La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/07/2012 | FRANCE | N°341726

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 23 juillet 2012, 341726


Vu la requête, enregistrée le 20 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'Association Générale des Producteurs de Maïs (AGPM), dont le siège est 21, Chemin de Pau à Montardon (64121), représentée par son président en exercice ; l'association demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 avril 2010 du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, de la ministre de l'économie, de l'

industrie et de l'emploi, de la ministre de la santé et des sports et du mi...

Vu la requête, enregistrée le 20 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'Association Générale des Producteurs de Maïs (AGPM), dont le siège est 21, Chemin de Pau à Montardon (64121), représentée par son président en exercice ; l'association demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 avril 2010 du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, de la ministre de la santé et des sports et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, modifiant l'arrêté du 13 janvier 2009 relatif aux conditions d'enrobage et d'utilisation des semences traitées par des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du code rural en vue de limiter l'émission des poussières lors du procédé de traitement en usine, ainsi que la décision du 20 mai 2010 par laquelle le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche a rejeté son recours gracieux contre cet arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 91/414/CEE du Conseil du 15 juillet 1991 ;

Vu le code rural ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Odinet, Auditeur,

- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de l'Association Générale des Producteurs de Maïs,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de l'Association Générale des Producteurs de Maïs ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 253-3 du code rural, dans sa rédaction alors en vigueur : " Dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, l'autorité administrative peut prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 ", soit les produits phytopharmaceutiques ; qu'aux termes de l'article R. 253-1 du même code : " L'autorité administrative mentionnée à l'article L. 253-3 est le ministre chargé de l'agriculture. / Toutefois, lorsque les mesures concernent l'utilisation et la détention de produits phytopharmaceutiques, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation. / Sauf urgence, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments est consultée sur les mesures mentionnées à l'article L. 253-3. Dans les cas d'urgence, elle est informée sans délai des dispositions arrêtées " ;

2. Considérant que, par l'arrêté attaqué du 13 avril 2010, modifiant l'arrêté interministériel du 13 janvier 2009 relatif aux conditions d'enrobage et d'utilisation des semences traitées par des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du code rural, les ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation ont prescrit, dans l'intérêt de la santé publique et de l'environnement, des mesures visant à encadrer les conditions dans lesquelles les semences de maïs enrobées avec un produit phytopharmaceutique peuvent être semées à l'aide d'un semoir monograine pneumatique à distribution par dépression ; que cet arrêté prévoit que ce type de semoir doit être équipé d'un déflecteur permettant de diriger le flux d'air de la turbine vers le sol à une hauteur au sol recommandée comprise entre 20 et 30 centimètres ; qu'il dispose en outre, d'une part, que les semences de maïs enrobées ne doivent être semées à l'aide de ce type de semoir que si le vent a une intensité inférieure ou égale au degré 3 sur l'échelle de Beaufort au niveau du sol et, d'autre part, que les opérations de manipulation et de chargement de ces semences dans les trémies des semoirs doivent être opérées selon des modalités qui réduisent les prises au vent, l'émission et l'entraînement des poussières ;

Sur le moyen tiré du défaut de consultation de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) :

3. Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ; que l'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'Afssa n'a pas été consultée sur l'arrêté attaqué, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 253-1 du code rural ; que, si la consultation prévue par ces dispositions ne constitue pas une garantie et si l'omission de cette consultation n'a pas eu pour effet d'affecter la compétence des auteurs de l'arrêté attaqué, il y a lieu de vérifier si, dans les circonstances de l'espèce, l'absence de consultation de l'Afssa a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise ;

