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11/07/2012 | FRANCE | N°347148

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 11 juillet 2012, 347148


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 30 avril 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Section française de l'observatoire international des prisons, dont le siège est 7 bis, rue Riquet à Paris (75019) ; la Section française de l'observatoire international des prisons demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le 3° de l'article 4 et les articles 31 et 33 du décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire ;

) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositi...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 30 avril 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Section française de l'observatoire international des prisons, dont le siège est 7 bis, rue Riquet à Paris (75019) ; la Section française de l'observatoire international des prisons demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le 3° de l'article 4 et les articles 31 et 33 du décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Roussel, Auditeur,

- les observations de Me Spinosi, avocat de la Section française de l'observatoire international des prisons ;

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Spinosi, avocat de la Section française de l'observatoire international des prisons ;

Considérant que le décret attaqué, pris pour l'application de l'article 11 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, établit un code de déontologie du service public pénitentiaire ; qu'il est contesté en tant seulement qu'il s'applique aux intervenants extérieurs à l'administration pénitentiaire ;

Sur la fin de non recevoir opposée par la garde des sceaux, ministre de la justice :

Considérant qu'en vertu de l'article 1-2 de ses statuts, la Section française de l'observatoire international des prisons agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues ; que le décret attaqué a notamment pour objet d'encadrer les relations que peuvent entretenir les personnels participant au service public pénitentiaire avec les personnes détenues qui leurs sont confiées ; que, dès lors, la Section française de l'observatoire international des prisons justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation ;

Sur les conclusions dirigées contre le 3° de l'article 4 du décret attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article 4 du décret attaqué : " Le présent code de déontologie s'applique : / 1° Dans les conditions déterminées au titre II, aux personnels, fonctionnaires et agents non titulaires, de l'administration pénitentiaire tels que définis à l'article 11 de la loi susvisée du 24 novembre 2009, dans le respect des règles les régissant ; / 2° Dans les mêmes conditions, à l'exclusion des articles 8, 14, 26 et 29, aux membres de la réserve civile pénitentiaire instituée par l'article 17 de la loi précitée du 24 novembre 2009, qui sont assimilés aux personnels pénitentiaires pour ce qui est des règles pénitentiaires auxquels ils sont soumis ; / 3° Dans les conditions déterminées au titre III, aux personnes physiques et aux agents des personnes morales de droit public ou privé, concourant au service public pénitentiaire en vertu d'une habilitation ou d'un agrément" ; que l'association requérante soutient que ces dispositions relatives au champ d'application du code de déontologie ont, en ce qui concerne les intervenants extérieurs à l'administration pénitentiaire, méconnu les dispositions de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 24 novembre 2009 : " L'administration pénitentiaire comprend des personnels de direction, des personnels de surveillance, des personnels d'insertion et de probation et des personnels administratifs et techniques. / Un code de déontologie du service public pénitentiaire, établi par décret en Conseil d'Etat, fixe les règles que doivent respecter ces agents ainsi que les agents des personnes de droit public ou privé habilitées en application du second alinéa de l'article 3. / (...) " ; qu'aux termes du second alinéa de l'article 3 de cette même loi : " Les fonctions de direction, de surveillance et de greffe des établissements pénitentiaires sont assurées par l'administration pénitentiaire. Les autres fonctions peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé bénéficiant d'une habilitation dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat " ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions de la loi du 24 novembre 2009 que le législateur a prévu que le code de déontologie du service public pénitentiaire, dont l'article 11 de la loi impose l'élaboration, s'appliquerait non seulement aux agents de l'administration pénitentiaire mais également à l'ensemble des intervenants en milieu carcéral bénéficiant d'une habilitation, au nombre desquels figurent les personnels de santé ; que, dès lors, le 3° de l'article 4 du décret attaqué, qui doit être regardé comme incluant nécessairement dans son champ d'application les personnels de santé intervenant en milieu carcéral, n'a pas méconnu les dispositions de la loi du 24 novembre 2009 ;

Sur les conclusions dirigées contre l'article 31 du décret attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article 31 du décret attaqué : " Les personnes physiques et les agents des personnes morales concourant au service public pénitentiaire ne peuvent entretenir vis-à-vis des personnes placées ou ayant été placées par décision de justice sous l'autorité ou le contrôle de l'établissement dans lequel ils interviennent, ainsi qu'avec leurs parents ou amis, de relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités de leur mission. / Lorsqu'ils ont eu des relations avec ces personnes antérieurement à leur prise en charge par l'établissement dans lequel ils interviennent, ils doivent en informer le responsable de l'établissement " ; que l'association requérante soutient que ces dispositions autorisent, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une ingérence excessive dans les droits des personnes amenées à concourir au service public pénitentiaire au respect de leur vie privée et familiale ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1.Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

Considérant que l'interdiction, pour les personnes physiques et les agents des personnes morales concourant au service public pénitentiaire, d'entretenir avec les personnes détenues, leurs parents ou amis, des relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités de leur mission répond à des impératifs tenant à la sécurité à l'intérieur de l'établissement et à l'égalité de traitement entre les personnes détenues ainsi qu'à la nécessité de protéger les droits et libertés de la personne détenue, placée, lorsqu'elle est en détention, dans une situation de vulnérabilité vis-à-vis des personnes concourant au service public pénitentiaire ; que, dès lors, les dispositions attaquées n'ont pas apporté une ingérence excessive à l'exercice du droit au respect à la vie privée et familiale des personnes physiques et agents des personnes morales concourant au service public pénitentiaire ; qu'en revanche, en étendant cette interdiction aux personnes ayant été détenues et à leurs parents et amis, l'article 31 du décret attaqué instaure une interdiction générale, de caractère absolu et sans aucune limitation de durée, qui impose des sujétions excessives au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, l'article 31 du décret attaqué, dont les dispositions sont sur ce point divisibles du reste du décret, doit être annulé en ce qu'il étend le champ de l'interdiction définie par cet article aux personnes ayant été détenues dans l'établissement où les personnes soumises au code de déontologie du service public pénitentiaire interviennent ainsi qu'à leurs parents et amis ;

