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24/04/2012 | FRANCE | N°338786

France | France, Conseil d'État, 6ème / 1ère ssr, 24 avril 2012, 338786


Vu 1°, sous le n° 338786, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 avril et 20 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme D...B..., demeurant... ; Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 18 janvier 2010 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à son encontre un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 euros ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité des marchés financiers de retirer toute mention de la décision attaquée de son si

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Vu 1°, sous le n° 338786, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 avril et 20 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme D...B..., demeurant... ; Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 18 janvier 2010 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à son encontre un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 euros ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité des marchés financiers de retirer toute mention de la décision attaquée de son site internet et de ses publications, et d'insérer en première page de ce site, dans les deux jours de la notification de la décision à intervenir, un encart faisant état de l'annulation de la décision attaquée par le Conseil d'Etat, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le n° 338929, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 22 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A... E..., demeurant... ; M. E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 18 janvier 2010 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à son encontre un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Raphaël Chambon, Auditeur,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de Mme B..., de la SCP Peignot, Garreau, Bauer, Violas, avocat de M. E...et de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de MmeB..., à la SCP Peignot, Garreau, Bauer, Violas, avocat de M. E...et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

Considérant que les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre la même décision ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la décision attaquée : " La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : / a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L. 621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L. 613-21 ; / b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L. 613-21 ; / c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers (...) " ; qu'en vertu du III du même article, les sanctions applicables sont, pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des activités, éventuellement assortis d'une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de pratiques mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des profits éventuellement réalisés dans les autres cas ;

Considérant que, par la décision du 18 janvier 2010 contestée par Mme B... et M. E..., la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a infligé à ces derniers, gestionnaires de fonds d'investissement à la société Richelieu Finance, un blâme assorti d'une sanction pécuniaire de 30 000 euros pour avoir utilisé une information privilégiée relative à l'imminence d'une offre publique d'achat sur la société Completel, en achetant massivement et de façon inhabituelle, pour le compte de fonds qu'ils géraient, des titres Completel avant que l'opération ne soit rendue publique ; qu'elle a également décidé que sa décision serait publiée au Bulletin des annonces légales obligatoires ainsi que sur le site internet et dans la revue mensuelle de l'Autorité des marchés financiers ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes ;

Considérant qu'aux termes de l'article 621-1 du règlement général de l'AMF : " Une information privilégiée est une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés. / Une information est réputée précise si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés. / Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement " ; qu'en vertu des articles 622-1 et 622-2 du même règlement général, toute personne qui détient une information privilégiée en raison de son accès à l'information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions " doit s'abstenir d'utiliser l'information privilégiée qu'elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d'acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés " ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, d'une part, M. E..., gérant de fonds d'investissement travaillant pour la société Richelieu Finance, a été contacté le 20 août 2007 par M.C..., employé du département Corporate Finance de HSBC France, qui lui a fait état de ce que HSBC était mandaté pour acquérir des titres d'une société dans laquelle Richelieu Finance détenait une participation et a transmis un projet d'accord de confidentialité ; que bien que, dans la journée du 21 août, M. E... lui ait indiqué que Richelieu Finance n'envisageait pas de signer cet accord de confidentialité, M. C...lui a, le 22, au plus tard à 12 h 15, indiqué que le projet concernait la société Completel, puis, le 23, au plus tard à 9 h 04, fait mention d'un prix de 35 ou 35,50 euros ; que le 23 au matin, M. E... a informé sa supérieure hiérarchique, MmeB..., de retour de congés ce jour-là, de la démarche dont il avait été l'objet ; que, d'autre part, M. E..., les 22 et le 23 août, et MmeB..., les 23 et 29 août, ont procédé à l'acquisition de titres Completel pour le compte des fonds qu'ils géraient ;

Considérant qu'à défaut de preuve matérielle à l'encontre d'une personne mentionnée aux articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l'AMF, la détention d'une information privilégiée peut être établie par un faisceau d'indices concordants, desquels il résulte que seule la détention d'une information privilégiée peut expliquer les opérations litigieuses auxquelles la personne mise en cause a procédé, sans que la commission des sanctions de l'AMF n'ait l'obligation d'établir précisément les circonstances dans lesquelles l'information est parvenue jusqu'à la personne qui l'a utilisée ; que dès lors, et alors que le caractère nécessairement secret et volontairement dissimulé des opérations fautives ne permet généralement pas de disposer de preuves directes à l'encontre des personnes mentionnées aux articles 622-1 et 622-2 de ce règlement, la commission des sanctions peut légalement réunir un faisceau d'indices concordants en vue d'établir, à l'égard des personnes poursuivies, un manquement aux dispositions de ces articles du règlement général de l'AMF ;

