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17/07/2012 | FRANCE | N°357575

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 17 juillet 2012, 357575


Vu les deux mémoires, enregistrés le 13 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Annie B, demeurant ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; Mme B demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'article 2 de l'arrêt n°10PA01518 du 1er février 2012 de la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0602486 du 21 janvier 2010 du tribunal administratif de Paris, de renvoyer au Conseil constitutionnel la

question de la conformité aux droits et libertés garantis par...

Vu les deux mémoires, enregistrés le 13 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Annie B, demeurant ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; Mme B demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'article 2 de l'arrêt n°10PA01518 du 1er février 2012 de la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0602486 du 21 janvier 2010 du tribunal administratif de Paris, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une part de l'article 19 de la loi du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 et d'autre part des articles 1600-0 C, 1600-0 F bis, 1600-0 G du code général des impôts et L. 136-6 du code de la sécurité sociale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu les articles 1600-0 C, 1600-0 F bis et 1600-0 G du code général des impôts ;

Vu l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 90-1168 du 30 décembre 1990 ;

Vu la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997 ;

Vu la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 ;

Vu l'article 19 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 ;

Vu les décisions n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 et n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 du Conseil constitutionnel ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Maxime Boutron, Auditeur,

- les observations de la SCP Defrenois, Levis avocat de Mme B,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Defrenois, Levis avocat de Mme B ;

1. Considérant que, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt du 1er février 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a pris acte des dégrèvements prononcés par l'administration fiscale et rejeté le surplus des conclusions de sa requête tendant à ce qu'elle soit déchargée des cotisations d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2002, Mme B demande au Conseil d'Etat, par deux mémoires intitulés " question prioritaire de constitutionnalité ", de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, de l'article 19 de la loi du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 et, d'autre part, des articles 1600-0 C, 1600-0 F bis et 1600-0 G du code général des impôts ainsi que de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ;

Sur la question relative à l'article 19 de la loi du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 :

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 19 de la loi du 30 décembre 2004 : " I. - Le 1 bis de l'article 167 et l'article 167 bis du code général des impôts sont abrogés. / II. - Les dispositions du I sont applicables aux contribuables qui transfèrent leur domicile hors de France à compter du 1er janvier 2005. " ; que l'article 167 bis prévoyait l'imposition immédiate, en cas de transfert de domicile fiscal hors de France, des plus-values constatées sur les valeurs mobilières que détient le contribuable lorsque l'ensemble des droits détenus par sa famille et lui-même dans les bénéfices d'une société a dépassé 25% au cours des cinq années précédentes ; que le Conseil constitutionnel a, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, déclaré conforme à la Constitution l'article 24 de la loi du 30 décembre 1998 de finances pour 1999, qui a inséré l'article 167 bis dans le code général des impôts ;

4. Considérant, en premier lieu, que Mme B soutient qu'en limitant les effets de l'abrogation des dispositions de l'article 167 bis du code général des impôts aux contribuables qui transfèrent leur domicile hors de France à compter du 1er janvier 2005, l'article 19 de la loi du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 a institué une différence de traitement injustifiée entre les contribuables selon la date du transfert de leur domicile à l'étranger et ainsi méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

5. Considérant cependant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; que la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n'est pas, en elle-même, contraire au principe d'égalité devant les charges publiques ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que Mme B soutient qu'en limitant les effets de l'abrogation des dispositions de l'article 167 bis du code général des impôts aux contribuables qui transfèrent leur domicile hors de France à compter du 1er janvier 2005, l'article 19 de la loi du 30 décembre 2004 a méconnu le principe, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel le législateur doit assurer le respect de la Constitution ;

7. Considérant qu'en soulevant à l'appui de cette argumentation la méconnaissance de la liberté d'aller et venir et du principe d'égalité devant les charges publiques, Mme B entend se prévaloir de l'inconstitutionnalité de l'article 167 bis du code général des impôts, dont l'article 19 a maintenu les effets pour les contribuables qui ont transféré leur domicile hors de France avant 2005 ; qu'en tant qu'elle est ainsi dirigée contre l'article 167 bis qui, ainsi qu'il a été dit au point 3 de la présente décision, a été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 du Conseil constitutionnel, la contestation de la requérante ne peut être utilement invoquée pour demander que ce dernier soit saisi du texte qui en définit les modalités d'abrogation ;

8. Considérant, en troisième lieu, que la requérante soutient que ce même article 167 bis, en ayant pour objet d'empêcher l'évasion fiscale, reposait sur une présomption d'évasion fiscale et que, par suite, en s'abstenant de le supprimer pour les contribuables ayant transféré leur domicile fiscal hors de France avant le 1er janvier 2005, le législateur a méconnu le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que, toutefois, ce moyen est inopérant dès lors que les dispositions de l'article 167 bis du code général des impôts n'instituaient ni une incrimination, ni une peine, ni une sanction ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 19 de la loi du 30 décembre 2004 de finances pour 2005, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que cet article porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur la question relative aux articles 1600-0 C du code général des impôts et L. 136-6 du code de la sécurité sociale :

