Vu le jugement, enregistré le 22 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le tribunal administratif de Basse-Terre, avant de statuer sur la demande M.A..., tendant à l'annulation de la décision du 24 novembre 2011 par laquelle le préfet de la Guadeloupe lui a fait obligation de quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, et des décisions du même jour fixant le pays de destination et ordonnant son placement en rétention, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la questions de savoir :
1°) si lorsque le tribunal administratif de Basse-Terre est saisi d'une demande tendant à l'annulation d'une décision portant obligation de quitter sans délai le territoire, il doit se considérer comme saisi d'une demande dirigée contre une seule et même décision ou doit distinguer entre la décision d'éloignement et la décision de refus de délai de départ volontaire ;
2°) si, dans l'hypothèse où les deux décisions devraient être séparées, l'illégalité éventuelle de la décision de refus de délai de départ volontaire a une incidence sur la légalité de la mesure d'éloignement ;
3°) si, dans la même hypothèse, et dans la mesure où la décision de refus de délai de départ volontaire ne produit plus d'effet, les conclusions tendant à son annulation ont encore un objet ;
4°) enfin, s'il devait statuer distinctement sur la décision de refus de départ volontaire, de quelle injonction le tribunal administratif pourrait assortir sa décision ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 ;
Vu le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Fabrice Aubert, Auditeur,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
REND L'AVIS SUIVANT :
1. La loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité a procédé à la transposition, dans l'ordre juridique interne, des dispositions de la directive du 16 décembre 2008, dite directive " retour ", qui, en l'absence de mention contraire, est applicable dans les départements d'outre-mer, bien que ces derniers ne soient pas intégrés à l'espace de circulation dit " espace Schengen ", auquel se réfère la directive. En particulier, cette loi a modifié les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui définissent les conditions dans lesquelles les étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération Suisse et qui ne sont pas membres de la famille de ces ressortissants, peuvent faire l'objet d'une décision les obligeant à quitter le territoire français. Il résulte de l'article L. 111-3 du même code que cet article L. 511-1 est lui-même applicable, outre la France métropolitaine, dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à
Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
En vertu de ces dispositions, une telle décision est désormais assortie, en principe, d'un délai " de départ volontaire " de trente jours, permettant à l'étranger de définir
lui-même les conditions de son départ vers le pays d'accueil. Néanmoins, en application du II du même article L. 511-1, l'autorité administrative peut décider, par exception, que l'étranger est obligé de quitter le territoire français sans délai si son comportement constitue une menace pour l'ordre public, s'il s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était ou manifestement infondée ou frauduleuse, ou si, dans une série de cas définis par la loi, le risque qu'il se soustraie à son obligation de quitter le territoire français est regardé comme établi.
Il résulte des dispositions des articles L. 512-1 et suivants du même code que l'étranger qui fait ainsi l'objet d'une obligation de quitter le territoire peut former un recours suspensif contre cette mesure d'éloignement et les décisions qui l'accompagnent, y compris, le cas échéant, celle refusant de lui accorder un délai de départ volontaire. Toutefois, l'article L. 514-2 de ce code dispose que, jusqu'en 2016, les articles L. 512-1, L. 512-2 et L. 513-3 organisant ces modalités spécifiques de recours ne sont pas applicables en Guadeloupe et à Saint-Barthélemy. Jusqu'à cette date, le recours exercé par un étranger, dans ces territoires, contre une mesure d'éloignement et les autres décisions prises pour son exécution est par conséquent un recours pour excès de pouvoir de droit commun, non suspensif, qui peut toutefois donner lieu à une action en référé sur le fondement des dispositions des articles L. 521-1 ou L. 521-2 du code de justice administrative.
2. Ainsi qu'il a été dit, il résulte des termes de l'article L. 511-1 que la décision de ne pas accorder un délai de départ volontaire, dont l'objet même est distinct de celui de la mesure d'éloignement, résulte d'un examen par l'administration de la situation personnelle de l'étranger, au regard de critères différents de ceux qui fondent l'obligation qui lui est faite de quitter le territoire français. Le législateur a ainsi fait de la décision d'accorder un délai de départ volontaire une décision autonome de la mesure d'éloignement.
En conséquence, lorsque le tribunal administratif est saisi par un étranger d'une requête tendant à l'annulation d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, il doit regarder cette requête, en fonction des moyens soulevés, comme dirigée contre plusieurs décisions distinctes que sont l'obligation de quitter le territoire, le refus d'accorder un délai de départ volontaire et, le cas échéant, le choix du pays de destination, le placement en rétention ainsi que l'interdiction de retour sur le territoire.
3. Ce tribunal peut dès lors annuler uniquement la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire ou, lorsque le même acte porte plusieurs décisions afférentes à l'éloignement, annuler cet acte en tant seulement qu'il refuse ce délai. Une telle annulation est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français.
4. Si, en raison du caractère non suspensif du recours exercé par un étranger dans les territoires mentionnés aux articles L. 514-1 et L. 514-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une obligation de quitter le territoire français sans délai a déjà été exécutée lorsque le juge se prononce sur sa légalité, cette circonstance ne saurait permettre de regarder les conclusions dirigées contre la décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire, qui a produit des effets, comme ayant perdu leur objet.
5. Dans l'hypothèse où le tribunal administratif, saisi du recours d'un étranger déjà reconduit à la frontière, annulerait ainsi une décision de refus d'accorder un délai de départ volontaire, sans annuler par ailleurs l'obligation de quitter le territoire français, il ne serait susceptible d'assortir cette annulation d'aucune injonction, une telle annulation n'impliquant nécessairement aucune mesure particulière à prendre par l'administration, au sens des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Basse-Terre, à M. B...A...et au ministre de l'intérieur, de l'outre mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Il sera publié au Journal officiel de la République française.