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30/05/2012 | FRANCE | N°351551

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 30 mai 2012, 351551


Vu l'arrêt n° 09PA05763 du 29 juillet 2011, enregistré le 3 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le président de la 8ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 179 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, de se prononcer sur la question de la conformité au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 des dispositions de l'article LP 7 de la loi du pays n° 2007-02 du 16 avril 2007

relative à l'emploi des travailleurs handicapés ;

Vu les aut...

Vu l'arrêt n° 09PA05763 du 29 juillet 2011, enregistré le 3 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le président de la 8ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 179 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, de se prononcer sur la question de la conformité au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 des dispositions de l'article LP 7 de la loi du pays n° 2007-02 du 16 avril 2007 relative à l'emploi des travailleurs handicapés ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu la loi du pays n° 2007-02 du 16 avril 2007 relative à l'emploi des travailleurs handicapés ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Tanneguy Larzul, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur public ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la SOCIETE VERA, qui exerce une activité de nettoyage, s'est vue notifier par décisions du ministre de l'économie et du pacte social de la Polynésie français des pénalités financières, en raison de l'inexécution de ses obligations d'emploi de travailleurs handicapés d'une part, et de déclaration annuelle d'emploi de travailleurs handicapés d'autre part, en méconnaissance des dispositions de la loi du pays du 16 avril 2007 relative à l'emploi des travailleurs handicapés ; que par jugement du 13 juillet 2009, le tribunal administratif de la Polynésie français a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du ministre de l'emploi et du pacte social, du 10 septembre 2008, mettant en recouvrement la majoration due par la SOCIETE VERA au titre de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, du 1er décembre 2008, procédant à la liquidation de cette majoration, et mettant en recouvrement la participation financière due au titre de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, du 12 janvier 2009 portant état liquidatif de recettes pour un montant de 1 722 631 francs CFP, du 14 janvier 2009 procédant à la liquidation de la participation financière pour un montant de 1 986 092 francs CFP, et du 5 février 2009, rejetant sa demande de remise gracieuse ; que la SOCIETE VERA a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Paris ; que par arrêt du 29 juillet 2011, la cour administrative d'appel de Paris a sursis à statuer et demande au Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, de se prononcer sur la question de la conformité à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 des dispositions de l'article LP 7 de la loi du pays du 16 avril 2007 relative à l'emploi des travailleurs handicapés ;

Considérant qu'il résulte des articles 140 et 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française que les actes dénommés " lois du pays " peuvent faire l'objet de la part du Conseil d'Etat d'un contrôle de conformité au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit, d'une part à l'initiative du haut-commissaire, du président de la Polynésie française, du président de l'assemblée de la Polynésie française ou de six représentants à l'assemblée de la Polynésie française, dans un délai de quinze jours à l'expiration de la période de huit jours suivant leur adoption ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143 de la loi organique, d'autre part, à la demande des personnes physiques et morales à l'expiration de la période de huit jours suivant leur adoption ;

Considérant que par l'article 179 de la loi du 27 février 2004, le législateur organique a entendu compléter ce contrôle par voie d'action par un contrôle par voie d'exception, également confié au Conseil d'Etat, ainsi conçu : " Lorsque, à l'occasion d'un litige devant une juridiction, une partie invoque par un moyen sérieux la contrariété d'un acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays " avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux, ou les principes généraux du droit, et que cette question commande l'issue du litige, la validité de la procédure ou constitue le fondement des poursuites, la juridiction transmet sans délai la question au Conseil d'Etat, par une décision qui n'est pas susceptible de recours. Le Conseil d'Etat statue dans les trois mois. Lorsqu'elle transmet la question au Conseil d'Etat, la juridiction surseoit à statuer. (...) " ;