Sur les conclusions dirigées contre l'article 33 du décret attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article 33 du décret attaqué : " Les personnes physiques et les agents des personnes morales concourant au service public pénitentiaire s'abstiennent de toute entrave au fonctionnement régulier des établissements et services déconcentrés de l'administration pénitentiaire. / Ils se conforment aux consignes imposées par l'administration pour la sécurité des établissements et services et leur propre sécurité " ; que l'association requérante soutient que ces dispositions ne répondent pas aux exigences de précision et de sécurité juridique et portent atteinte aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes desquelles : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ", en ce qu'elles ont pour effet d'imposer aux personnels de santé intervenant en milieu carcéral de se conformer sans limite aux consignes imposées par l'administration pour la sécurité des établissements et services et leur propre sécurité ;

Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce qui est soutenu, la notion d' " entrave au fonctionnement régulier des établissements et services déconcentrés de l'administration pénitentiaire " est suffisamment précise et ne méconnaît pas le principe de sécurité juridique ;

Considérant, en second lieu, que l'administration pénitentiaire ne saurait donner aux personnes physiques et aux agents des personnes morales concourant au service public pénitentiaire de consignes méconnaissant les dispositions des articles 22, 45 et 52 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui disposent respectivement que l'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité, qu'elle respecte le secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de la consultation et que tout accouchement ou examen gynécologique doit se dérouler sans entraves et hors la présence du personnel pénitentiaire ; que, par suite, contrairement à ce qui est soutenu, le décret attaqué n'a pas pour effet d'imposer aux personnes physiques et aux agents des personnes morales concourant au service public pénitentiaire de se conformer sans aucune limite aux consignes imposées par l'administration pour la sécurité des établissements et services et leur propre sécurité ; qu'il ne saurait davantage être soutenu que les intervenants extérieurs exerçant au sein d'un établissement pénitentiaire seraient tenus de se soumettre à des injonctions susceptibles de faire naître une situation étant manifestement de nature à porter atteinte à la dignité des personnes détenues ; que l'association requérante n'est par suite pas fondée à demander l'annulation des dispositions de l'article 33 du décret attaqué ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Section française de l'observatoire international des prisons n'est fondée à demander l'annulation des dispositions contestées du décret portant code de déontologie du service public pénitentiaire qu'en tant seulement que l'article 31 de ce décret prévoit que l'interdiction pour les personnes concourant au service public pénitentiaire d'entretenir des relations autres que celles justifiées par les nécessités de leurs missions concerne également les personnes ayant été détenues, leurs parents ou amis ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la Section française de l'observatoire international des prisons, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 31 du décret attaqué est annulé en tant qu'il comporte, à sa première phrase, les mots " ou ayant été placées ".

Article 2 : L'Etat versera à la Section française de l'observatoire international des prisons une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la Section française de l'observatoire international des prisons est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'observatoire international des prisons, à la garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 347148
Date de la décision : 11/07/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE (ART - 8) - VIOLATION - INTERDICTION FAITE AUX AGENTS COLLABORATEURS DU SERVICE PUBLIC PÉNITENTIAIRE D'ENTRETENIR DES RELATIONS AVEC LES ANCIENS DÉTENUS ET LEURS PROCHES (ART - 31 DU DÉCRET DU 30 DÉCEMBRE 2010).

26-055-01-08-02 L'interdiction faite aux personnes physiques et aux agents des personnes morales concourant au service public pénitentiaire d'entretenir avec les personnes détenues, leurs parents et leurs amis, des relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités de leur mission répond à des impératifs tenant à la sécurité, à l'égalité de traitement entre détenus et à la nécessité de protéger les droits de ces derniers. En revanche, l'extension de cette interdiction, par l'article 31 du décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire, aux personnes ayant été détenues et à leurs parents et amis instaure une interdiction générale, de caractère absolu et sans limitation de durée, qui impose des sujétions excessives au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - EXÉCUTION DES JUGEMENTS - EXÉCUTION DES PEINES - SERVICE PUBLIC PÉNITENTIAIRE - INTERDICTION FAITE AUX AGENTS COLLABORATEURS DU SERVICE PUBLIC PÉNITENTIAIRE D'ENTRETENIR DES RELATIONS AVEC LES ANCIENS DÉTENUS ET LEURS PROCHES - ATTEINTE EXCESSIVE AU DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE - EXISTENCE.

37-05-02-01 L'interdiction faite aux personnes physiques et aux agents des personnes morales concourant au service public pénitentiaire d'entretenir avec les personnes détenues, leurs parents et leurs amis, des relations qui ne seraient pas justifiées par les nécessités de leur mission répond à des impératifs tenant à la sécurité, à l'égalité de traitement entre détenus et à la nécessité de protéger les droits de ces derniers. En revanche, l'extension de cette interdiction, par l'article 31 du décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire, aux personnes ayant été détenues et à leurs parents et amis instaure une interdiction générale, de caractère absolu et sans limitation de durée, qui impose des sujétions excessives au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2012, n° 347148
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Bernard Stirn
Rapporteur ?: Mme Sophie Roussel
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:347148.20120711
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