet 2011, 334040


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 novembre 2009 et 23 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Lefter A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08BX02559 du 26 mars 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0802681 du 25 septembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 mai 2008 du préfet de la Giro

nde portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoir...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 novembre 2009 et 23 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Lefter A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08BX02559 du 26 mars 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0802681 du 25 septembre 2008 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 mai 2008 du préfet de la Gironde portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire, ainsi que de sa décision désignant l'Albanie comme pays de renvoi, d'autre part, à l'annulation de ces décisions ;

2°) jugeant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative, modifié notamment par le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport M. Yves Doutriaux, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Damien Botteghi, rapporteur public,

La parole ayant à nouveau été donnée à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de M. A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet de la Gironde a, par un arrêté du 5 mai 2008, rejeté la demande de titre de séjour formée par M. A, ressortissant albanais, et assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français ; qu'il a, par une décision distincte, désigné l'Albanie comme pays de renvoi ; que par jugement du 25 septembre 2008, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le recours formé par M. A contre ces décisions ; que la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé ce jugement par un arrêt du 26 mars 2009 ; que M. A se pourvoit régulièrement contre cet arrêt ;

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article R. 732-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret du 7 janvier 2009 et applicable à compter du 1er février 2009 : Les parties ou leurs mandataires peuvent présenter de brèves observations orales après le prononcé des conclusions du rapporteur public. ; qu'aux termes de l'article R. 741-2 du même code : La décision mentionne que l'audience a été publique (...) / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. / Mention y est faite que le rapporteur et le rapporteur public et, s'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs ainsi que toute personne entendue sur décision du président en vertu du deuxième alinéa de l'article R. 731-3 ont été entendus. / Mention est également faite de la production d'une note en délibéré. / La décision fait apparaître la date de l'audience et la date à laquelle elle a été prononcée. ; que si ces dispositions imposent que toute personne entendue soit mentionnée par la décision, elles ne font, en revanche, pas obligation à celle-ci de mentionner que les parties ou leurs mandataires ont eu la possibilité de reprendre la parole après le prononcé des conclusions du rapporteur public ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la circonstance que le jugement attaqué ne mentionne pas que l'avocat de M. A a été invité à reprendre la parole après les conclusions du rapporteur public, dans les conditions fixées par les dispositions de l'article R. 732-1 du code de justice administrative, n'est pas de nature à entacher ce jugement d'irrégularité ; qu'il n'est pas non plus soutenu par M. A que son avocat, dont le jugement mentionne qu'il a été entendu à l'audience, n'aurait pas été mis en mesure de présenter ses observations orales après le prononcé des conclusions du rapporteur public ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire (...). La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin inspecteur de santé publique compétent au regard du lieu de résidence de l'intéressé ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police. (...) ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions précitées, de vérifier, au vu de l'avis émis par le médecin, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale ; que lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine ;

Considérant, comme l'a relevé la cour administrative d'appel, que si le requérant fait valoir qu'il est atteint d'un état dépressif nécessitant la prise d'antidépresseurs et d'anxiolytiques, que l'absence de soins entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et joint des certificats médicaux à l'appui de ces allégations, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment pas de l'avis du médecin-inspecteur de santé publique, qui indique que l'intéressé peut bénéficier dans son pays d'origine d'un traitement approprié, que ces soins ne pouvaient être poursuivis en Albanie ; que, par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier, en jugeant que le préfet de la Gironde n'avait pas méconnu les dispositions précitées de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant, en second lieu, comme l'a relevé la cour administrative d'appel, que si M. A fait valoir qu'il vit depuis juin 2005 avec une ressortissante française, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'intéressé ne séjourne toutefois en France que depuis fin 2004 et demeure marié à une ressortissante albanaise avec laquelle il a eu deux enfants dont l'un, né le 18 août 1997, est encore mineur, si bien qu'il n'est pas dépourvu de liens avec son pays d'origine où résident son épouse et ses deux enfants ; que, par suite, la cour a exactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que la décision par laquelle le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour n'avait pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et n'avait pas davantage méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision désignant l'Albanie comme pays de renvoi :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ... ; que ce dernier texte stipule que : Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de renvoi ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;

Considérant que, pour rejeter la requête de M. A, la cour administrative d'appel a estimé que le requérant, qui invoquait une méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'apportait pas d'éléments suffisamment probants et précis de nature à établir la réalité des risques de traitements inhumains et dégradants qu'il alléguait, et qu'en particulier, il ne justifiait pas avoir demandé la protection des autorités albanaises ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que des témoignages nombreux, précis et concordants, établis en 2005 et de nouveau en 2008, et dont la force probante n'est pas contestée en défense, font état de menaces personnelles contre la vie de M. A émanant de membres d'une même famille impliquée alors dans divers agissements délictueux, en raison de son rôle dans l'opération de police conduite en 1998 par la police albanaise et au cours de laquelle l'un des membres de cette famille a trouvé la mort, et qu'il résulte également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A n'a pas bénéficié contre ces menaces de la protection qu'il pouvait légitimement attendre de la part de l'Etat albanais compte tenu de ce qu'elles le visaient en tant que policier ayant agi dans l'exercice de ses fonctions; qu'au surplus, la commission de recours des réfugiés, pour rejeter la demande d'asile de M. A, n'avait pas remis en cause la gravité des risques auxquels celui-ci faisait face, mais s'était bornée à constater qu'ils n'entraient pas dans les prévisions de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, M. A n'appartenant pas à un groupe social persécuté au sens de cette convention ; qu'ainsi, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce au regard des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué qu'en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre la décision désignant l'Albanie comme pays de renvoi ;

Considérant qu'il y a lieu, dans cette mesure et dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que de multiples témoignages établissent que M. A est sous le coup d'une vengeance au titre de la loi dite du Kanun encourue du fait de sa participation, en tant que policier, à une opération de lutte contre la criminalité dans la ville de Berat (Albanie) en novembre 1998 ; que des menaces continuent de peser sur la vie de M. A dix ans après les faits ; qu'il est constant que les autorités albanaises, si elles ont engagé une politique de pénalisation des crimes accomplis au titre de la loi dite du Kanun , ne sont pas en mesure d'apporter une protection suffisante à chacune de ses victimes ; que, dans ces circonstances, et alors même que la demande d'admission au statut de réfugié a été rejetée au motif, pour l'application de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, que les risques qu'il invoque ne sont pas des persécutions du fait de son appartenance à un groupe social, la décision du préfet de la Gironde désignant l'Albanie comme pays de renvoi a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant que, par suite, M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision, distincte de la décision de refus de titre de séjour et portant obligation de quitter le territoire français, et par laquelle le préfet de la Gironde a fixé l'Albanie comme pays de renvoi ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 26 mars 2009 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. A dirigées contre la décision du préfet de la Gironde en date du 5 mai 2008 désignant l'Albanie comme pays à destination duquel M. A sera reconduit.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 septembre 2008 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A dirigées contre la décision du préfet de la Gironde en date du 5 mai 2008 désignant l'Albanie comme pays à destination duquel M. A sera reconduit.

Article 3 : La décision du préfet de la Gironde en date du 5 mai 2008 fixant l'Albanie comme pays à destination duquel M. A sera reconduit est annulée.

Article 4 : L'Etat versera à M. A une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Lefter A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.


Synthèse
Formation : 2ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 334040
Date de la décision : 01/07/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 01 jui. 2011, n° 334040
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Edmond Honorat
Rapporteur ?: M. Yves Doutriaux
Rapporteur public ?: M. Damien Botteghi
Avocat(s) : SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:334040.20110701
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