Considérant qu'aux termes de l'article LP 1 de la loi du pays du 16 avril 2007 relative à l'emploi des travailleurs handicapés, dans sa rédaction alors applicable, " les employeurs définis à l'article LP 2 ci-après sont tenus d'employer des travailleurs handicapés " ; qu'aux termes de l'article LP 2 : " Tout employeur de droit public ou de droit privé occupant au moins 25 salariés est tenu d'employer des travailleurs handicapés tels que définis à l'article LP 3 ci-après dans la proportion de 4 % de l'effectif total de ses salariés " ; que l'article LP 3 définit les catégories de salariés bénéficiaires de l'obligation d'emploi ; qu'en application de l'article LP 4 " les employeurs peuvent également s'acquitter partiellement de leur obligation instituée par l'article LP 1 ci-dessus en passant des contrats de fournitures, de sous-traitance ou de prestations de services avec des établissements de travail protégé agréés dans les conditions de la règlementation en vigueur (...) Ces contrats ne peuvent être pris en compte qu'à hauteur de cinquante pour cent (50 %) de l'obligation d'emploi. " ; qu'aux termes de l'article LP 5 : " Tout employeur assujetti qui ne satisfait pas à l'obligation d'emploi dans les conditions définies aux articles LP 2 et LP 4 ci-dessus est astreint à une participation financière dont le montant est fixé à 2 500 fois le SMIG horaire en vigueur au 31 décembre de l'année d'assujettissement, déductible en charges, pour chacun des travailleurs handicapés manquant ou correspondant à l'obligation l'emploi. " ; qu'en vertu de l'article LP 6 " les employeurs soumis à l'obligation d'emploi doivent établir une déclaration annuelle ", dans laquelle figure le nombre de travailleurs handicapés employés ; que cette déclaration permet également, eu égard aux effectifs de l'employeur, d'évaluer l'assiette d'assujettissement à l'obligation d'emploi ; qu'enfin aux termes de l'article LP 7 : " Sur la base de la déclaration prévue à l'article précédent, le service de travail liquide le titre de perception à l'encontre de l'établissement concerné. / En cas de retard d'une durée inférieure ou égale à deux mois dans l'envoi de la déclaration, une majoration égale à 200 fois le SMIG horaire est due pour tout mois entamé de retard. / En l'absence de déclaration, ou en cas de retard supérieur à deux mois dans l'envoi de la déclaration, ou en cas de déclaration mensongère ou inexacte, l'employeur doit s'acquitter de la totalité de son obligation sous forme de versement du montant de la participation financière majoré de 200 fois le SMIG horaire par mois de retard entamé, le tout majoré de cinquante pour cent (50 %). Au cas où cette déclaration mensongère ou inexacte se renouvelle deux années consécutives, le montant de la participation financière due par l'employeur est majoré de 200 fois le SMIG horaire par mois de retard entamé, le tout majoré de cent pour cent (100 %). / Les majorations prévues au présent article sont recouvrées dans les mêmes conditions que la participation obligatoire, mais ne sont pas déductibles en charges. (...) "

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'un employeur peut s'acquitter de son obligation d'emploi de travailleurs handicapés soit en employant directement l'un de ces travailleurs, soit partiellement et dans les conditions prévues par l'article LP 4 en passant des contrats avec des établissements de travail protégés agréés ayant eux-mêmes recours à ces salariés, soit, enfin, en cas d'inexécution des modalités précédentes, en versant la " participation financière " définie à l'article LP 5 égale à 2 500 fois le SMIG horaire annuel destinée à alimenter le fonds pour l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés ; que dans le cas ou l'employeur méconnaît également son obligation de déclaration annuelle visée à l'article LP 6, il s'expose aux pénalités financières prévues à l'article LP 7 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. " ; que le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition ; qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dès lors, d'une part, que la sanction susceptible d'être infligée est exclusive de toute privation de liberté et, d'autre part, que l'exercice de ce pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à assurer les droits et libertés constitutionnellement garantis ; que, notamment, le principe de proportionnalité s'oppose à ce que l'assemblée de la Polynésie puisse établir des sanctions pécuniaires d'un montant manifestement disproportionné par rapport au manquement qu'elle a entendu réprimer ;

Considérant que l'article LP 7 de la loi du pays du 16 avril 2007 établit des pénalités financières sous forme de majorations applicables en cas de retard, ou d'absence de la déclaration dont la production incombe obligatoirement à l'employeur en application de l'article LP 6, de même qu'en cas de déclaration mensongère ou inexacte ; que l'alinéa deux de l'article LP 7 fixe en premier lieu une majoration, exempte de disproportion manifeste, égale à 200 fois le SMIG horaire en cas de retard dans l'envoi de la déclaration d'une durée inférieure à deux mois ; qu'en second lieu l'alinéa trois s'applique en cas d'absence de déclaration, de retard de plus de deux mois dans l'envoi de la déclaration ou de déclaration inexacte ou mensongère ; qu'il impose alors à l'employeur de s'acquitter de la totalité de son obligation d'emploi en mettant à sa charge un versement correspondant au montant de la participation financière, équivalent à 2 500 fois le SMIG horaire, majoré de 200 fois le SMIG horaire par mois de retard entamé ; qu'à la somme ainsi obtenue s'ajoute une majoration de cinquante pour cent, susceptible d'être portée à cent pour cent en cas de déclaration mensongère ou inexacte renouvelée deux années consécutives ; que ces pénalités ne sont pas dues si l'employeur s'est acquitté de son obligation d'emploi d'un travailleur handicapé ou a passé des contrats avec un établissement de travail protégé agréé dans les conditions prévues par l'article LP 4 ; qu'elles ne sont en effet dues que par l'employeur qui, à défaut, est redevable de la participation financière dont ces pénalités constituent une majoration ; qu'elles contribuent à la mise en oeuvre des actions financées par le fonds pour l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés ; qu'eu égard à l'objectif d'intérêt général d'emploi et d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés poursuivi par l'assemblée de la Polynésie française, le montant des majorations prescrit par l'alinéa trois de l'article LP 7 ne présente pas un caractère manifestement disproportionné ; qu'elles ne méconnaissent donc pas le principe de proportionnalité qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 7 de la loi du pays du 16 avril 2007 relative à l'emploi des travailleurs handicapés est déclaré conforme à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la cour administrative d'appel de Paris.

