La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/07/2011 | FRANCE | N°350850

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 20 juillet 2011, 350850


Vu la requête, enregistrée le 12 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Ketevan A, élisant domicile au cabinet de ... ; Mme A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1103020 du 6 juillet 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, en ce que, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution des décisions du 4 juillet 2011 portant refus d'admission au séjour au titre de l'asile

et réadmission à destination de la Pologne et à ce qu'il soit enjoint a...

Vu la requête, enregistrée le 12 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Ketevan A, élisant domicile au cabinet de ... ; Mme A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1103020 du 6 juillet 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, en ce que, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution des décisions du 4 juillet 2011 portant refus d'admission au séjour au titre de l'asile et réadmission à destination de la Pologne et à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde d'instruire sa demande d'asile dans un délai de deux jours, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ou, à tout le moins, de procéder au réexamen de sa situation ;

2°) de faire droit sur ces points à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

elle soutient que l'ordonnance attaquée est entachée d'erreur de droit ; que sa demande d'asile relevait des dispositions de l'article 20 du règlement (CE) n° 343/2003 et non de celles de l'article 19 du règlement précité, dès lors qu'elle est considérée par les autorités polonaises comme ayant demandé l'asile ; qu'en tout état de cause, l'article 19 prévoit le même délai que l'article 20 du règlement précité aux fins de procéder au transfert du demandeur d'asile vers le pays ayant accepté sa reprise en charge ; que l'Etat français n'ayant pas mis à exécution son transfert vers la Pologne avant le 12 mai 2011, est responsable de sa demande d'asile ; qu'il n'est pas établi, ni même allégué, qu'elle serait en fuite ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2011, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la France n'étant pas responsable de la demande d'asile de la requérante, aucune atteinte grave et manifestement illégale n'a été portée à son droit d'asile ; qu'une procédure de réadmission Dublin a dû de nouveau être diligentée auprès des autorités polonaises afin de préserver l'unité familiale prévue par les dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 ; que l'arrêté du préfet de la Gironde de remise aux autorités polonaises n'est pas entaché d'illégalité dès lors que, le 4 février 2011, elles ont accepté la reprise en charge de la famille A et qu'ainsi le délai de transfert de six mois arrive à terme le 4 août 2011 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 18 juillet 2011 à 11 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A ;

- les représentants du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 19 juillet 2011 à 13 heures, afin de permettre à l'administration de produire de nouvelles pièces ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 18 juillet 2011, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration qui produit les pièces demandées et fait valoir que ce n'est que le 26 janvier 2011 que Mme A s'est présentée en préfecture accompagnée de ses enfants ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 19 juillet 2011, présenté pour Mme A, qui soutient que les pièces produites ne permettent pas de considérer que le délai de six mois aurait pu courir à compter d'une autre date que le 12 novembre 2011 ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ;

En ce qui concerne l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme Ketevan A, ressortissante géorgienne entrée irrégulièrement en France en septembre 2010, y a sollicité l'admission au séjour au titre de l'asile ; que, le 4 juillet 2011, le préfet de la Gironde lui a opposé un refus et a décidé sa réadmission vers la Pologne, par application du règlement du 18 février 2003, au motif que cet Etat, où elle avait auparavant demandé l'asile, était responsable de l'examen de sa demande d'asile ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a refusé de faire droit à la demande de Mme A, présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension des décisions du 4 juillet 2011 et à ce qu'il soit enjoint au préfet, sous astreinte, d'enregistrer sa demande d'asile ;

Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que, s'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le 1° de cet article permet de refuser l'admission en France d'un demandeur d'asile, lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ; que tel est en particulier le cas, en vertu des dispositions combinées des articles 4, 16 et 20 de ce règlement, lorsque l'étranger avait auparavant présenté une demande d'asile dans cet autre Etat ; que le 1 du même article 20 prévoit que le transfert du demandeur d'asile vers le pays de réadmission doit alors se faire dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation de la demande aux fins de reprise en charge et que, selon le 2 de ce même article, Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l'État membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite , ce délai pouvait être porté à dix-huit mois au maximum si le demandeur d'asile prend la fuite ;

