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07/05/2012 | FRANCE | N°327995

France | France, Conseil d'État, 10ème sous-section jugeant seule, 07 mai 2012, 327995


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 mai et 17 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ISOTHERM, dont le siège est 147, rue de Vaugirard à Paris (75015) ; la SOCIETE ISOTHERM demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la délibération de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en date du 27 novembre 2008 prononçant une sanction pécuniaire à son encontre en application des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme d

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Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 mai et 17 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ISOTHERM, dont le siège est 147, rue de Vaugirard à Paris (75015) ; la SOCIETE ISOTHERM demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la délibération de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en date du 27 novembre 2008 prononçant une sanction pécuniaire à son encontre en application des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

Vu le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Labrune, Auditeur,

- les observations de la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la SOCIETE ISOTHERM,

- les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la SOCIETE ISOTHERM ;

Considérant qu'aux termes de l'article 44 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits : " I. - Les membres de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ainsi que les agents de ses services habilités dans les conditions définies au dernier alinéa de l'article 19 ont accès, de 6 heures à 21 heures, pour l'exercice de leurs missions, aux lieux, locaux, enceintes, installations ou établissements servant à la mise en oeuvre d'un traitement de données à caractère personnel et qui sont à usage professionnel, à l'exclusion des parties de ceux-ci affectées au domicile privé. / Le procureur de la République territorialement compétent en est préalablement informé. / II. - En cas d'opposition du responsable des lieux, la visite ne peut se dérouler qu'avec l'autorisation du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter ou du juge délégué par lui. / Ce magistrat est saisi à la requête du président de la commission. Il statue par une ordonnance motivée, conformément aux dispositions prévues aux articles 493 à 498 du code de procédure civile. La procédure est sans représentation obligatoire. / La visite s'effectue sous l'autorité et le contrôle du juge qui l'a autorisée. Celui-ci peut se rendre dans les locaux durant l'intervention. A tout moment, il peut décider l'arrêt ou la suspension de la visite. / III. - Les membres de la commission et les agents mentionnés au premier alinéa du I peuvent demander communication de tous documents nécessaires à l'accomplissement de leur mission, quel qu'en soit le support, et en prendre copie ; ils peuvent recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement et toute justification utiles ; ils peuvent accéder aux programmes informatiques et aux données, ainsi qu'en demander la transcription par tout traitement approprié dans des documents directement utilisables pour les besoins du contrôle. / (...) Il est dressé contradictoirement procès-verbal des vérifications et visites menées en application du présent article. " ; qu'aux termes de l'article 61 du décret du 20 octobre 2005 : " Lorsque la commission décide un contrôle sur place, elle en informe préalablement par écrit le procureur de la République dans le ressort territorial duquel doit avoir lieu la visite ou la vérification. (...) " ; qu'aux termes de l'article 62 du même décret : " Lorsque la commission effectue un contrôle sur place, elle informe au plus tard au début du contrôle le responsable des lieux de l'objet des vérifications qu'elle compte entreprendre, ainsi que de l'identité et de la qualité des personnes chargées du contrôle. Lorsque le responsable du traitement n'est pas présent sur les lieux du contrôle, ces informations sont portées à sa connaissance dans les huit jours suivant le contrôle. / Dans le cadre de leurs vérifications, les personnes chargées du contrôle présentent en réponse à toute demande leur ordre de mission et, le cas échéant, leur habilitation à procéder aux contrôles. " ; qu'en vertu des dispositions de l'article 45 de la loi du 6 janvier 1978, la Commission nationale de l'informatique et des libertés peut prononcer des sanctions à l'encontre des responsables de traitement qui ne respectent pas les obligations découlant de cette loi ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'un premier contrôle sur pièces effectuée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), le 6 juin 2007, la SOCIETE ISOTHERM, spécialisée dans la vente par démarchage téléphonique réalisé à partir de données contenues dans un fichier édité sur CD-Rom, a fait l'objet de la part de la commission, le 21 novembre 2007, d'une mission de vérification sur place aux fins de vérification des conditions de régularité de ses activités de prospection commerciale au regard des obligations résultant de la loi du 6 janvier 1978 ; qu'à l'issue de ce contrôle la CNIL a constaté des irrégularités persistantes ; que, par délibération du 11 décembre 2007, la formation restreinte de la CNIL a mis en demeure la SOCIETE ISOTHERM de régulariser sa situation dans le délai d'un mois et à cette fin de prendre une série de mesures de nature à remédier aux irrégularités constatées ; que la société requérante a accusé réception de cette mise en demeure le 18 janvier 2008 sans y donner suite ; qu'ayant reçu notification de l'intention de la CNIL de prononcer à son encontre une sanction, ainsi que des griefs susceptibles de fonder une éventuelle sanction, elle a adressé à la CNIL des observations indiquant qu'elle s'était conformée à l'ensemble des prescriptions contenues dans la mise en demeure du 11 décembre 2007 ; qu'après une nouvelle vérification sur place le 5 juin 2008, la commission a constaté dans un rapport complémentaire, notifié le 4 septembre 2008, que les manquements constatés lors de son premier contrôle avaient persisté, à l'exception de ceux relatifs aux formalités préalables à accomplir avant toute gestion de fichiers ; que, dans ces conditions, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a, par une délibération n° 2008-470 notifiée le 16 mars 2009 à la SOCIETE ISOTHERM, prononcé à l'encontre de cette dernière une sanction pécuniaire de 30 000 euros ; qu'elle a en outre décidé de la publication de cette décision sur son site internet et sur la base Légifrance ; que la SOCIETE ISOTHERM demande l'annulation de cette délibération ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;

