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24/08/2011 | FRANCE | N°316928

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 24 août 2011, 316928


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juin et 5 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Yvette A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06NT00453 du 7 avril 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir réformé le jugement du 22 décembre 2005 du tribunal administratif de Caen, a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt

sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujet...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juin et 5 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Yvette A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06NT00453 du 7 avril 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir réformé le jugement du 22 décembre 2005 du tribunal administratif de Caen, a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 1997 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer la décharge sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gilles Pellissier, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Ricard, avocat de Mme A,

- les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Ricard, avocat de Mme A ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes du 4 du I ter de l'article 160 du code général des impôts, alors en vigueur : L'imposition de la plus-value réalisée à compter du 1er janvier 1991 en cas d'échange de droits sociaux résultant d'une opération de fusion, scission ou d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l'article 92 B ; qu'aux termes du II de l'article 92 B du même code, alors en vigueur : 1. A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échange de titres résultant d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d'absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, peut être reportée au moment où s'opérera la cession ou le rachat des titres reçus lors de l'échange. (...) ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) / b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement.; qu'il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ;

Considérant que, lorsque l'administration entend remettre en cause les conséquences fiscales d'une opération qui s'est traduite par un report d'imposition, au motif que les actes passés par le contribuable ne lui sont pas opposables, elle est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'en effet, une telle opération, dont l'intérêt fiscal est de différer l'imposition, entre dans le champ d'application de cet article, dès lors qu'elle a nécessairement pour effet de minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable ; que, par suite, en jugeant que l'administration ne pouvait faire usage des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions lorsqu'elle entend contester le fait, pour un contribuable de placer et de maintenir, sous le régime du report d'imposition prévu au 4 du I ter de l'article 160 du code général des impôts, une plus-value réalisée à l'occasion d'un apport de droits sociaux, au motif qu'une telle demande ne déguise par elle-même ni une réalisation, ni un transfert de bénéfices ou de revenus au sens du b) de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit; que son arrêt doit, dès lors, être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois principal et incident ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que le placement en report d'imposition d'une plus-value réalisée par un contribuable, lors de l'apport de titres à une société qu'il contrôle, et qui a été suivi de leur cession par cette société, est constitutif d'un abus de droit s'il s'agit d'un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l'apport ; qu'il n'a en revanche pas ce caractère s'il ressort de l'ensemble de l'opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le produit de ces cessions dans une activité économique ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 11 juin 1997, Mme A a fait apport à la SCI La Roseraie, créée le même jour, de 1 850 des 2 480 parts qu'elle détenait sur les 2500 parts composant le capital de la SARL Le Drakkar , dont elle était la gérante et qui exploitait un bar-brasserie-restaurant ; que Mme A s'est ainsi trouvée détentrice de 99, 96 % du capital de cette société civile et a réalisé une plus-value de 4 995 000 francs qu'elle a placée en report d'imposition ; que l'administration a remis en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, comme procédant d'un abus de droit, le report de l'imposition de cette plus-value et appliqué les pénalités de 80 % prévues par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts ;

Considérant que le comité consultatif pour la répression des abus de droit ayant, dans sa séance du 20 juin 2003, émis l'avis que l'apport de parts de la SARL Drakkar à la société civile La Roseraie, qui les avait immédiatement revendues, avait eu pour seul but de reporter l'imposition de la plus-value réalisée lors de cet échange de titres, il appartenait à Mme A d'apporter la preuve que cette opération ne poursuivait pas un but exclusivement fiscal et notamment que l'apport de ses parts à la SCI La Roseraie avait été effectivement réinvesti par cette société dans le cadre de ses activités ; que si Mme A soutient que la création de la SCI La Roseraie a permis la réalisation d'investissements à caractère économique, il résulte de l'instruction que 15 % seulement des produits de la cession ont été réinvestis dans des prises de participations dans deux SARL exploitant des bars-restaurants ; que si 40 % des produits de cession ont été affectés à des avances en compte courant au profit de ces deux SARL, ces apports, en l'absence de preuve de ce qu'ils ont été employés au financement de travaux ou d'acquisition d'éléments d'actif de ces sociétés, ne peuvent pas être regardés comme des investissements dans une activité économique ; que le solde des produits de cession, placé en valeurs mobilières, doit être regardé comme ayant un caractère patrimonial ; qu'ainsi Mme A, qui ne peut, en tout état de cause, se prévaloir de la réponse ministérielle du 28 février 1983 à M. Bas et de la documentation administrative 7 S-3323 n° 38 du 1er octobre 1999 relatives à l'impôt de solidarité sur la fortune, n'établit pas que la SCI La Roseraie a effectivement réinvesti le produit des cessions dans une activité économique et n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses demandes ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 7 avril 2008 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la requête présentée par Mme A devant la cour administrative d'appel de Nantes sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme A est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Yvette A et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 316928
Date de la décision : 24/08/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 24 aoû. 2011, n° 316928
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Philippe Martin
Rapporteur ?: M. Gilles Pellissier
Rapporteur public ?: M. Julien Boucher
Avocat(s) : RICARD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:316928.20110824
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