5. Considérant, à cet égard, qu'il ressort des pièces du dossier que l'Afssa a recommandé au Gouvernement, dans son avis du 17 décembre 2008 rendu sur l'arrêté précité du 13 janvier 2009, de prévoir l'obligation d'équiper les semoirs monograines pneumatiques d'un déflecteur lorsqu'ils sont utilisés pour les semis de semences de maïs enrobées de produits phytopharmaceutiques, quel que soit le type de produit ; que, dans son avis du 5 mai 2009 rendu sur un projet d'arrêté relatif à la suspension d'utilisation et à l'interdiction de détention de semences de maïs traitées avec du thiaméthoxam, l'Afssa a relevé, d'une part, qu'une réduction significative de la diffusion des poussières, supérieure à 80 % selon les données expérimentales disponibles, avait été mise en évidence lorsque les semoirs monograines pneumatiques étaient équipés de déflecteurs et, d'autre part, que le respect de règles simples, telles que celle de ne pas semer lorsque les conditions météorologiques sont défavorables, notamment par vent fort, permettait de limiter la dispersion des poussières à l'occasion des semis ; qu'elle a, dans cet avis, recommandé au Gouvernement de vérifier l'efficacité des dispositifs " antidérive de poussières " lorsque la vitesse du vent est comprise entre 20 et 30 km/h (soit 3 à 4-5 sur l'échelle de Beaufort) et d'imposer, le cas échéant, des précautions supplémentaires, notamment en interdisant les semis par vent fort ; que, par deux avis du 1er décembre 2009 relatifs aux résultats du plan de suivi de l'autorisation de mise sur le marché de la préparation Cruiser et à une demande d'autorisation de mise sur le marché de la préparation Cruiser 350, l'Afssa a demandé la mise en application de ses précédentes recommandations ; qu'ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'absence de consultation préalable de l'Afssa ait pu exercer une influence sur les dispositions de l'arrêté du 13 avril 2010 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté du 13 avril 2010 a été irrégulièrement pris faute de consultation préalable de l'Afssa doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 11 de la directive 91/414/CEE du Conseil du 15 juillet 1991 :

6. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 11 de la directive 91/414/CEE du Conseil du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques : " 1. Lorsqu'un Etat membre a des raisons valables de considérer qu'un produit qu'il a autorisé ou est tenu d'autoriser, conformément à l'article 10, présente un risque pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement, il peut en limiter ou en interdire, à titre provisoire, l'utilisation et/ou la vente sur son territoire. Il en informe immédiatement la Commission et les autres États membres et indique les motifs de sa décision (...) " ;

7. Considérant que l'arrêté attaqué prescrit, ainsi qu'il a été dit, des mesures encadrant les conditions dans lesquelles les semences de maïs enrobées avec un produit phytopharmaceutique peuvent être semées à l'aide d'un semoir monograine pneumatique dans le but notamment d'assurer la protection de la santé de leurs utilisateurs et de l'environnement ; que ses dispositions n'ont pas pour objet de limiter ou d'interdire la vente ou l'utilisation de produits phytopharmaceutiques ; que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 11 de la directive 91/414/CEE du Conseil du 15 juillet 1991 ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

Sur les autres moyens de la requête :

8. Considérant, en premier lieu, que, compte tenu des informations dont ils disposaient et des recommandations de l'Afssa, les ministres signataires de l'arrêté attaqué n'ont pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en prescrivant les mesures analysées ci-dessus afin d'encadrer, pour prévenir les risques en matière de santé publique et d'environnement, les conditions dans lesquelles les semences de maïs enrobées avec un produit phytopharmaceutique, qu'il soit fongicide ou insecticide, peuvent être semées à l'aide d'un semoir monograine pneumatique ; que, par ailleurs, si, comme le relève l'association requérante, le ministre chargé de l'agriculture a indiqué, dans sa lettre du 20 mai 2010 rejetant le recours gracieux de l'association requérante, que l'Afssa avait recommandé dans ses avis du 1er décembre 2009 l'extension à l'ensemble des préparations phytopharmaceutiques des mesures d'encadrement des semis de semences de maïs à l'aide d'un semoir monograine pneumatique à distribution par dépression alors que cette recommandation ne figurait que dans l'avis du 17 décembre 2008, cette seule erreur n'est pas de nature à établir que l'arrêté attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que l'arrêté attaqué a été pris, ainsi qu'il a été dit, dans l'intérêt de la santé publique et de l'environnement, sur le fondement de l'article L. 253-3 du code rural ; que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que les mesures de restriction imposées par cet arrêté seraient disproportionnées au regard des risques que présente l'usage des semences de maïs enrobées avec un produit phytopharmaceutique pour la santé publique et l'environnement ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les ministres signataires auraient fait une " application paralysante et inappropriée " du principe de précaution ne peut qu'être écarté ;

10. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le respect des contraintes imposées aux maïsiculteurs se heurterait à des obstacles particuliers, liés notamment à la difficulté de se procurer, à des prix raisonnables, les déflecteurs requis, ou à l'imprécision des prescriptions relatives aux semis réalisés en cas de vent, ni, en tout état de cause, que les mesures prescrites seraient manifestement inefficaces ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Association Générale des Producteurs de Maïs n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 13 avril 2010 et de la lettre du ministre chargé de l'agriculture du 20 mai 2010 ; qu'il suit de là que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'Association Générale des Producteurs de Maïs est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association Générale des Producteurs de Maïs, au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - PROCÉDURE CONSULTATIVE - CONSULTATION OBLIGATOIRE - JURISPRUDENCE DITE DANTHONY [RJ1] - APPLICATION AU CAS D'UNE OMISSION DE PROCÉDURE OBLIGATOIRE - DÉFAUT DE CONSULTATION DE L'AFSSA PRÉALABLEMENT À L'ÉDICTION D'UNE MESURE D'INTERDICTION - DE RESTRICTION OU DE PRESCRIPTION PARTICULIÈRE CONCERNANT LA MISE SUR LE MARCHÉ - LA DÉLIVRANCE - L'UTILISATION ET LA DÉTENTION D'UN PRODUIT PHYTOPHARMACEUTIQUE (ART - L - 253-3 ET R - 253-1 DU CODE RURAL) - 1) GARANTIE - ABSENCE - AFFECTATION DE LA COMPÉTENCE DE L'AUTEUR DE LA DÉCISION - ABSENCE - 2) INFLUENCE SUR LE SENS DE LA DÉCISION PRISE - ABSENCE - DANS LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE L'ESPÈCE.

01-03-02-02 Défaut de consultation de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) préalablement à l'édiction d'une mesure relevant de l'article L. 253-3 du code rural d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention d'un produit phytopharmaceutique, en méconnaissance de l'article R. 253-1 du même code.,,1) La consultation prévue par les dispositions de l'article R. 253-1 du code rural ne constitue pas une garantie et l'omission de cette consultation n'a pas eu pour effet d'affecter la compétence des auteurs de l'arrêté attaqué.,,2) Dans les circonstances particulières de l'espèce, faisant apparaître que l'Afssa avait précédemment émis de nombreuses recommandations allant dans le sens des mesures prises, son absence de consultation n'a pas eu d'incidence sur le sens de la décision prise.

AGRICULTURE ET FORÊTS - DÉFAUT DE CONSULTATION DE L'AFSSA PRÉALABLEMENT À L'ÉDICTION D'UNE MESURE D'INTERDICTION - DE RESTRICTION OU DE PRESCRIPTION PARTICULIÈRE CONCERNANT LA MISE SUR LE MARCHÉ - LA DÉLIVRANCE - L'UTILISATION ET LA DÉTENTION D'UN PRODUIT PHYTOPHARMACEUTIQUE (ART - L - 253-3 ET R - 253-1 DU CODE RURAL) - JURISPRUDENCE DITE DANTHONY [RJ1] - 1) GARANTIE - ABSENCE - AFFECTATION DE LA COMPÉTENCE DE L'AUTEUR DE LA DÉCISION - ABSENCE - 2) INFLUENCE SUR LE SENS DE LA DÉCISION PRISE - ABSENCE - DANS LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE L'ESPÈCE.

03-11 Défaut de consultation de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) préalablement à l'édiction d'une mesure relevant de l'article L. 253-3 du code rural d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention d'un produit phytopharmaceutique, en méconnaissance de l'article R. 253-1 du même code.,,1) La consultation prévue par les dispositions R. 253-1 du code rural ne constitue pas une garantie et l'omission de cette consultation n'a pas eu pour effet d'affecter la compétence des auteurs de l'arrêté attaqué.,,2) Dans les circonstances particulières de l'espèce, faisant apparaître que l'Afssa avait précédemment émis de nombreuses recommandations allant dans le sens des mesures prises, son absence de consultation n'a pas eu d'incidence sur le sens de la décision prise.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, à publier au Recueil.


Publications
Proposition de citation: CE, 23 jui. 2012, n° 341726
Mentionné aux tables du recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume Odinet
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON

Origine de la décision
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Date de la décision : 23/07/2012
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 341726
Numéro NOR : CETATEXT000026219174 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2012-07-23;341726 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award