Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juillet et 24 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Louis B, demeurant ... ; M. B demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement n° 1101661 du 23 juin 2011 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, faisant droit à la protestation de M. Daniel A, a annulé les opérations électorales des 20 et 27 mars 2011 à l'issue desquelles il a été proclamé élu conseiller général du canton de La Chambre (Savoie) ;
2°) de rejeter la protestation de M. A ;
3°) de mettre à la charge de M. A la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code électoral ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Fabienne Lambolez, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. B et de Me Le Prado, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. B et à Me Le Prado, avocat de M. A ;
Considérant qu'à l'issue des opérations électorales des 20 et 27 mars 2011 en vue de l'élection du conseiller général du canton de La Chambre (Savoie), M. B, qui a recueilli 1 473 voix, a été proclamé élu, M. A ayant pour sa part recueilli 1469 voix ; que, le 31 mars 2011, M. A a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une protestation tendant à l'annulation de ces opérations électorales ; que M. B fait appel du jugement du 23 juin 2011 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, faisant droit à cette protestation, a annulé son élection ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que M. B soutenait en défense devant le tribunal administratif de Grenoble que les deux incidents invoqués par M. A n'avaient pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin, dès lors que ce dernier s'était lui-même livré à des agissements dépassant les limites de la polémique électorale normale ; que le tribunal administratif a fait droit aux conclusions de M. A sans répondre à cette argumentation ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête de M. Portaz, son jugement doit être annulé ;
Considérant que le délai imparti au tribunal administratif par l'article R. 114 du code électoral pour statuer sur la protestation de M. A est expiré ; que, dès lors, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de statuer immédiatement sur cette protestation ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation des opérations électorales :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs de la protestation ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 51 du code électoral : Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. / Dans chacun de ces emplacements, une surface égale est attribuée à chaque candidat ou à chaque liste de candidats. / Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que, dans la nuit précédant le second tour de scrutin, des affichettes de format A4, intitulées : Avis à la population , comportant un texte présenté comme émanant de M. A lui-même et formulant à son égard des appréciations à caractère injurieux et diffamatoire, ont été apposées, à La Chambre, sur la vitrine d'affichage de la mairie, sur une affiche électorale de M. A et sur la vitrine de l'office de tourisme et, à Saint-Martin-sur-La-Chambre, sur la vitrine d'affichage de la mairie et sur un abribus ; que, quelle qu'en soit l'origine, l'apposition d'un tel document, dont le contenu excédait les limites de la polémique électorale normale, a constitué une irrégularité ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction qu'entre le premier et le second tour de scrutin, le panneau officiel d'affichage de M. A dans la commune de Notre-Dame-du-Cruet a été retiré et que ne sont restés en place que ceux de son adversaire et d'un candidat éliminé à l'issue du premier tour ; que, lors même que la commune concernée en serait responsable, une telle circonstance a constitué une irrégularité au regard des dispositions de l'article L. 51 du code électoral ;
Considérant, toutefois, que M. B soutient que ces irrégularités n'ont pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin, compte tenu des agissements de M. A, qui aurait publié une tribune injurieuse à son égard intitulée : Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose et aurait demandé à consulter, puis aurait conservé entre les deux tours de scrutin, les listes d'émargement de tous les bureaux de vote du canton ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 68 du même code : Tant au premier tour qu'éventuellement au second tour de scrutin, les listes d'émargement de chaque bureau de vote, ainsi que les documents qui y sont réglementairement annexés, sont joints aux procès-verbaux des opérations de vote transmis immédiatement après le dépouillement du scrutin à la préfecture ou, pour les élections des conseillers généraux et des conseillers municipaux, à la sous-préfecture. / S'il doit être procédé à un second tour de scrutin, le préfet ou le sous-préfet selon le cas, renvoie les listes d'émargement au maire, au plus tard le mercredi précédant le second tour ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 71 du même code : Dès la fin des opérations électorales, les délégués des candidats ou des listes en présence ont priorité pour consulter les listes d'émargement déposées dans les conditions fixées à l'article L. 68 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le document rédigé par M. A, qu'invoque M. B, est paru dans l'édition du Dauphiné libéré du 25 mars 2011 sous la forme d'un droit de réponse dépourvu de tout caractère diffamatoire ou injurieux ; que, par ailleurs, en consultant les listes d'émargement des bureaux de vote du canton de La Chambre, M. A n'a fait qu'user des possibilités ouvertes par les dispositions des articles L. 68 et R. 71 du code électoral ; qu'il n'est pas établi que ces listes soient parvenues aux maires des différentes communes au-delà du délai prévu à l'article L. 68 du code électoral ; que ni M. B, ni d'autres électeurs n'ont, en conséquence, été mis dans l'impossibilité de les consulter ; que, par suite, la circonstance que M. A ait été destinataire, entre les deux tours de scrutin, des listes d'émargement de tous les bureaux de vote du canton n'a pas constitué une irrégularité ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en dépit de leur caractère limité, les irrégularités tenant à la diffusion d'affichettes diffamatoires à l'égard de M. A et au retrait d'un panneau officiel d'affichage de ce dernier ont constitué des manoeuvres de nature, eu égard à l'écart de quatre voix séparant les deux candidats, à altérer la sincérité du scrutin ; qu'ainsi, les opérations électorales des 20 et 27 mars 2011 en vue de l'élection du conseiller général du canton de La Chambre (Savoie) doivent être annulées ;
Sur les conclusions présentées par M. A devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à l'allocation de dommages et intérêts à verser à une oeuvre caritative ou d'intérêt public de bienfaisance :
Considérant que de telles conclusions ne sont pas au nombre de celles qui peuvent être présentées devant le juge de l'élection ; qu'elles ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que la somme que M. B demande au même titre soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les opérations électorales des 20 et 27 mars 2011 en vue de l'élection du conseiller général du canton de La Chambre (Savoie) sont annulées.
Article 3 : Les conclusions de M. A tendant à l'allocation de dommages et intérêts à verser à une oeuvre caritative ou d'intérêt public de bienfaisance sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions de M. B et de M. A présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Louis B, à M. Daniel A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.