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27/07/2012 | FRANCE | N°349972

France | France, Conseil d'État, 4ème sous-section jugeant seule, 27 juillet 2012, 349972


Vu le pourvoi, enregistré le 7 juin 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS ; le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11/00003 du 11 avril 2011 par lequel la cour régionale des pensions de Douai a confirmé le jugement du 13 décembre 2010 du tribunal départemental des pensions du Nord accordant à Mme Lucette A, la revalorisation de la pension militaire d'invalidité dont était titulaire M. Marcel A, calculée initialement au taux d

u grade d'adjudant-chef de l'armée de terre, en fonction de l'indice...

Vu le pourvoi, enregistré le 7 juin 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS ; le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11/00003 du 11 avril 2011 par lequel la cour régionale des pensions de Douai a confirmé le jugement du 13 décembre 2010 du tribunal départemental des pensions du Nord accordant à Mme Lucette A, la revalorisation de la pension militaire d'invalidité dont était titulaire M. Marcel A, calculée initialement au taux du grade d'adjudant-chef de l'armée de terre, en fonction de l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le décret n° 56-913 du 5 septembre 1956 ;

Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;

Vu le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Eoche-Duval, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de Mme A,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de Mme A ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, alors en vigueur : " Les pensions militaires prévues par le présent code sont liquidées et concédées, sous réserve de la confirmation ou modification prévues à l'alinéa ci-après, par le ministre des anciens combattants et des victimes de guerre ou par les fonctionnaires qu'il délègue à cet effet (...). / Les concessions ainsi établies sont confirmées ou modifiées par un arrêté conjoint du ministre des anciens combattants et victimes de guerre et du ministre de l'économie et des finances. La concession ne devient définitive qu'après l'intervention dudit arrêté. / (...) / Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables aux militaires et marins de carrière (...), pour lesquels la pension est liquidée (...) par le ministre d'Etat chargé de la défense nationale (...), la constatation de leurs droits incombant au ministre des anciens combattants et victimes de la guerre. Ces pensions sont concédées par arrêté signé du ministre de l'économie et des finances. " ; que, d'une part, en vertu de l'article 5 du décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions, dans sa rédaction alors en vigueur, l'intéressé dispose d'un délai de six mois pour contester, devant le tribunal départemental des pensions, les décisions prises en vertu du premier ou du deuxième alinéa de l'article L. 24 précité ainsi que la décision prise en vertu du deuxième alinéa du même article, sauf si celle-ci a simplement confirmé la décision primitive prise en vertu du premier alinéa ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 78 du même code : " Les pensions définitives ou temporaires attribuées au titre du présent code peuvent être révisées dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'une erreur matérielle de liquidation a été commise. / 2° Lorsque les énonciations des actes ou des pièces sur le vu desquels l'arrêté de concession a été rendu sont reconnues inexactes soit en ce qui concerne le grade, le décès ou le genre de mort, soit en ce qui concerne l'état des services, soit en ce qui concerne l'état civil ou la situation de famille, soit en ce qui concerne le droit au bénéfice d'un statut légal générateur de droits. / Dans tous les cas, la révision a lieu sans condition de délai (...) " ;

Considérant que le décalage défavorable entre l'indice de la pension servie à un ancien sous-officier de l'armée de terre, de l'armée de l'air ou de la gendarmerie et l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale, lequel ne résulte ni d'une erreur matérielle dans la liquidation de la pension, ni d'une inexactitude entachant les informations relatives à la personne du pensionné, notamment quant au grade qu'il détenait ou au statut générateur de droit auquel il pouvait légalement prétendre, ne figure pas au nombre des cas permettant la révision, sans condition de délai, d'une pension militaire d'invalidité ; qu'ainsi, la demande présentée par le titulaire d'une pension militaire d'invalidité, concédée à titre temporaire ou définitif sur la base du grade que l'intéressé détenait dans l'armée de terre, l'armée de l'air ou la gendarmerie, tendant à la revalorisation de cette pension en fonction de l'indice afférent au grade équivalent dans la marine nationale, doit être formée dans le délai de six mois fixé par l'article 5 du décret du 20 février 1959 ; que, passé ce délai de six mois ouvert au pensionné pour contester l'arrêté lui concédant sa pension, l'intéressé ne peut demander sa révision que pour l'un des motifs limitativement énumérés aux 1° et 2° de l'article L. 78 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en écartant comme inopérante la fin de non-recevoir opposée par le commissaire du gouvernement, tirée de la forclusion de la demande de M. A tendant à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité, alors qu'eu égard au motif invoqué au soutien de cette demande, il lui incombait d'examiner si l'intéressé était recevable, compte tenu de la date et des conditions de la notification de l'arrêté lui ayant concédé sa pension, à solliciter la remise en cause de cette dernière, la cour régionale des pensions de Douai a commis une erreur de droit ;

