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30/12/2011 | FRANCE | N°355080

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 30 décembre 2011, 355080


Vu, 1° sous le n° 355080, la requête enregistrée le 20 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Tigran B, domicilié ... ; M. B demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1107240 et 1107242 du 16 décembre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile dans un

délai de soixante-douze heures, sous astreinte de 200 euros par jour de reta...

Vu, 1° sous le n° 355080, la requête enregistrée le 20 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Tigran B, domicilié ... ; M. B demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1107240 et 1107242 du 16 décembre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile dans un délai de soixante-douze heures, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de lui délivrer dans les mêmes conditions un récépissé valant autorisation provisoire de séjour ou à défaut de procéder à un réexamen de la demande dans le même délai avec la même astreinte ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de transmettre sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

il soutient que la situation d'urgence est remplie ; que l'intégration récente de l'Arménie à la liste des pays d'origine sûre n'a pas d'incidence sur cette situation ; que sa présentation en préfecture un mois après le passage de la responsabilité du traitement de sa demande d'asile à l'Etat français, justifiée par l'état de santé de son épouse, n'est pas de nature à créer un défaut d'urgence ; que l'administration a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile et à la liberté d'aller et venir ; que la responsabilité de sa demande d'asile incombe à la France depuis le 26 octobre 2011, à défaut pour les autorités françaises d'avoir respecté les formalités de prolongation du délai de six mois pour le transférer vers l'Allemagne ; qu'en outre, ce délai ne peut être prorogé dans la mesure où aucune fuite ne saurait lui être reprochée ; qu'il n'a pas été informé complètement et par écrit de la procédure à suivre et de ses droits et obligations dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, conformément aux dispositions de l'article 3-4 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ; qu'il n'a pas bénéficié des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile ; que, l'état de santé de son épouse ne permettant pas le renvoi de celle-ci vers l'Allemagne, la poursuite de la procédure de réadmission porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit au respect de sa vie privée et familiale résultant des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu, 2° sous le n° 355081, la requête enregistrée le 20 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Marine A épouse B, domiciliée à ... ; Mme A épouse B demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1107240 et 1107242 du 16 décembre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile dans un délai de soixante-douze heures, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de lui délivrer dans les mêmes conditions un récépissé valant autorisation provisoire de séjour ou à défaut de procéder à un réexamen de la demande dans le même délai avec la même astreinte ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de transmettre sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

elle formule au soutien de sa requête les mêmes moyens que ceux présentés par son époux au soutien de la requête enregistrée sous le n° 355080 ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2011, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, qui conclut au rejet des deux requêtes ; il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie ; que le comportement de l'administration ne peut être regardé comme constitutif d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que le préfet du Nord a accompli les formalités qui s'imposaient pour prolonger le délai de transfert vers l'Allemagne ; qu'en se soustrayant de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative afin de faire obstacle à la mesure d'éloignement les concernant, les requérants se sont placés dans une situation de fuite au sens de l'article 19 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ; que le moyen tiré de l'absence d'information au regard de l'article 3-4 du règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ne peut être valablement invoqué ; que le moyen tiré de l'absence de conditions matérielles d'accueil doit être écarté dès lors que les requérants et leur famille ont droit à l'hébergement d'urgence au titre du dispositif de veille sociale prévu à l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles et à l'accès gratuit aux soins ; que, la vie familiale des requérants étant susceptible de se poursuivre en Allemagne, la procédure de réadmission prise à leur encontre n'a pas méconnu le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le règlement 343/2003 (CE) du 18 février 2003 ;

Vu le règlement 1560/2003 (CE) du 2 septembre 2003 ;

Vu la directive 2003/9 (CE) du 27 janvier 2003 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B et Mme A épouse B et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 30 décembre 2011 à 10 heures 30, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Pinet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B et Mme A épouse B ;

- la représentante de M. B et Mme A épouse B ;

- les représentants du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;

Considérant que les requêtes de M. B et Mme A épouse B sont dirigées contre la même ordonnance et présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ; que, selon le second alinéa de l'article L. 523-1 du même code, hors le cas où il y a eu dispense d'instruction par application de l'article L. 522-3, les décisions rendues sur le fondement de l'article L. 521-2 sont susceptibles d'appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat ;

Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que, s'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le 1° de cet article permet de refuser l'admission en France d'un demandeur d'asile, lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ; que tel est en particulier le cas, en vertu des dispositions combinées des articles 4, 16 et 20 de ce règlement, lorsque l'étranger avait auparavant présenté une demande d'asile dans cet autre Etat ; que le 1 du même article 20 prévoit que le transfert du demandeur d'asile vers le pays de réadmission doit alors se faire dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation de la demande aux fins de reprise en charge et que, selon le 2 de ce même article, si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l'État membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite , ce délai pouvant être porté à dix-huit mois au maximum si le demandeur d'asile prend la fuite ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B et Mme A, son épouse, de nationalité arménienne, ont sollicité l'asile à deux reprises en Allemagne, où il a été procédé au relevé de leurs empreintes digitales par le système EURODAC le 21 décembre 2005 et le 26 août 2010 ; qu'ils sont entrés en France avec leurs deux enfants, âgés de sept et neuf ans, le 21 février 2011, et se sont présentés à la préfecture du Nord pour y solliciter leur admission au séjour en vue d'obtenir l'asile ; que le préfet de ce département, par des arrêtés du 13 mai 2011, a refusé de les admettre au séjour, sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en relevant que, par application du règlement du 18 février 2003, l'Allemagne était l'Etat responsable de l'examen de leur demande d'asile et avait accepté leur prise en charge par des décisions du 26 avril 2011 ; que, le même jour, le préfet a notifié aux intéressés leur réadmission vers l'Allemagne et les a invités à quitter le territoire français dans un délai d'un mois ; que les requérants se sont abstenus de donner suite à cette invitation durant le délai dont ils disposaient ; que, par un courrier en date du 12 juillet 2011, le préfet leur a demandé de se présenter le 4 août 2011 au service de l'asile de la préfecture afin que soit organisé leur transfert dans le cadre du règlement du 18 février 2003 ; que, par un nouveau courrier en date du 15 septembre 2011, le préfet leur a demandé de se présenter le 26 septembre 2011 à la police aux frontières de Lille ; que, les intéressés ne s'étant présentés à aucune de ces convocations, les autorités n'ont pu procéder à l'exécution de la mesure prise à leur encontre ; que le préfet a porté à 18 mois le délai d'exécution des arrêtés du 13 mai 2011, en application du paragraphe 2 du règlement du 18 février 2003 précité ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté, pour défaut d'urgence, les demandes que M. B et Mme A avaient présentées, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet, sous astreinte, de leur délivrer dans un délai de 72 heures, des autorisations provisoires de séjour en qualité de demandeurs d'asile ;

Considérant qu'ainsi que l'a jugé l'ordonnance attaquée, le refus illégal d'enregistrer une demande d'asile, qui fait obstacle à l'examen de cette dernière et prive donc l'étranger du droit d'être autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, porte par lui-même une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation du demandeur pour que la condition d'urgence soit, sauf circonstances particulières, satisfaite ;

Mais considérant que les refus du préfet du Nord d'admettre au séjour en France M. B et Mme A, en vue de l'examen de leurs demandes d'asile, sont fondés sur le seul motif qu'il appartient aux autorités allemandes d'examiner ces demandes, en application de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ; qu'il est constant que les autorités allemandes ont accepté le 26 avril 2011 de reprendre en charge les deux demandeurs d'asile ; qu'il ne résulte pas de l'instruction et, notamment, des précisions apportées à l'audience, que M. B et Mme A auraient été dans l'impossibilité de se rendre avec leurs deux enfants en Allemagne, où ils avaient précédemment séjourné à deux reprises, dans le mois qui a suivi la notification qui leur a été faite, le 20 mai 2011, des refus de séjour fondés sur ce motif et de la nécessité de se rendre auprès des autorités allemandes, à l'aéroport de Düsseldorf ; qu'en particulier, les problèmes de santé rencontrés par Mme A et qui ont nécessité des soins hospitaliers ne se sont manifestés qu'en juillet 2011 ; que M. B n'établit pas que les problèmes de santé de son épouse l'auraient empêché de se rendre aux deux convocations successives adressées par le préfet aux époux, à l'adresse où ils résident, les 12 juillet et 15 septembre 2011 ; qu'il porte ainsi une responsabilité directe dans l'allongement des délais d'examen des demandes d'asile ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le séjour en Allemagne, dans l'attente de l'examen des demandes d'asile, serait de nature à préjudicier gravement aux intérêts des requérants ; qu'en particulier la période de convalescence de Mme A, qui a suivi l'opération chirurgicale subie à Lille en octobre 2011, est terminée depuis la fin du mois de novembre 2011 ; que le suivi médical post opératoire ne justifie pas, à lui seul, que l'intéressée doive rester en France pour des soins auxquels elle n'aurait pas effectivement accès en Allemagne ; qu'il ne résulte d'ailleurs pas de l'instruction que le préfet du Nord entendrait procéder à très brève échéance à l'exécution d'office de la remise des requérants aux autorités allemandes ; qu'il résulte des précisions apportées à l'audience par les représentants du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, que les autorités françaises excluent de séparer M. B, Mme A et leurs deux enfants ; qu'il est constant que les requérants et leurs enfants bénéficient depuis fin août 2011 de la prise en charge de leur hébergement par les autorités françaises ; qu'enfin, la circonstance que les autorités françaises auraient méconnu les règles permettant de prolonger la période pendant laquelle les autorités allemandes sont responsables de l'examen des demandes d'asile n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence ;

Considérant que l'ensemble de ces circonstances, compte tenu des effets qui s'attachent tant à un refus de séjour qu'à une réadmission vers l'Allemagne, ne caractérisent pas une situation d'urgence impliquant, sous réserve que les autres conditions posées par l'article L.521-2 du code de justice administrative soient remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante-huit heures ; que par suite, M. B et Mme A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté leurs demandes tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord, sous astreinte, de leur délivrer des autorisations de séjour en application de l'article L.742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que les conclusions de M. B et Mme A tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par voie de conséquence qu'être rejetées ; qu'il y a lieu d'admettre M. B et Mme A au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

O R D O N N E :

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Article 1er : M. B et Mme A sont admis à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Les requêtes de M. B et Mme A sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Tigran B, à Mme Marine A épouse B et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 355080
Date de la décision : 30/12/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2011, n° 355080
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Séners
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:355080.20111230
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