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23/01/2012 | FRANCE | N°341668

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 23 janvier 2012, 341668


Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 19 juillet et 19 octobre 2010 et le 15 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Alain A, demeurant au ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07MA01115 du 18 mai 2010 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant que, après annulation du jugement n° 0602280 du 1er février 2007 du tribunal administratif de Marseille et évocation, il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 février 2006 refusant de réviser

sa pension afin que la mise en paiement en soit avancée du 1er janvier 2...

Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 19 juillet et 19 octobre 2010 et le 15 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Alain A, demeurant au ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07MA01115 du 18 mai 2010 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant que, après annulation du jugement n° 0602280 du 1er février 2007 du tribunal administratif de Marseille et évocation, il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 février 2006 refusant de réviser sa pension afin que la mise en paiement en soit avancée du 1er janvier 2006 au 2 septembre 2004 et à la condamnation de l'Etat au paiement de sa pension de retraite pour la période correspondante, soit la somme de 44 734,72 euros avec intérêts de droit à la fin de chaque mois du 2 septembre 2004 au 31 décembre 2005 et capitalisation des intérêts ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Nuttens, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, professeur de l'enseignement technique, a demandé le 19 janvier 2004 son admission à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension comme père de trois enfants à compter du 1er septembre 2004 ; que sa demande d'annulation du refus implicite opposé par le ministre de l'éducation nationale a été rejetée par ordonnance du 13 octobre 2005 du président du tribunal administratif de Marseille, devenue définitive ; que l'intéressé avait entre-temps, par arrêté du 21 janvier 2005, été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2006 ; que le ministre, se ravisant, a avancé cette date au 2 septembre 2004, par un arrêté modificatif du 8 novembre 2005 ; que toutefois l'arrêté du 7 novembre 2005 par lequel le ministre chargé des pensions a liquidé la retraite de l'intéressé n'a retenu que la date effective de sa cessation d'activité, soit le 1er janvier 2006 et que, en réponse à la demande de M. A tendant, sur le fondement de l'article L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à la révision de sa pension pour en avancer la date d'effet au 2 septembre 2004, le ministre de l'éducation nationale lui a fait savoir, par lettre du 6 février 2006, que le service des pensions du ministère de l'économie et des finances s'opposait à cette révision ; que, par l'arrêt attaqué du 18 mai 2010, la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif du 1er février 2007 et évoqué le litige, a rejeté la demande de M. A tendant à l'annulation de la décision du 6 février 2006 et à la condamnation de l'Etat au paiement de sa pension de retraite à compter du 2 septembre 2004 ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 26 du code des pensions civiles et militaires de retraite: " La mise en paiement de la pension de retraite ou de la solde de réforme ne peut être antérieure à la date de la décision de radiation des cadres du titulaire sauf dans les cas exceptionnels déterminés par décret en Conseil d'Etat. " ; qu'aux termes de l'article R. 36 du même code, pris pour l'application de la disposition précédente : " La mise en paiement de la pension de retraite ou de la solde de réforme peut être antérieure à la date de la décision de radiation des cadres lorsque cette décision doit nécessairement avoir un effet rétroactif en vue soit d'appliquer des dispositions statutaires obligeant à placer l'intéressé dans une position administrative régulière, soit de tenir compte de la survenance de la limite d'âge, soit de redresser une illégalité. " ; qu'il ne résulte pas de ces dispositions que la mise en paiement de la pension de retraite antérieurement à la date de la décision de radiation des cadres pour redresser une illégalité implique nécessairement que celle-ci ait été constatée par une décision juridictionnelle ;

Considérant que, pour juger que M. A ne remplissait aucune des conditions prévues par l'article R. 36, la cour a relevé qu'il n'était pas atteint par la limite d'âge, qu'il était dans une situation administrative régulière et qu'il ne pouvait se prévaloir d'aucune décision juridictionnelle ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, alors qu'elle y était invitée par le requérant, si la décision refusant son admission anticipée à la retraite était illégale et si une mise en paiement de la pension antérieure à sa radiation des cadres n'était pas nécessaire pour redresser cette illégalité, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, M. A est fondé à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que, par dérogation aux dispositions du 1° du I de l'article L. 24 subordonnant la jouissance de la pension à des conditions d'âge, celles du a) du 3°, dans leur rédaction antérieure à l'intervention de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004, ouvraient à toute femme fonctionnaire mère de trois enfants et justifiant de cette condition de services effectifs le droit de prendre sa retraite avec jouissance immédiate de sa pension ; que le principe d'égalité des rémunérations résultant des stipulations de l'article 119 du traité instituant la Communauté économique européenne, reprises à l'article 141 du traité CE, imposait de reconnaître le même droit aux fonctionnaires masculins pères de trois enfants remplissant la même condition de services effectifs ; que, si le II du même article 136 prévoit que les dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans leur version modifiée par cette loi, sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée, ces dispositions méconnaissent le § 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où elles ont pour objet d'influer sur l'issue des procédures juridictionnelles engagées par des fonctionnaires s'étant vu refuser le bénéfice des dispositions antérieurement applicables de l'article L. 24 ; que cette incompatibilité peut, par suite, être invoquée par les fonctionnaires qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004, avaient, à la suite d'une décision leur refusant le bénéfice du régime antérieur, engagé une action contentieuse en vue de contester la légalité de cette décision ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A, qui avait saisi le tribunal administratif de Marseille, le 8 avril 2004, d'un recours contre le refus de l'admettre à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension, peut se prévaloir des stipulations mentionnées plus haut pour soutenir qu'il a illégalement été privé de l'admission à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension à compter du 2 septembre 2004 ; qu'il résulte de ce qui a été dit