Considérant que, pour justifier sa position quant au décompte, en l'espèce, du délai de six mois qui était imparti à l'administration par le règlement du 18 février 2003 pour procéder à la réadmission effective de Mme A, le ministre fait valoir que, si les autorités polonaises avaient, dès le 12 novembre 2010, accepté de prendre en charge sa demande d'asile, il est apparu que l'intéressée était en réalité accompagnée de ses trois enfants mineurs et que les autorités polonaises n'ont complété sur ce point leur accord que le 4 février 2011 ;

Considérant, toutefois, qu'il résulte du supplément d'instruction ordonné en appel à l'issue des débats à l'audience que la demande de réadmission que la préfecture de la Gironde a adressée aux autorités polonaises le 10 novembre 2010 ne faisait mention que de Mme A, alors que l'existence et l'identité des trois enfants mineurs dont l'intéressée est accompagnée avaient, dès le 10 septembre précédent, été portées à la connaissance des services de la préfecture par une mention en ce sens dans le formulaire de demande d'admission au séjour au titre de l'asile rempli par l'intéressée ; que l'administration n'a fourni au juge des référés aucun élément de nature à justifier qu'elle se soit abstenue de signaler aux autorités polonaises la présence des enfants en cause avant le 1er février 2011, date de son courrier demandant à ces autorités de compléter leur accord, ce qu'elles ont fait dès le 4 février ; que, ce faisant, et en ne statuant ensuite que le 4 juillet 2011 sur la demande d'admission au séjour au titre de l'asile, l'administration ne peut manifestement pas être regardée comme ayant accompli les diligences qui lui incombaient, en vertu de l'article 20 du règlement du 18 février 2003, afin d'assurer la réadmission effective de la requérante et de ses enfants dans les six mois courant à compter du 12 novembre 2010 ; qu'il n'est par ailleurs pas soutenu que l'intéressée aurait tenté de prendre la fuite ; que, dans ces conditions, à l'expiration du délai de six mois imparti à l'administration, la procédure de réadmission avait pris fin ; qu'il incombait dès lors aux autorités françaises, désormais responsables de l'examen de la demande d'asile de Mme A en application des dispositions du 2 du même article 20, de l'examiner au regard des dispositions nationales relatives au droit d'asile ;

En ce qui concerne l'urgence :

Considérant qu'une décision de remise à un Etat étranger, susceptible d'être exécutée d'office en vertu de l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, crée, pour son destinataire, une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu de suspendre les effets des décisions du préfet de la Gironde du 4 juillet 2011 et, dès lors qu'elle n'entre dans aucun des autres cas prévus à l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'enjoindre au préfet de lui délivrer, ainsi qu'à ses trois enfants, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, l'autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile prévue par l'article L. 742-1 de ce code, afin qu'elle puisse présenter à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides une demande d'admission au statut de réfugié que cet établissement devra examiner selon la procédure normale ; qu'il n'y a pas lieu, en l'état, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Considérant, enfin, que dans le dernier état des conclusions de Mme A, telles qu'elles ont été précisées à l'audience par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation qui la représente, la demande présentée sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 par l'avocat au barreau qu'elle avait initialement mandaté doit, en tout état de cause, être regardée comme abandonnée ;

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'ordonnance du 6 juillet 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est annulée.

Article 2 : L'exécution des décisions du préfet de la Gironde du 4 juillet 2011 est suspendue.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme A ainsi qu'à ses trois enfants, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'à la notification de la décision, qui devra être prise selon la procédure normale, du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Ketevan A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 350850
Date de la décision : 20/07/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 jui. 2011, n° 350850
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jacques Arrighi de Casanova
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:350850.20110720
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award