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07/03/2012 | FRANCE | N°330169

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 07 mars 2012, 330169


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juillet et 21 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Patrick A, demeurant ... et pour Mme Kathy A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07NC01350 du 20 mai 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement n° 0400303 du 19 juillet 2007 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémenta

ires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre ...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juillet et 21 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Patrick A, demeurant ... et pour Mme Kathy A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07NC01350 du 20 mai 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement n° 0400303 du 19 juillet 2007 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1994 et 1995 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le décret n° 94-680 du 3 août 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Odent, Poulet, avocat de M. A et de Mme Kathy A,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Odent, Poulet, avocat de M. A et de Mme Kathy A,

Considérant que M. et Mme A se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 20 mai 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement du 19 juillet 2007 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1994 et 1995 ;

En ce qui concerne l'indemnité résultant de la transaction signée le 5 décembre 1994 :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a perçu, le 5 décembre 1994, une indemnité d'un montant de 780 000 F (118 910,23 euros), versée par la clinique du Montet et par la polyclinique d'Essey-les-Nancy, en réparation des préjudices moral, matériel et financier pouvant résulter des investissements réalisés au sein de la polyclinique et de la SCI Jeanne d'Arc et de la rupture de son contrat d'exercice qui le liait à la clinique du Montet ; que l'administration a inclus cette somme dans les recettes professionnelles imposables de M. A pour l'année 1994 à hauteur de 16 980 francs (2 588,58 euros) et l'a imposée, à hauteur de 680 000 francs (103 665,92 euros), comme une plus-value à long terme, au taux de 16 %, au titre de l'année 1994, au motif que cette somme, qui était égale à la moyenne des honoraires perçus par le docteur A au cours de ses trois dernières années d'exercice, venait compenser la perte d'un élément d'actif résultant de la résiliation du contrat d'exercice ;

Considérant, en premier lieu, que la cour, après avoir relevé que l'indemnité transactionnelle perçue par le docteur A avait été versée au cours de l'année 1994 et que l'administration fiscale avait imposé cette somme au titre, d'une part, des recettes professionnelles de l'année 1994 et, d'autre part, comme une plus-value à long terme, a nécessairement jugé que la somme de 680 000 francs (103 665,92 euros) était imposable au titre de l'année 1994, alors même qu'elle a commis une erreur de plume sans influence sur la régularité de sa décision en mentionnant par inadvertance l'année 1995 ;

Considérant, en deuxième lieu, que si M. et Mme A soutiennent que l'administration a eu recours à une méthode d'évaluation radicalement viciée pour déterminer le montant de l'indemnité ayant pour objet de compenser la perte d'élément d'actif résultant de la rupture du contrat d'exercice, ils n'ont pas soulevé ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, devant les juges du fond ; qu'ils ne peuvent donc utilement s'en prévaloir devant le juge de cassation ;

Considérant, en troisième lieu, qu'après avoir relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction que le départ du docteur A ait fait l'objet d'une quelconque publicité et que les requérants n'établissaient pas que l'indemnité litigieuse aurait eu pour finalité de réparer l'atteinte à la réputation dont le docteur A aurait été victime du fait des conditions dans lesquelles il a été mis fin à l'exercice de son activité, la cour a pu, sans méconnaître les règles de dévolution de la charge de la preuve ni dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, juger que les stipulations de la transaction n'étaient pas de nature à démontrer la réalité d'un préjudice moral et que, par suite, l'indemnité devait être regardée, dans la limite de la somme de 680 000 francs (103 665,92 euros), comme ayant pour objet exclusif de compenser la perte d'un élément d'actif ;

En ce qui concerne les abattements réservés aux médecins conventionnés au titre de l'année 1994 :

Considérant qu'en jugeant que M. et Mme A n'apportaient pas la preuve de l'envoi dans les délais légaux de la déclaration 2035 pour bénéficier, au titre de l'année 1994, des abattements réservés aux médecins conventionnés, la cour n'a pas, contrairement à ce que soutiennent les requérants, dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ;

En ce qui concerne la réintégration des frais et agios dans le bénéfice imposable :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'un redressement, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. /Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou le redressement est soumis au juge./ Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu, comme en cas de taxation d'office à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L. 16 et L. 69 ; que, par ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, le législateur a seulement entendu mettre fin, sous réserve du cas prévu au deuxième alinéa du même article, à l'état du droit antérieur sous l'empire duquel l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffres d'affaires avait pour effet, s'il était favorable à l'administration fiscale, d'attribuer au contribuable la charge d'une preuve que l'intéressé n'aurait pas supportée en l'absence de saisine de cette commission, mais n'a pas entendu déroger aux principes généraux en exigeant que l'administration fiscale justifie qu'une charge n'est pas déductible dans son principe, lorsque la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a rendu un avis favorable au contribuable ;

Considérant qu'en jugeant que M. et Mme A, auxquels incombaient la charge de la preuve de la déductibilité de leurs charges, n'établissaient pas que les frais financiers litigieux dont l'administration fiscale avait refusé la déduction étaient nécessaires à l'exercice de l'activité du docteur A, la cour, qui a suffisamment motivé sa décision, n'a pas commis d'erreur de droit dans l'attribution de la charge de la preuve ni manqué aux règles d'administration de celle-ci ;

