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27/06/2012 | FRANCE | N°346392

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 27 juin 2012, 346392


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 février et 4 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE GERARD POULALION, dont le siège est route de Montereau, BP 112 à Darvault (77140) ; elle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA01239 du 8 décembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n°s 041812-045650 du 23 janvier 2008 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes tendant à la décharge d

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 février et 4 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE GERARD POULALION, dont le siège est route de Montereau, BP 112 à Darvault (77140) ; elle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA01239 du 8 décembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n°s 041812-045650 du 23 janvier 2008 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 1996 au 30 avril 1999 et des pénalités correspondantes ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Maryline Saleix, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les observations de Me Jacoupy, avocat de la SOCIETE GERARD POULALION,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Jacoupy, avocat de la SOCIETE GERARD POULALION ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la SOCIETE GERARD POULALION, qui exerce une activité de vente de véhicules utilitaires et de matériels roulants industriels de travaux publics, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur ses déclarations de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 1996 au 30 avril 1999 ; qu'à l'issue des opérations de contrôle, l'administration fiscale a remis en cause la déduction de la taxe ayant grevé des facturations fictives de camions émises par des sociétés appartenant à un circuit de fraude de type " carrousel ", ainsi que le régime d'exonération appliqué aux livraisons intracommunautaires et aux exportations de camions facturées par la société à des clients étrangers, à défaut de justifier de l'expédition, de la sortie du territoire et de la livraison des véhicules concernés ; que la société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 8 décembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a confirmé le jugement du 23 janvier 2008 du tribunal administratif de Melun qui avait rejeté ses demandes tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi mis en recouvrement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que la cour, après avoir constaté que la société requérante soutenait dans un mémoire enregistré le 5 février 2010 que le jugement serait entaché d'une contrariété dans ses motifs, a jugé que ce moyen était fondé sur une cause juridique nouvelle relative à la régularité du jugement attaqué, distincte de celle portant sur l'établissement de l'impôt, seul contesté dans les précédentes écritures de la requérante, et qu'il était, par suite, irrecevable, faute d'avoir été soulevé dans le délai du recours contentieux ; qu'en statuant ainsi, alors que la contradiction de motifs affecte le bien-fondé d'une décision juridictionnelle et non sa régularité, la cour a commis une erreur de droit ; que la SOCIETE GERARD POULALION est fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'avis de vérification de comptabilité, daté du 2 juin 1999, a été reçu par la société le 4 juin 1999 ; que le 7 juin suivant, l'administration fiscale a exercé auprès de l'autorité judiciaire son droit de communication et a ainsi consulté les pièces et documents saisis le 18 février 1999 dans le cadre d'une enquête pénale diligentée à l'encontre notamment de la SOCIETE GERARD POULALION ; que la vérification de comptabilité a débuté le 22 juin 1999, date de la première intervention sur place, et que les opérations de contrôle ont pris fin par une réunion de synthèse tenue le 26 juillet 2000 entre les représentants de l'administration et la dirigeante de la société et son conseil ;

Considérant que, pour demander l'annulation du jugement du 23 janvier 2008 du tribunal administratif de Melun, la société requérante soutient, en premier lieu, que n'ayant pu discuter les documents comptables obtenus par l'administration dans l'exercice de son droit de communication, elle a été privée, au cours de la vérification de comptabilité, d'un débat oral et contradictoire sur les pièces ayant fondé les redressements, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ; que toutefois, il est constant que l'administration fiscale a exercé son droit de communication avant la vérification de comptabilité, laquelle a débuté par la première intervention sur place du vérificateur ; que, par suite, la société ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ;

Considérant que si la société requérante allègue, en deuxième lieu, que l'administration était en possession des éléments de la procédure judiciaire avant même d'exercer son droit de communication sur les pièces saisies le 7 juin 1999 et qu'elle aurait entrepris une vérification de comptabilité avant de lui en notifier l'intention, elle se borne, au soutien de cette allégation, à faire valoir que le contrôle était limité à la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui ne correspondrait pas aux pratiques de contrôle de l'administration fiscale ; que cette seule circonstance, au demeurant inexacte, ne saurait en tout état de cause constituer la preuve que l'administration fiscale aurait eu connaissance de la teneur des pièces de l'enquête pénale avant d'exercer son droit de communication ; que l'administration, qui n'était pas tenue d'informer préalablement la société de sa démarche auprès de l'autorité judiciaire ni de l'inviter à être présente, en même temps que les vérificateurs, lors de la consultation de ces pièces, a régulièrement exercé son droit de communication le 7 juin 1999, avant la première intervention sur place le 22 juin suivant ;

Considérant que la SOCIETE GERARD POULALION soutient, en troisième lieu, que les mentions contenues dans la notification de redressements ne permettraient pas de déterminer l'origine des renseignements de source extérieure obtenus par l'administration et que cette notification ne serait, dès lors, pas suffisamment motivée ; que, toutefois, cette notification expose l'organisation frauduleuse dont l'administration a eu connaissance par l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, décrit le circuit de chaque véhicule par son numéro de série, précise quelle société de la chaîne de fraude a procédé à la facturation, se réfère au caractère fictif de ces facturations au vu des résultats des recherches effectuées auprès du fichier national des immatriculations, et vise les renseignements fournis par M. Poulalion lui-même lors de son audition par les services de la gendarmerie ; que d'ailleurs, la société a admis, dans sa réponse à la notification du 13 octobre 2000, que les différents schémas concernant chaque camion étaient " joints à la notification " ; que, par suite, le tribunal a, à bon droit, estimé que la société avait été informée de la teneur et de l'origine des renseignements recueillis par le service auprès de tiers ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) / c. qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une convention. / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit (...) " ;