Considérant, d'une part, que la commission des sanctions, après avoir qualifié d'information privilégiée la connaissance de l'imminence d'une offre publique d'achat (OPA) sur la société Completel, a reconnu que M. C... n'avait transmis à M. E... aucune information sur la préparation d'une telle offre ; que, cependant, elle a estimé que M. E... ne pouvait pas ne pas avoir compris, à partir des seules informations communiquées par M. C..., qu'une OPA sur la société Completel était imminente et a considéré que Mme B...était, en sa qualité de supérieur hiérarchique, également détentrice de cette information ; qu'il résulte cependant de l'instruction que les seuls éléments portés à la connaissance de M. E... par M. C..., qui ne constituaient pas en eux-mêmes une information privilégiée et dont la transmission n'avait pas pour objet la révélation implicite d'une telle information, ne permettaient pas à M. E... de déduire de façon certaine l'existence d'une OPA imminente ; que, par suite, la preuve matérielle n'était pas apportée, dans les circonstances de l'espèce, que les deux personnes poursuivies détenaient une information privilégiée ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que les fonds d'investissement de la société Richelieu Finance gérés par M. E... et Mme B...ont procédé à l'acquisition de titres Completel, selon un rythme régulier, depuis le mois de février 2007, de sorte que la société Richelieu Finance détenait 5 % du capital de Completel en juin 2007 ; que M. E... et Mme B...avaient défini une stratégie d'achat de titres Completel avec un objectif de cours de 43 euros ; que les informations données par M. C...sur la volonté d'un acteur du marché d'acheter des titres Completel à un cours de 35 ou 35,50 euros, supérieur à la valeur alors constatée du titre, concordaient avec la stratégie mise en oeuvre par M. E... à l'égard du titre Completel ; qu'ainsi, les achats de titres Completel effectués par M. E... et Mme B...entre le 22 et le 30 août 2007 peuvent s'expliquer autrement que par la détention d'une information privilégiée ; que cette détention n'est par suite pas davantage établie par un faisceau d'indices concordants et non équivoques ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que la commission des sanctions a estimé que les deux personnes poursuivies détenaient une information privilégiée et que les acquisitions de titres Completel qu'elles avaient effectuées les 22, 23 et 29 août 2007 étaient constitutives d'une utilisation d'information privilégiée ; que M. E... et Mme B...sont dès lors fondés à demander l'annulation de la décision du 18 janvier 2010, en tant qu'elle a infligé un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 euros à chacun d'entre eux et a ordonné sa publication ; que, par suite, il y a lieu d'enjoindre à l'Autorité des marchés financiers de supprimer la décision publiée de son site internet et d'y publier la décision du Conseil d'Etat dans les mêmes conditions que celles de la décision annulée ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. E... et Mme B..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à l'Autorité des marchés financiers d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers le versement à chacun des requérants d'une somme de 3 000 euros au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 18 janvier 2010 est annulée en tant qu'elle inflige un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 euros à M. E... et à Mme B...et en tant qu'elle a ordonné sa publication.

Article 2 : Il est enjoint à l'Autorité des marchés financiers de supprimer la décision publiée de son site internet et d'y publier la décision du Conseil d'Etat dans les mêmes conditions que celles de la décision annulée.

Article 3 : L'Autorité des marchés financiers versera à Mme B...et à M. E... une somme de 3 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de l'Autorité des marchés financiers présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme D...B..., à M. A... E...et à l'Autorité des marchés financiers.

Copie en sera adressée pour information au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : 6ème / 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 338786
Date de la décision : 24/04/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

13-01-02-01 CAPITAUX, MONNAIE, BANQUES. CAPITAUX. OPÉRATIONS DE BOURSE. AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS. - COMMISSION DES SANCTIONS - ABUS DE MARCHÉ - ETABLISSEMENT DE LA DÉTENTION D'UNE INFORMATION PRIVILÉGIÉE - 1) ABSENCE, EN L'ESPÈCE, DE PREUVE MATÉRIELLE - 2) RECOURS, PAR LA COMMISSION DES SANCTIONS DE L'AMF, À LA MÉTHODE DU FAISCEAU D'INDICES - LÉGALITÉ, À DÉFAUT DE PREUVE MATÉRIELLE [RJ1] - ABSENCE, EN L'ESPÈCE, D'INDICES CONCORDANTS.

13-01-02-01 1) La preuve matérielle de la détention d'une information privilégiée (en l'espèce, la connaissance de l'imminence d'une offre publique d'achat) n'est pas rapportée dans le cas où les seuls éléments portés à la connaissance de l'intéressé ne constituent pas en eux-mêmes une information privilégiée, où leur transmission n'a pas eu pour objet la révélation implicite d'une telle information et où l'intéressé ne pouvait pas en déduire de façon certaine l'information privilégiée.,,2) Il n'y a pas de faisceau d'indices concordants susceptibles d'établir la détention d'une information privilégiée dans le cas où les opérations de marché accomplies par les intéressés, prises en compte par l'AMF au titre d'un tel faisceau d'indices, peuvent s'expliquer autrement que par la détention d'une information privilégiée, par exemple dans le cas d'achats de titres concordant avec la stratégie d'une société.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 30 décembre 2010, Thiriet, n° 326987, p. 548.


Publications
Proposition de citation : CE, 24 avr. 2012, n° 338786
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Raphaël Chambon
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:338786.20120424
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