Considérant que si le droit au respect du domicile que ces stipulations protègent s'applique également, dans certaines circonstances, aux locaux professionnels où des personnes morales exercent leurs activités, il doit être concilié avec les finalités légitimes du contrôle, par les autorités publiques, du respect des règles qui s'imposent à ces personnes morales dans l'exercice de leurs activités professionnelles ; que le caractère proportionné de l'ingérence que constitue la mise en oeuvre, par une autorité publique, de ses pouvoirs de visite et de contrôle des locaux professionnels résulte de l'existence de garanties effectives et appropriées, compte tenu, pour chaque procédure, de l'ampleur et de la finalité de ces pouvoirs ;

Considérant qu'il ressort des dispositions citées plus haut de l'article 44 de la loi du 6 janvier 1978 et des articles 61 et 62 du décret du 20 octobre 2005 que les membres de la Commission nationale de l'informatique et des libertés peuvent accéder à des locaux professionnels en dehors de leurs heures normales de fonctionnement et en l'absence du responsable du traitement ; que toute entrave à l'exercice de ce droit de visite peut, en application des dispositions de l'article 51 de la loi du 6 janvier 1978, faire l'objet de sanctions pénales, à l'exception de l'exercice du droit d'opposition prévu par les dispositions de l'article 44 ; qu'aucune disposition ne prévoit que le responsable du traitement soit prévenu de cette visite et puisse se faire assister de la personne de son choix ; que les membres de la commission peuvent accéder aux programmes informatiques et aux données ainsi qu'en demander la transcription ; qu'en raison tant de l'ampleur de ces pouvoirs de visite des locaux professionnels et d'accès aux documents de toute nature qui s'y trouvent que de l'imprécision des dispositions qui les encadrent, cette ingérence ne pourrait être regardée comme proportionnée aux buts en vue desquels elle a été exercée qu'à la condition d'être préalablement autorisée par un juge ; que, toutefois, la faculté du responsable des locaux de s'opposer à la visite, laquelle ne peut alors avoir lieu qu'avec l'autorisation et sous le contrôle du juge judiciaire, offre une garantie équivalente à l'autorisation préalable du juge ; qu'une telle garantie ne présente néanmoins un caractère effectif que si le responsable des locaux ou le représentant qu'il a désigné à cette fin a été préalablement informé de son droit de s'opposer à la visite et mis à même de l'exercer ;

Considérant qu'il ne ressort pas des procès-verbaux en date des 21 novembre 2007 et 7 juin 2008 que les responsables des locaux ayant fait l'objet du contrôle sur place qui a permis aux membres de la Commission nationale de l'informatique et des libertés de constater le manquement sanctionné par la délibération attaquée, aient été informés de leur droit de s'opposer à cette visite ; qu'à cet égard la seule mention que le contrôle était effectué en application de l'article 44 de la loi du 6 janvier 1978 ne saurait tenir lieu de l'information requise ; que, par suite, la SOCIETE ISOTHERM est fondée à soutenir que la sanction qui lui a été infligée, dès lors qu'elle reposait sur des faits constatés lors du contrôle, a été prise au terme d'une procédure irrégulière et qu'elle doit pour ce motif être annulée ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à la SOCIETE ISOTHERM au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : La délibération de la Commission nationale de l'informatique et des libertés du 27 novembre 2008 est annulée.

Article 2 : L'Etat versera à la SOCIETE ISOTHERM une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ISOTHERM, à la Commission nationale de l'informatique et des libertés et au Premier ministre.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 07 mai. 2012, n° 327995
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Thierry Tuot
Rapporteur ?: M. Nicolas Labrune
Rapporteur public ?: M. Julien Boucher
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT

Origine de la décision
Formation : 10ème sous-section jugeant seule
Date de la décision : 07/05/2012
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 327995
Numéro NOR : CETATEXT000025822299 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2012-05-07;327995 ?
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