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26/07/2011 | FRANCE | N°328095

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 26 juillet 2011, 328095


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 mai et 18 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SCEA TERRA SANTA CATALINA, dont le siège est Manoir de Sainte-Catherine à Sisco (20233), la SCI SANTA CATALINA, dont le siège est Manoir de Sainte-Catherine à Sisco (20233), et Mme Françoise A, épouse B, demeurant ... ; la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06MA01288 du 16 mars 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit à l'app

el du ministre de l'agriculture et de la pêche, a annulé le jugement n...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 mai et 18 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SCEA TERRA SANTA CATALINA, dont le siège est Manoir de Sainte-Catherine à Sisco (20233), la SCI SANTA CATALINA, dont le siège est Manoir de Sainte-Catherine à Sisco (20233), et Mme Françoise A, épouse B, demeurant ... ; la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06MA01288 du 16 mars 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit à l'appel du ministre de l'agriculture et de la pêche, a annulé le jugement n° 0500541 du 2 mars 2006 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision du préfet de la Haute-Corse du 4 mars 2005 rejetant la demande d'autorisation de plantation de vignes en vue de produire du vin de pays présentée par la SCEA TERRA SANTA CATALINA et rejeté leur demande d'annulation devant ce tribunal ainsi que les conclusions indemnitaires qu'elles avaient présentées devant elle ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'agriculture et de la pêche et de faire droit à leurs conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice qu'elles affirment avoir subi du fait du refus d'autorisation litigieux ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999 ;

Vu le code rural ;

Vu l'arrêté du 8 juin 2004 relatif aux critères d'attribution d'autorisations de plantation de vignes par utilisation de droits de plantation externes à l'exploitation en vue de produire des vins de pays pour la campagne 2004-2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Auditeur,

- les observations de Me Spinosi, avocat de la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Spinosi, avocat de la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres,

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCEA TERRA SANTA CATALINA, qui exploite des terres données à bail par la SCI SANTA CATALINA, propriétaire du domaine et du site historique du couvent de Santa Catalina à Sisco, et dont Mme B est la gérante, a demandé une autorisation de plantation de vignes par utilisation de droits de plantation externes à l'exploitation en vue de produire du vin de pays pour la campagne 2004-2005 ; que, par une décision du 4 mars 2005, le préfet de la Haute-Corse a refusé l'autorisation sollicitée, au motif que la superficie de l'exploitation viticole lors du dépôt de la demande était inférieure à deux hectares ; que, par un jugement du 2 mars 2006, le tribunal administratif de Bastia a annulé pour excès de pouvoir cette décision ; que la SCEA TERRA SANTA CATALINA, la SCI SANTA CATALINA et Mme B se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 16 mars 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, faisant droit à l'appel du ministre de l'agriculture et de la pêche, a annulé ce jugement et rejeté leur demande en annulation devant le tribunal administratif de Bastia ainsi que les conclusions indemnitaires qu'elles avaient présentées pour la première fois devant elle ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 2 du règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999 portant organisation commune du marché vitivinicole : 1. La plantation de vignes avec des variétés classées (...) en tant que variétés à raisins de cuve, est interdite jusqu'au 31 juillet 2010, à moins qu'elle ne soit effectuée conformément à : / a) un droit de plantation nouvelle, au sens de l'article 3 ; / b) un droit de replantation, au sens de l'article 4 / ou c) un droit de plantation prélevé sur une réserve, au sens de l'article 5 (...). ; qu'aux termes de l'article 5 de ce règlement : 1. En vue d'améliorer la gestion du potentiel de production à l'échelle nationale ou régionale, les Etats membres créent, suivant le cas, une réserve nationale et/ou des réserves régionales de droits de plantation. / (...) / 3. Les Etats membres peuvent octroyer les droits attribués à la réserve: / a) sans contrepartie financière, aux producteurs de moins de quarante ans, qui possèdent une capacité professionnelle suffisante et qui s'installent sur une exploitation viticole pour la première fois, en qualité de chef d'exploitation / ou b) moyennant une contrepartie financière versée à des caisses nationales et, le cas échéant, régionales, aux producteurs qui ont l'intention d'utiliser les droits pour planter des vignobles dont la production a un débouché assuré. Les Etats membres définissent les critères applicables à la fixation du montant de la contrepartie financière, qui peut varier en fonction du futur produit final des vignobles concernés. / 4. Les Etats membres veillent à ce que le lieu où les droits de plantation prélevés sur une réserve sont exercés ainsi que les variétés et les techniques de culture utilisées garantissent l'adéquation de la production ultérieure à la demande du marché ainsi que des rendements représentatifs de la moyenne de la région où ces droits sont utilisés, en particulier lorsque les droits de plantation provenant de superficies non irriguées sont utilisés dans des superficies irriguées (...). ; que l'article 22 du même règlement dispose : Les Etats membres peuvent adopter des réglementations nationales plus restrictives en matière de plantation nouvelle ou de replantation de vigne ou de surgreffage (...) ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R. 664-2 du code rural alors applicable : Conformément à l'article 5 du règlement (CE) n° 1493/1999, il est institué une réserve nationale des droits de plantation, ci-après dénommée réserve (...) ; qu'aux termes de l'article R. 664-6 du même code : Des autorisations de plantation peuvent être attribuées, suivant les modalités définies aux articles R. 664-7 à R. 664-10 aux exploitants qui ont l'intention d'utiliser les droits de plantation pour planter des vignobles dont la production a un débouché assuré. Les décisions d'octroi ou de refus d'autorisation sont motivées ; que l'article R. 664-8 de ce code dispose : En ce qui concerne les vignes destinées à produire des vins de pays, les critères dont certains ont une portée nationale, et les contingents d'autorisations de plantations sont, après avis du conseil spécialisé pour les vins de pays de l'office national interprofessionnels des vins, arrêtés conjointement par le ministre chargé de l'agriculture et celui chargé de l'économie et des finances. Les autorisations sont délivrées par le préfet du département du siège de l'exploitation (...). ; qu'enfin, l'arrêté interministériel du 8 juin 2004 relatif aux critères d'attribution d'autorisations de plantation de vignes par utilisation de droits de plantation externes à l'exploitation en vue de produire des vins de pays pour la campagne 2004-2005 prévoit, à son article 2, que, lors du dépôt de la demande, l'exploitation doit avoir une superficie viticole au moins égale à deux hectares ;

