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30/11/2011 | FRANCE | N°353121

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 30 novembre 2011, 353121


Vu le pourvoi, enregistré le 4 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1102059 du 20 septembre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, sur la demande de l'EURL Qualitech, annulé la procédure de passation du marché portant sur des travaux de démantèlement, de désamiantage et de démolition de bâtim

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Vu le pourvoi, enregistré le 4 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1102059 du 20 septembre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, sur la demande de l'EURL Qualitech, annulé la procédure de passation du marché portant sur des travaux de démantèlement, de désamiantage et de démolition de bâtiments sur l'île du Levant à compter de la phase d'ouverture des négociations entre le pouvoir adjudicateur et les trois candidats ayant présenté une offre ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de l'EURL Qualitech ;

3°) de mettre à la charge de l'EURL Qualitech le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de l'EURL Qualitech,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de l'EURL Qualitech ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue peut être saisi, avant la conclusion d'un contrat de commande publique ou de délégation de service public, d'un manquement, par le pouvoir adjudicateur, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 16 février 2011, le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS a lancé une procédure adaptée en vue de l'attribution d'un marché comportant une tranche ferme et deux tranches conditionnelles, relatif à des travaux de démantèlement, de désamiantage et de démolition de bâtiments sur l'île du Levant ; que l'EURL Qualitech a déposé une offre qui a été rejetée le 2 mai 2011 par le ministre ; que la société n'a en conséquence pas pris part à la phase de négociation menée avec les deux autres candidats ayant présenté une offre ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative à la demande de l'EURL Qualitech, a annulé la procédure de passation du marché litigieux à compter de la phase d'ouverture des négociations ;

Sur la recevabilité du pourvoi :

Considérant que, par un mémoire enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 novembre 2011, le ministre a régularisé le défaut de signature de son pourvoi et le défaut de mention de l'identité et de la qualité de son auteur ; que la fin de

non-recevoir opposée par l'EURL Qualitech ne peut, dès lors, qu'être écartée ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée :

Considérant que, pour annuler la procédure de passation litigieuse au motif que le ministre avait estimé à tort que le dossier d'offre de l'EURL Qualitech ne mentionnait pas les délais d'exécution du marché et que son offre était en conséquence irrégulière, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon s'est fondé sur ce que, si l'annexe n° 1 à l'acte d'engagement fourni par elle n'indiquait pas les délais d'exécution des travaux de la tranche ferme et de chacune des deux tranches conditionnelles du marché, le planning d'exécution des travaux joint à son offre permettait quant à lui au ministre de connaître les délais proposés par la société ; qu'en admettant ainsi, par principe, que la remise par le candidat d'un acte d'engagement incomplet en certaines de ses mentions puisse être compensée par la fourniture d'un autre document joint à l'offre, sans rechercher si les dispositions du règlement de la consultation ne conféraient pas aux mentions en cause dans l'acte d'engagement le caractère d'une information essentielle sur laquelle devaient s'engager les candidats, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par l'EURL Qualitech ;

Considérant, en premier lieu, que l'article III.3.9 du règlement de la consultation exige des candidats qu'ils mentionnent, dans l'acte d'engagement, " Le délai d'exécution des travaux " ; que l'article V.3 de ce règlement, intitulé " Contenu du dossier de réponse ", prévoit plus précisément que les candidats doivent fournir un " dossier d'offre " comportant, notamment, l'acte d'engagement complété et signé et, dans le cadre de leur proposition technique, " un planning d'exécution des travaux " ; que l'article B.6 de l'acte d'engagement intitulé " Délai d'exécution du marché " indique que l'annexe 1 à cet acte doit préciser " les délais d'exécution sur lesquels le candidat s'engage ", ce délai étant " un délai global incluant la période de préparation, les délais d'approvisionnement et les délais de réalisation " ; que cette annexe 1 comporte trois tableaux respectivement relatifs à la tranche ferme et aux deux tranches conditionnelles, chacun des tableaux comportant une colonne " Durée " en mois qui doit être complétée par le candidat ; que, par suite, les candidats sont tenus d'indiquer dans cette annexe les délais d'exécution des travaux propres à la tranche ferme et à chacune des deux tranches conditionnelles du marché qu'ils s'engagent à respecter ; que cette information sur les délais d'exécution du marché, exigée dans l'acte d'engagement est, en l'absence de précision contraire du pouvoir adjudicateur, une donnée essentielle sur laquelle s'engagent les candidats ; qu'au surplus, l'article IV.3 du même règlement retient comme critères d'attribution du marché, le prix, pondéré à 80 %, et le délai, pondéré à 20 %, rendant ainsi indispensable au jugement et au classement de l'offre la mention des délais d'exécution ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté par l'EURL Qualitech, que celle-ci n'a pas complété cette partie de l'annexe 1 à l'acte d'engagement ; qu'eu égard, ainsi qu'il a été dit, à la nature de cette information, son offre était pour ce seul motif irrégulière ; que l'EURL Qualitech ne peut en conséquence utilement soutenir que le planning d'exécution des travaux qu'elle a fourni à l'appui de son offre permettait au pouvoir adjudicateur de connaître les délais d'exécution des travaux propres à la tranche ferme et à chacune des deux tranches conditionnelles du marché ; qu'au surplus, la lecture de ce planning ne permettait nullement au ministre de connaître avec clarté les délais que la société s'engageait à respecter ; que, dès lors, le ministre n'a pas méconnu ses obligations de mise en concurrence en rejetant comme irrégulière l'offre de l'EURL Qualitech ;