Considérant qu'à l'appui de son moyen tiré de ce que la procédure d'imposition aurait méconnu les garanties légales attachées à ces dispositions, la requérante affirme que l'administration, en écartant certaines factures en raison de leur caractère fictif, a invoqué implicitement mais nécessairement un abus de droit ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que, pour établir que les factures libellées au nom de la société requérante présentaient un caractère fictif, l'administration a souligné, tant dans la notification de redressements que devant le juge de l'impôt, l'absence de flux physique de marchandises entre les différentes sociétés ayant participé au circuit frauduleux ; que l'administration ne s'est donc pas fondée, même implicitement, sur la dissimulation de la portée véritable d'une convention ou d'un contrat ; que, par suite, la SOCIETE GERARD POULALION ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

Considérant, en dernier lieu, qu'en relevant, d'une part, que l'administration fiscale avait exercé son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire aux fins d'avoir accès aux documents saisis le 18 février 1999 et, d'autre part, que la société n'établissait pas que l'administration aurait été en possession de ces éléments antérieurement à la mise en oeuvre du droit de communication, le tribunal n'a pas entaché son jugement de contradiction de motifs ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE GERARD POULALION n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par jugement du 23 janvier 2008, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe à la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 1996 au 30 avril 1999 ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes qu'elle demande au titre des frais exposés par elle tant devant le Conseil d'Etat que la cour administrative d'appel et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 8 décembre 2010 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : La requête présentée par la SOCIETE GERARD POULALION devant la cour administrative d'appel de Paris et le surplus des conclusions de son pourvoi sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE GERARD POULALION et au ministre de l'économie et des finances.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT - CONTRÔLE FISCAL - DROIT DE COMMUNICATION - DROIT DE COMMUNICATION EXERCÉ - APRÈS L'ENVOI DE L'AVIS DE VÉRIFICATION DE COMPTABILITÉ MAIS AVANT LA PREMIÈRE INTERVENTION SUR PLACE - SUR DES PIÈCES COMPTABLES DÉTENUES PAR L'AUTORITÉ JUDICIAIRE - NÉCESSITÉ D'UN DÉBAT ORAL ET CONTRADICTOIRE SUR CELLES DE CES PIÈCES AYANT SERVI À FONDER LES IMPOSITIONS - ABSENCE [RJ1].

19-01-03-01-01 Droit de communication exercé après l'envoi de l'avis de vérification de comptabilité mais avant la première intervention sur place du vérificateur. Dès lors que l'administration fiscale a exercé son droit de communication avant la vérification de comptabilité, laquelle a débuté par la première intervention sur place du vérificateur, une société ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales pour soutenir que, n'ayant pu discuter les documents comptables obtenus par l'administration dans l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, elle a été privée, au cours de la vérification de comptabilité, d'un débat oral et contradictoire sur les pièces ayant fondé les redressements, en méconnaissance des dispositions de cet article.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT - CONTRÔLE FISCAL - VÉRIFICATION DE COMPTABILITÉ - GARANTIES ACCORDÉES AU CONTRIBUABLE - DROIT DE COMMUNICATION EXERCÉ - APRÈS L'ENVOI DE L'AVIS DE VÉRIFICATION DE COMPTABILITÉ MAIS AVANT LA PREMIÈRE INTERVENTION SUR PLACE - SUR DES PIÈCES COMPTABLES DÉTENUES PAR L'AUTORITÉ JUDICIAIRE - NÉCESSITÉ D'UN DÉBAT ORAL ET CONTRADICTOIRE SUR CELLES DE CES PIÈCES AYANT SERVI À FONDER LES IMPOSITIONS - ABSENCE [RJ1].

19-01-03-01-02-03 Droit de communication exercé après l'envoi de l'avis de vérification de comptabilité mais avant la première intervention sur place du vérificateur. Dès lors que l'administration fiscale a exercé son droit de communication avant la vérification de comptabilité, laquelle a débuté par la première intervention sur place du vérificateur, une société ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales pour soutenir que, n'ayant pu discuter les documents comptables obtenus par l'administration dans l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, elle a été privée, au cours de la vérification de comptabilité, d'un débat oral et contradictoire sur les pièces ayant fondé les redressements, en méconnaissance des dispositions de cet article.


Références :

[RJ1]

Comp. CE, 2 octobre 2002, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/ Mlle de Nayer, n° 224786, p. 324.


Publications
Proposition de citation: CE, 27 jui. 2012, n° 346392
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Maryline Saleix
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut
Avocat(s) : JACOUPY

Origine de la décision
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Date de la décision : 27/06/2012
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 346392
Numéro NOR : CETATEXT000026079221 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2012-06-27;346392 ?
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