Considérant qu'ainsi que l'a jugé la Cour de Justice des Communautés européennes, notamment dans ses arrêts du 29 novembre 1978 Pigs Marketing Board (aff. 83/78) et du 8 janvier 2002 Van den Bor (aff. C-428/99), quand existe un règlement portant organisation commune des marchés dans un domaine déterminé, les Etats membres sont tenus de s'abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte ; qu'en effet, il est de l'essence même d'une organisation commune de marché, ainsi que l'a par exemple jugé la Cour dans ses arrêts du 18 septembre 1986 Commission c/ Allemagne (aff. 48/85) et du 25 mars 2004 Industrias de Deshidratación Agricola SA (aff. C-118/02), que, dans les domaines couverts par une telle organisation, les Etats membres ne peuvent, en principe, plus intervenir par des dispositions nationales, prises unilatéralement, et que leur compétence ne saurait être que résiduelle et doit se limiter aux situations non régies par la règle communautaire et aux cas où celle-ci leur reconnaît expressément compétence ; que, dans cette dernière hypothèse, la compétence des Etats membres doit être exercée dans le respect des principes et des objectifs définis par la réglementation communautaire ; qu'ainsi, la faculté, ouverte aux Etats membres par l'article 22 du règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999, d'adopter des réglementations nationales plus restrictives en matière de plantation nouvelle ou de replantation de vignes, y compris pour l'octroi de droits de plantation prélevés sur une réserve, doit être exercée dans le respect des principes et des objectifs définis par la réglementation communautaire dans le secteur vitivinicole ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la faculté ouverte aux Etats membres par l'article 22 du règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999 permettait à ceux-ci de limiter, par toutes conditions supplémentaires, l'attribution de droits de plantation prélevés sur une réserve et en en déduisant que les dispositions de l'article 2 de l'arrêté interministériel du 8 juin 2004 subordonnant l'octroi d'autorisations de plantation de vignes par utilisation de droits prélevés sur la réserve, pour la campagne 2004-2005, à une condition de superficie minimale de l'exploitation viticole préexistante de deux hectares ne méconnaissaient pas ce règlement, sans rechercher si la condition supplémentaire ainsi posée ne méconnaissait pas les principes et objectifs définis par l'organisation commune de marché dans le secteur vitivinicole, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, par suite, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur l'appel du ministre de l'agriculture et la pêche :

Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant que le critère de superficie minimale de l'exploitation viticole préexistante de deux hectares posé par l'arrêté du 8 juin 2004 ne respecte pas l'objectif poursuivi par le code rural et par la réglementation communautaire dans le secteur vitivinicole, le tribunal administratif de Bastia a suffisamment motivé son jugement ; que le ministre n'est, par ailleurs, pas fondé à soutenir que ce jugement serait entaché d'irrégularité au seul motif qu'il ne mentionne pas expressément l'article 22 du règlement du Conseil du 17 mai 1999, que le préfet de la Haute-Corse n'avait, au demeurant, pas évoqué dans ses écritures ;

Considérant, en second lieu, que, si les dispositions des articles R. 664-6 et R. 664-8 du code rural citées ci-dessus autorisent le ministre chargé de l'agriculture et le ministre chargé de l'économie et des finances à définir par arrêtés, en ce qui concerne les vignes destinées à produire des vins de pays, les critères d'attribution d'autorisations de plantations, ces arrêtés doivent avoir pour objet, conformément aux dispositions de l'article R. 664-6 du code, qui met en oeuvre les dispositions du règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999, de permettre à l'administration de s'assurer que des débouchés suffisants existent pour les nouvelles productions envisagées et ne peuvent donc, à cette fin, avoir pour effet d'imposer des exigences sans rapport avec l'objectif fondamental d'équilibre des marchés vitivinicoles par la maîtrise des capacités de production et l'adaptation de la production à la demande, ou des exigences disproportionnées au regard de ce qu'exige cet objectif d'équilibre des marchés ;

Considérant que le ministre se borne à soutenir qu'un atelier viticole d'une superficie au moins égale à deux hectares serait seul à même de laisser présumer que l'exploitant qui demande une nouvelle autorisation de plantation aurait besoin de capacités de production supplémentaires pour faire face à la demande et qu'il disposerait d'un savoir-faire adéquat pour s'adapter au marché, de sorte que les productions liées aux nouvelles autorisations demandées pourraient, dans ce seul cas, être regardées comme disposant de débouchés garantis ; que le ministre ne justifie pas, par de tels motifs, que le critère, purement quantitatif, retenu par l'arrêté du 8 juin 2004 respecterait les exigences définies ci-dessus ; qu'ainsi, la décision attaquée, par laquelle le préfet de la Haute-Corse a rejeté la demande de la SCEA TERRA SANTA CATALINA, a été prise sur le fondement d'un arrêté illégal ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de la pêche n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision du 4 mars 2005 par laquelle le préfet de la Haute-Corse a rejeté la demande d'autorisation de plantation de vignes en vue de produire du vin de pays présentée par la SCEA TERRA SANTA CATALINA ;

Sur les conclusions indemnitaires de la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres :

Considérant que, si la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres affirment avoir subi un préjudice du fait du refus illégal opposé par l'Etat à leur demande d'autorisation de plantation et demandent la condamnation de l'Etat à leur verser, à titre de réparation, la somme de 10 000 euros, elles n'assortissent en tout état de cause pas ces prétentions de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Sur les conclusions de la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres de la somme globale de 4 500 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 16 mars 2009 est annulé.

Article 2 : Le recours du ministre de l'agriculture et de la pêche devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejeté.

Article 3 : Les conclusions à fins d'indemnisation présentées par la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres devant la cour administrative d'appel de Marseille sont rejetées.

Article 4 : L'Etat versera à la SCEA TERRA SANTA CATALINA et autres la somme de 4 500 euros titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5: La présente décision sera notifiée à la SCEA TERRA SANTA CATALINA, à la SCI SANTA CATALINA, à Mme Françoise A, épouse B, et au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.

Une copie en sera adressée pour information à l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 328095
Date de la décision : 26/07/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2011, n° 328095
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Bernard Stirn
Rapporteur ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:328095.20110726
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