ci-dessus que le ministre du budget, saisi d'une demande en ce sens de l'intéressé, devait, conformément aux dispositions des articles L. 26 et R. 36 du code des pensions civiles et militaires de retraite, réviser la pension de M. A afin de redresser cette illégalité ; que toutefois, la demande de révision n'ayant porté que sur la date de mise en paiement, le requérant ne peut demander au juge que la révision porte aussi sur le montant déterminé par l'arrêté du 7 novembre 2005 qui lui a concédé sa pension ;

Considérant que les ministres ne peuvent utilement se prévaloir de la chose jugée par l'ordonnance du 13 octobre 2005 mentionnée plus haut, dès lors que le présent litige, portant sur le refus de réviser la pensions liquidée par l'arrêté du 7 novembre 2005, n'a pas le même objet que la demande sur laquelle le tribunal s'était alors prononcé ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision ministérielle refusant de réviser la pension de M. A pour en avancer la date de mise en paiement doit être annulée ;

Considérant que M. A, qui avait été placé à sa demande en position de cessation progressive d'activité, a perçu un traitement à ce titre jusqu'au 1er janvier 2006 ; qu'il a droit à ce que sa pension soit liquidée à compter du 1er octobre 2004 ; qu'il y a lieu de le renvoyer devant l'administration pour que celle-ci procède à cette liquidation et lui verse la différence entre le montant ainsi calculé et les sommes qu'il a perçues au titre de son traitement pour la période du 1er octobre 2004 au 1er janvier 2006 ; que M. A a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 17 décembre 2005, date de la réception par l'administration de sa demande de révision, avec capitalisation des intérêts échus au 17 décembre 2006, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Considérant, enfin, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 18 mai 2010 est annulé.

Article 2 : La pension de M. A sera liquidée à compter du 1er octobre 2004.

Article 3 : M. A est renvoyé devant l'administration pour que celle-ci procède à la liquidation de la pension et lui verse la différence entre le montant ainsi calculé et les sommes qu'il a perçues au titre de son traitement entre le 1er octobre 2004 et le 1er janvier 2006. Les sommes dues porteront intérêts à compter du 17 décembre 2005. Les intérêts échus le 17 décembre 2006, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisées à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : L'Etat versera à M. A une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Alain A, au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du gouvernement.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 341668
Date de la décision : 23/01/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Analyses

48-02-01-11 PENSIONS. PENSIONS CIVILES ET MILITAIRES DE RETRAITE. QUESTIONS COMMUNES. PAIEMENT DES PENSIONS. - MISE EN PAIEMENT DES RETRAITES - MISE EN PAIEMENT ANTÉRIEUREMENT À LA RADIATION DES CADRES POUR REDRESSER UNE ILLÉGALITÉ (ART. 36 DU CPCMR) - CHAMP D'APPLICATION - NÉCESSITÉ DU CONSTAT DE L'ILLÉGALITÉ PAR UNE DÉCISION JURIDICTIONNELLE - EXCLUSION.

48-02-01-11 Il ne résulte pas de l'article R. 36 du code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCMR), selon lequel : « La mise en paiement de la pension de retraite ou de la solde de réforme peut être antérieure à la date de la décision de radiation des cadres lorsque cette décision doit nécessairement avoir un effet rétroactif en vue de redresser une illégalité », que la mise en paiement de la pension de retraite antérieurement à la date de la décision de radiation des cadres pour redresser une illégalité implique nécessairement que celle-ci ait été constatée par une décision juridictionnelle.


Publications
Proposition de citation : CE, 23 jan. 2012, n° 341668
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jacques Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: M. Laurent Cytermann
Rapporteur public ?: M. Nicolas Boulouis
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:341668.20120123
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