En ce qui concerne le commodat de droits sociaux

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un contrat dit de commodat de droits sociaux signé le 1er juin 1995, le docteur A s'est engagé à mettre à la disposition de la société civile de moyens, qu'il a créée avec le docteur Gagey, les droits résultant de la jouissance d'actions et de parts sociales qu'il détenait dans des sociétés liées à la polyclinique de Gentilly et à la clinique Ambroise Paré en contrepartie du paiement par cette société civile de moyen d'une redevance égale à 3,5 % de la valeur estimée du capital immobilisé ; que cette redevance a été regardée par l'administration, pour l'année 1995, comme un revenu professionnel du docteur A et a été imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ; qu'en 1996, le docteur A a exercé son activité au sein d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), dont il était salarié, qui a été créée après la disparition de la société civile de moyens ; que l'administration a imposé la redevance versée par la SELARL à M. A, au titre de l'année 1996, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ;

Considérant que la cour a relevé, d'une part, que le docteur A exerçait en 1996 son activité non plus à titre libéral mais comme salarié de la SELARL et, d'autre part, que les actions et parts sociales qu'il détenait dans des sociétés liées à la polyclinique de Gentilly et à la clinique Ambroise Paré, faute d'avoir été apportées au capital de la SELARL, étaient restées dans son patrimoine privé ; que les requérants se bornent à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en déduisant de ces constatations que la redevance versée par la SELARL ne pouvait être regardée, alors que le docteur A était devenu salarié, comme un revenu accessoire d'une activité relevant de la catégorie des bénéfices non commerciaux ; qu'un tel moyen ne peut qu'être écarté ;

En ce qui concerne la réintégration, au titre de l'année 1994, des créances acquises à la suite de la cessation d'activité :

Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 202 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : Dans le cas de cessation de l'exercice d'une profession non commerciale, l'impôt sur le revenu dû en raison des bénéfices provenant de l'exercice de cette profession y compris ceux qui proviennent de créances acquises et non encore recouvrées et qui n'ont pas encore été imposés est immédiatement établi. Les contribuables doivent, dans un délai de soixante jours déterminé comme il est indiqué ci-après, aviser l'administration de la cessation et lui faire connaître la date à laquelle elle a été ou sera effective, ainsi que, s'il y a lieu, les noms, prénoms et adresse du successeur. Ce délai de soixante jours commence à courir : - lorsqu'il s'agit de la cessation de l'exercice d'une profession autre que l'exploitation d'une charge ou d'un office, du jour où la cessation a été effective ; - lorsqu'il s'agit de la cessation de l'exploitation d'une charge ou d'un office, du jour où a été publiée au Journal officiel la nomination du nouveau titulaire de la charge ou de l'office ou du jour de la cessation effective si elle est postérieure à cette publication ; qu'aux termes de l'article 1663 bis du même code : Lorsque le contribuable imposé dans les conditions du 1 de l'article 202 devient, dans un délai de trois mois à compter de la date de cessation d'activité, associé d'une société d'exercice libéral mentionnée à l'article 2 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé pour y exercer sa profession, le paiement de l'impôt correspondant aux créances acquises visées au premier alinéa du 1 de l'article 202 peut, sur demande expresse et irrévocable de sa part, être fractionné par parts égales sur l'année de cessation et les deux années suivantes. (...) ; qu'il résulte des dispositions de l'article 4 du décret du 3 août 1994 relatif à l'exercice en commun de la profession de médecin sous forme de société d'exercice libéral, applicable au litige, que la création d'une société d'exercice libéral de médecins est soumise à une condition suspensive qui se trouve réalisée à la date de son inscription au tableau de l'ordre des médecins ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cessation de l'activité du docteur A dans le cadre d'une société civile de moyens n'est intervenue qu'à la date de la constitution de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée entre les docteurs A et Gagey ; que la constitution de cette société d'exercice libéral à responsabilité limitée était soumise à une condition suspensive qui s'est trouvée réalisée à la date de son inscription au tableau de l'ordre des médecins, soit en septembre 1996 ; que, par suite, en jugeant que la cessation de l'activité non commerciale du docteur A était devenue effective le 31 décembre 1995 et qu'il appartenait aux requérants d'aviser l'administration de cette cessation dans un délai de 60 jours à compter de cette dernière date pour obtenir le fractionnement de l'impôt sur le revenu à raison des créances acquises au titre de l'année 1995, la cour a commis une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A ne sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent qu'en tant qu'il statue sur le redressement refusant aux requérants le bénéfice des dispositions du 1 de l'article 202 du code général des impôts et de l'article 1663 bis du même code ;

Sur les conclusions présentées par M. et Mme A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 20 mai 2009 est annulé en tant qu'il statue sur le redressement refusant à M. et Mme A le bénéfice des dispositions du 1 de l'article 202 et de l'article 1663 bis du code général des impôts.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Nancy.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme A la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5: La présente décision sera notifiée à M. Patrick A, à Mme Kathy A et à la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 07 mar. 2012, n° 330169
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Christian Vigouroux
Rapporteur ?: M. Christian Fournier
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Date de la décision : 07/03/2012
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 330169
Numéro NOR : CETATEXT000025469034 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2012-03-07;330169 ?
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