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27/07/2012 | FRANCE | N°341350

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 27 juillet 2012, 341350


Vu le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, enregistré le 9 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA03978 du 21 mai 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement n° 0504574 du 16 mai 2008 par lequel le tribunal administratif de Melun a déchargé la société SAPEF de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice

clos le 30 septembre 2000 ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°)...

Vu le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, enregistré le 9 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA03978 du 21 mai 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement n° 0504574 du 16 mai 2008 par lequel le tribunal administratif de Melun a déchargé la société SAPEF de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2000 ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°) réglant l'affaire au fond, de remettre à la charge de la société les impositions et pénalités en litige ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société SAPEF, qui exploite un supermarché, a le 26 juin 2000 conclu avec les associés de la société Brousse EMB Services, qui exerce également une activité de distribution, une promesse synallagmatique d'achat et de vente de l'intégralité des titres composant le capital de cette dernière société ; que le prix stipulé pour cette cession, qui était conditionnée à la réalisation de différentes conditions suspensives, dont notamment la distribution d'un dividende par la société Brousse EMB Services, était de 6 500 000 francs ; que la cession des titres est intervenue le 19 septembre 2000 ; que la société Brousse EMB Services a, le 29 septembre 2000, distribué un dividende d'un montant de 1 950 000 francs, assorti d'un avoir fiscal de 975 000 francs ; que la société SAPEF a, le 30 septembre 2000, cédé les titres de la société Brousse EMB Services à une société en cours d'immatriculation, dénommée OBDP Finance et gestion, pour un prix de 4 600 000 francs ; que cette dernière société n'était pas susceptible de pouvoir utiliser ledit avoir fiscal, faute d'être soumise à l'impôt sur les sociétés au titre de l'année de sa création ; que l'opération s'est ainsi traduite par un profit net de 50 000 francs pour la société SAPEF, égal à la différence entre le dividende encaissé et la moins-value de cession des titres, auquel s'est ajouté le gain retiré de l'imputation de l'avoir fiscal, à concurrence de 520 000 francs pour l'exercice 2000, sur l'impôt dû au titre de ses autres activités par la société ; que l'administration fiscale a procédé au redressement de la société SAPEF sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, en mettant en cause l'imputation par cette dernière de l'avoir fiscal sur l'impôt ayant frappé ses résultats de l'exercice 2000 ; que le tribunal administratif de Paris l'a, par jugement du 16 mai 2008, déchargée de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés résultant de ce redressement et des pénalités correspondantes ; que le ministre, faisant appel de ce jugement, a demandé à la cour administrative d'appel de Paris de maintenir ces impositions supplémentaires, par substitution du fondement juridique de la fraude à la loi à celui de l'abus de droit ; qu'il se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 mai 2010 par lequel la cour a refusé de faire droit à cette demande ;

2. Considérant qu'aux termes du I de l'article 158 bis du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur lors des années d'imposition en litige : " Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué : a. par les sommes qu'elles reçoivent de la société ; b. par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. Ce crédit d'impôt est égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société. Il ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. Il est reçu en paiement de cet impôt. Il est restitué aux personnes physiques dans la mesure où son montant excède celui de l'impôt dont elles sont redevables " ; qu'aux termes de l'article 209 bis du même code dans sa rédaction en vigueur lors de ces mêmes années : " Les dispositions des articles 158 bis et 158 ter sont applicables aux personnes morales ayant leur siège social en France, dans la mesure où le revenu distribué est compris dans la base de l'impôt sur les sociétés dû par le bénéficiaire. Le crédit d'impôt est reçu en paiement de cet impôt. Il n'est pas restituable " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'avoir fiscal constitue un revenu entrant dans la base imposable du bénéficiaire, ainsi qu'un moyen de paiement de l'impôt ; qu'il ressort de l'ensemble des travaux préparatoires de l'article 1er de la loi du 12 juillet 1965 créant l'avoir fiscal, alors codifié à l'article 158 bis du code général des impôts, que le législateur a eu comme objectifs de favoriser l'actionnariat des entreprises ainsi que le développement de la place financière de Paris et d'éliminer à cet effet la double imposition qui frappait les dividendes ; qu'eu égard à l'objet de la loi, l'actionnaire, imposable à raison des dividendes qu'il perçoit, est en droit de prétendre à l'avoir fiscal qui leur est attaché sous peine de soumettre ces dividendes à une double imposition ; que le droit à l'avoir fiscal n'est nullement subordonné à une durée minimum de détention des titres avant ou après la mise en paiement des dividendes auxquels il est attaché ; que s'agissant des personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, l'avoir fiscal, s'il constitue aussi un élément du bénéfice de l'actionnaire, est essentiellement, aux termes mêmes des articles 158 bis et 209 bis du code général des impôts, un moyen de paiement de l'impôt dû par ce dernier au titre de ses résultats d'ensemble d'une année donnée ; que ces articles excluent ainsi qu'il puisse être restitué par l'administration, en particulier dans l'hypothèse où l'avoir fiscal excède l'impôt dû ainsi qu'en présence de résultats déficitaires ; que, par suite, dès lors qu'une société a effectivement la qualité d'actionnaire, les dividendes qu'elle perçoit à raison des titres qu'elle détient ouvrent droit à son profit au bénéfice de l'avoir fiscal qui y est attaché ;

3. Considérant, toutefois, que si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que ce principe s'applique également en matière fiscale, dès lors que le litige n'entre pas dans le champ d'application des dispositions particulières de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales qui, lorsqu'elles sont applicables, font obligation à l'administration fiscale de suivre la procédure qu'elles prévoient ; qu'ainsi, hors du champ de ces dispositions, le service, qui peut toujours écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'il établit que ces actes ont un caractère fictif, peut également se fonder sur le principe susrappelé pour écarter les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;

4. Considérant que le ministre soutient que la cour aurait entaché son arrêt d'erreur de qualification juridique des faits, en ne relevant pas que le montage mis en oeuvre par les sociétés SAPEF, Brousse EMB Services et OBDP Finance et gestion, avait revêtu un caractère artificiel, dans la mesure où la conclusion d'une convention de portage qui a permis à la société SAPEF de ne pas supporter les risques liés à la qualité d'actionnaire, traduisant ainsi son absence de volonté de s'associer, était démontrée par l'aveu même de la société SAPEF dans ses écritures devant cette même cour ;

5. Considérant toutefois qu'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'une telle convention, garantissant à la société SAPEF qu'elle pourrait céder à la société OBDP Finance et gestion à un prix convenu à l'avance des titres de la société Brousse EMB Services et l'exonérant ainsi de l'ensemble des risques liés à la condition d'associée de cette dernière société aurait existé en l'espèce ; qu'ainsi, c'est sans erreur de qualification juridique que la cour, qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier, a pu juger que le ministre n'établissait pas que les opérations litigieuses auraient procédé de la recherche par la société SAPEF du bénéfice d'une application littérale des dispositions relatives à l'avoir fiscal précitées ; que, par suite, le pourvoi du ministre ne peut qu'être rejeté ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances et à la société SAPEF.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 341350
Date de la décision : 27/07/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 jui. 2012, n° 341350
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jean-Pierre Jouguelet
Rapporteur ?: Mme Cécile Isidoro
Rapporteur public ?: Mme Claire Legras

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:341350.20120727
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