Considérant, en second lieu, que si les dispositions du III de l'article 53 du code des marchés publics, qui sont applicables tant aux procédures formalisées qu'aux procédures adaptées, prévoient l'élimination des offres inappropriées, irrégulières et inacceptables avant le classement des autres offres par ordre décroissant, les dispositions de l'article 28 du même code relatives à la procédure adaptée prévoient que le pouvoir adjudicateur peut négocier avec les candidats ayant présenté une offre et que cette négociation peut porter sur tous les éléments de l'offre, notamment sur le prix ; qu'il résulte de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur qui, dans le cadre d'une procédure adaptée, décide de recourir à une négociation, peut librement choisir les candidats avec lesquels il souhaite négocier et peut en conséquence, dans le respect du principe d'égalité de traitement entre les candidats, admettre à la négociation les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables et ne pas les éliminer d'emblée ; qu'il doit cependant, à l'issue de la négociation, rejeter sans les classer les offres qui sont demeurées inappropriées, irrégulières ou inacceptables ; qu'ainsi, si le pouvoir adjudicateur peut, dans le cadre d'une procédure adaptée, décider d'engager une négociation avec les candidats ayant remis une offre irrégulière, il n'y est pas tenu ; que, par suite, l'EURL Qualitech n'est pas fondée à soutenir qu'en ne l'admettant pas à la phase de négociation au motif que son offre était irrégulière, le ministre a manqué à ses obligations de mise en concurrence ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de l'EURL Qualitech doit être rejetée ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu non plus, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le ministre ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 20 septembre 2011 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par l'EURL Qualitech devant le tribunal administratif de Toulon est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS et l'EURL Qualitech en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS et à l'EURL Qualitech.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-005 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. FORMATION DES CONTRATS ET MARCHÉS. FORMALITÉS DE PUBLICITÉ ET DE MISE EN CONCURRENCE. - MARCHÉS EN PROCÉDURE ADAPTÉE - POSSIBILITÉ DE RECOURIR À LA NÉGOCIATION (ART. 28 DU CODE DES MARCHÉS PUBLICS) - 1) CHAMP - OFFRES INAPPROPRIÉES, IRRÉGULIÈRES ET INACCEPTABLES (III DE L'ART. 53 DU MÊME CODE) - INCLUSION - 2) PORTÉE, S'AGISSANT DE CES OFFRES - FACULTÉ, DANS LE RESPECT DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ.

39-02-005 1) Il résulte des dispositions de l'article 28 du code des marchés publics qui prévoient que, dans le cadre de la procédure adaptée, le pouvoir adjudicateur peut négocier avec les candidats ayant déposé une offre tous les éléments de celle-ci, notamment le prix, qu'il peut, au lieu de les éliminer d'emblée, admettre à la négociation les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables au sens du III de l'article 53 du même code. Il doit cependant, à l'issue de la négociation, rejeter sans les classer les offres qui sont demeurées inappropriées, irrégulières ou inacceptables. 2) Il s'agit toutefois d'une simple faculté que le pouvoir adjudicateur exerce librement, dans le respect du principe d'égalité entre les candidats.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 30 nov. 2011, n° 353121
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Jacques Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: M. Frédéric Dieu
Rapporteur public ?: M. Nicolas Boulouis
Avocat(s) : SCP TIFFREAU, CORLAY, MARLANGE

Origine de la décision
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Date de la décision : 30/11/2011
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 353121
Numéro NOR : CETATEXT000024911131 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2011-11-30;353121 ?
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