10. Considérant que l'article 1600-0 C du code général des impôts concernant la contribution sociale généralisée, qui reprend les dispositions de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, est issu de l'article 132 de la loi du 30 décembre 1990 de finances pour 1991 ; que si dans les motifs de sa décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, le Conseil constitutionnel a écarté l'ensemble des moyens d'inconstitutionnalité soulevés contre cet article par les auteurs des deux saisines, il ne l'a pas déclaré conforme dans le dispositif de sa décision, qui ne mentionne que les articles déclarés contraires à la Constitution ; que, par suite, il y a lieu d'examiner ces dispositions ; qu'il appartient en pareil cas au Conseil d'Etat, pour déterminer si la question présente un caractère sérieux au sens de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de tenir compte, le cas échéant, des motifs par lesquels le Conseil constitutionnel avait écarté les moyens d'inconstitutionnalité soulevés devant lui ;

11. Considérant qu'en vertu des articles L. 136-6 du code de la sécurité sociale et 1600-0 C du code général des impôts, les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu des plus-values mentionnées aux articles 150 A et 150 A bis du code général des impôts et des plus-values, gains en capital et profits réalisés sur les marchés à terme d'instruments financiers et de marchandises, ainsi que sur les marchés d'options négociables, soumis à l'impôt sur le revenu à un taux proportionnel ;

12. Considérant d'une part, qu'en fixant les règles d'assiette et de recouvrement de la contribution sociale généralisée, les articles précités ne prévoient pas, par eux-mêmes, l'imposition immédiate des plus-values latentes constatées dans les conditions prévues par l'article 167 bis du code général des impôts, lequel, ainsi qu'il a été dit au point 8, n'instituait ni une incrimination, ni une peine, ni une sanction ; qu'ainsi, en tout état de cause, ces articles ne portent pas atteinte à la liberté d'aller et venir garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au principe de présomption d'innocence garanti par son article 9 ;

13. Considérant, d'autre part, que le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 90-285 DC mentionnée ci-dessus, écarté le moyen tiré de la méconnaissance par ces dispositions du principe d'égalité devant les charges publiques ; que, par suite, ce moyen ne peut être regardé comme sérieux ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 1600-0 C du code général des impôts et L. 136-6 du code de la sécurité sociale, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce qu'ils portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur la question relative à l'article 1600-0 F bis du code général des impôts :

15. Considérant que cet article, qui concerne le prélèvement social sur les revenus du patrimoine, est issu de l'article 9 de la loi du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998 ; qu'il a été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 ;

16. Considérant, il est vrai, que la requérante soutient que l'introduction, par l'article 24 de la loi du 30 décembre 1998 de finances pour 1999, du nouvel article 167 bis du code général des impôts a entrainé un changement dans les circonstances de droit justifiant que la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution soit renvoyée au Conseil constitutionnel ;

17. Mais considérant que, si l'article 167 bis avait pour effet de créer un fait générateur anticipé de l'imposition des plus-values constatées, résultant du transfert de domicile hors de France, il n'a pas eu pour effet de modifier le régime du prélèvement défini par l'article 1600-0 F bis du code général des impôts et ne constitue pas un changement dans les circonstances de droit ou de fait de nature à justifier que la conformité de cet article aux droits et libertés garantis par la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel ; qu'ainsi, les dispositions combinées des articles 23-2 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 font obstacle à ce que la question prioritaire de constitutionnalité soit renvoyée au Conseil constitutionnel ;

Sur la question relative à l'article 1600-0 G du code général des impôts :

18. Considérant qu'aux termes de cet article, dans sa rédaction applicable à l'année 2002 : " I. Les personnes physiques désignées à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale sont assujetties à une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine définis au I de l'article L. 136-6 du même code. / Cette contribution est établie chaque année, sous réserve des revenus des placements visés aux 3 et 4 du I de l'article 1600-0 J autres que les contrats en unités de comptes, sur les revenus de l'année précédente (...) / Elle est établie, recouvrée et contrôlée dans les conditions et selon les modalités prévues au III de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, à l'exception du troisième alinéa. / Pour la détermination de l'assiette de la contribution, il n'est pas fait application des abattements mentionnés au I de l'article 125-0 A et au 3 et au 4 bis de l'article 158. / II. La contribution est mise en recouvrement et exigible en même temps, le cas échéant, que la contribution sociale instituée par l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale (...) " ;

19. Considérant qu'en fixant les règles d'assiette et de recouvrement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, l'article 1600-0 G ne prévoit pas, par lui-même l'imposition immédiate des plus-values latentes constatées dans les conditions prévues par l'article 167 bis du code général des impôts ; qu'ainsi cet article ne saurait, en tout état de cause, être regardé comme portant atteinte à la liberté d'aller et venir, au principe d'égalité devant les charges publiques et au principe de présomption d'innocence ;

20. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1600-0 G du code général des impôts, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce qu'il porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par Mme B.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Annie B et au ministre de l'économie et des finances.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 357575
Date de la décision : 17/07/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 jui. 2012, n° 357575
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jacques Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: M. Maxime Boutron
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP DEFRENOIS, LEVIS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:357575.20120717
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