Copie en sera adressée à la SOCIETE VERA, au Président de la Polynésie française, au ministre de l'intérieur et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - VIOLATION DIRECTE DE LA RÈGLE DE DROIT - CONSTITUTION ET PRINCIPES DE VALEUR CONSTITUTIONNELLE - PRINCIPE DE PROPORTIONNALITÉ DES PEINES (ARTICLE 8 DE LA DDHC) - APPLICATION À UN RÉGIME DE SANCTIONS PÉCUNIAIRES INSTITUÉ PAR L'ASSEMBLÉE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE - CONTRÔLE DE L'ABSENCE DE DISPROPORTION MANIFESTE DU MONTANT PAR RAPPORT AU MANQUEMENT [RJ1].

01-04-005 Le principe de proportionnalité des peines énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) s'oppose à ce que l'assemblée de la Polynésie française puisse établir des sanctions pécuniaires d'un montant manifestement disproportionné par rapport au manquement qu'elle a entendu réprimer.

OUTRE-MER - DROIT APPLICABLE - STATUTS - POLYNÉSIE FRANÇAISE - RÉGIME DE SANCTIONS PÉCUNIAIRES INSTITUÉ PAR L'ASSEMBLÉE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE - PRINCIPE DE PROPORTIONNALITÉ (ARTICLE 8 DE LA DDHC) - CONTRÔLE PAR LE CONSEIL D'ETAT DE L'ABSENCE DE DISPROPORTION MANIFESTE [RJ1].

46-01-02-02 Le principe de proportionnalité des peines énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) s'oppose à ce que l'assemblée de la Polynésie française puisse établir des sanctions pécuniaires d'un montant manifestement disproportionné par rapport au manquement qu'elle a entendu réprimer.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - CONTRÔLE DU JUGE DE L'EXCÈS DE POUVOIR - APPRÉCIATIONS SOUMISES À UN CONTRÔLE RESTREINT - RÉGIME DE SANCTIONS PÉCUNIAIRES INSTITUÉ PAR L'ASSEMBLÉE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE - ABSENCE DE DISPROPORTION DU MONTANT PAR RAPPORT AU MANQUEMENT [RJ1].

54-07-02-04 Le principe de proportionnalité des peines énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) s'oppose à ce que l'assemblée de la Polynésie française puisse établir des sanctions pécuniaires d'un montant manifestement disproportionné par rapport au manquement qu'elle a entendu réprimer.

RÉPRESSION - DOMAINE DE LA RÉPRESSION ADMINISTRATIVE RÉGIME DE LA SANCTION ADMINISTRATIVE - BIEN-FONDÉ - RÉGIME DE SANCTIONS PÉCUNIAIRES INSTITUÉ PAR L'ASSEMBLÉE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE - PRINCIPE DE PROPORTIONNALITÉ (ARTICLE 8 DE LA DDHC) - CONTRÔLE DE L'ABSENCE DE DISPROPORTION MANIFESTE DU MONTANT PAR RAPPORT AU MANQUEMENT [RJ1].

59-02-02-03 Le principe de proportionnalité des peines énoncé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) s'oppose à ce que l'assemblée de la Polynésie française puisse établir des sanctions pécuniaires d'un montant manifestement disproportionné par rapport au manquement qu'elle a entendu réprimer.


Références :

[RJ1]

Rappr., pour le contrôle par le Conseil constitutionnel, au regard du principe énoncé à l'article 8 de la DDHC, de l'absence de caractère disproportionné du montant d'une sanction par rapport au manquement en cause, Cons. const., 20 juillet 2012, n° 2012-267 QPC, Mme Irène L.


Publications
Proposition de citation: CE, 30 mai. 2012, n° 351551
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Tanneguy Larzul
Rapporteur public ?: M. Julien Boucher

Origine de la décision
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Date de la décision : 30/05/2012
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 351551
Numéro NOR : CETATEXT000025933981 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2012-05-30;351551 ?
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