Mais considérant, d'une part, qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 25 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " La notification des décisions prises en vertu de l'article L. 24, premier alinéa, du présent code, doit mentionner que le délai de recours contentieux court à partir de cette notification et que les décisions confirmatives à intervenir n'ouvrent pas de nouveau délai de recours " ; que, d'autre part, lorsque, postérieurement à la concession initiale de la pension, les bases de la liquidation viennent à être modifiées par une nouvelle décision, notamment par un arrêté portant, en application de l'article L. 29 du même code, révision de la pension pour aggravation d'une ou plusieurs des infirmités pensionnées, le délai de six mois imparti par l'article 5 du décret du 20 février 1959 pour contester les conditions de concession de la pension pour un motif autre que ceux limitativement énumérés à l'article L. 78 du même code, notamment en cas d'erreur de droit, n'est rouvert, à compter de la date à laquelle cette nouvelle décision est notifiée, que pour ceux des éléments de la liquidation ayant fait l'objet de la révision ; qu'ainsi, ce délai de recours contentieux court à compter du jour où la décision primitive, prise en application du premier alinéa de l'article L. 24 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, a été notifiée au pensionné dans les formes prévues à l'article L. 25 du même code ou, à défaut, à compter du jour où l'arrêté par lequel cette pension a été concédée à titre définitif, en application du deuxième alinéa du même article L. 24, a été régulièrement notifié à l'intéressé, c'est-à-dire, pour les notifications postérieures à l'entrée en vigueur du décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 dont est issu le dernier alinéa de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965, avec la mention des délais et voies de recours ; que, lorsque le délai de recours contentieux ouvert contre l'arrêté portant concession de la pension à titre définitif, par confirmation ou modification de la décision primitive, est expiré, la notification ultérieure d'un arrêté portant révision du taux de cette pension ne peut avoir pour effet de rouvrir ce délai en vue de contester l'application du barème indiciaire sur le fondement duquel avait déjà été initialement concédée la pension, par le moyen tiré du caractère discriminatoire de ce barème ; qu'il appartient à l'administration, lorsqu'elle oppose à l'intéressé la tardiveté de son recours, de justifier devant le juge de la date à laquelle elle a notifié la décision contestée et du respect des formes prescrites pour cette notification par les dispositions législatives et règlementaires en vigueur ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis à la cour régionale des pensions de Douai que la décision tenant lieu de concession primitive de la pension d'invalidité de M. A ait été notifiée à l'intéressé selon les formes prescrites par l'article L. 25 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; que l'administration n'a pas davantage justifié devant les juges du fond de la date du 14 mai 1980 à laquelle elle allègue avoir notifié à M. A l'arrêté du 15 avril 1980 portant concession à titre définitif de sa pension au taux de 45 %, ni de la date et de la régularité, au regard des prescriptions du dernier alinéa de l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 modifié, de la notification de l'arrêté du 5 mars 2007 par lequel elle a révisé cette pension en en portant le taux à 55 % ; qu'ainsi, en l'absence de déclenchement du délai de recours contentieux, M. A était recevable à présenter, par lettre du 1er octobre 2007, reçue le 5 octobre 2007, une demande tendant à la revalorisation de sa pension d'invalidité par alignement de son indice sur celui appliqué, à grade équivalent, aux sous-officiers de la marine nationale ; que la lettre du 28 novembre 2007, par laquelle l'administration a accusé réception de cette demande, constitutive d'un recours gracieux formé par M. A contre l'arrêté de concession de sa pension, et n'y a apporté qu'une réponse d'attente, n'a pas été de nature à interrompre ou suspendre le délai au terme duquel, en vertu de l'article 21 de la loi du 12 avril 2000, est née une décision implicite de rejet de ce recours gracieux ; que, par suite, M. A était recevable, le 20 décembre 2007, à saisir le tribunal départemental des pensions du Nord d'un recours devant être regardé comme tendant, d'une part, à contester le refus implicite ainsi opposé à sa demande de revalorisation de sa pension, d'autre part, à obtenir la réformation de l'arrêté lui ayant, en dernier lieu, concédé cette pension à titre définitif ; que ce motif, qui répond à une fin de non-recevoir invoquée devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif erroné en droit retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif sur ce point ;

Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée ; que ces modalités de mise en oeuvre du principe d'égalité sont applicables à l'édiction de normes régissant la situation des militaires qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps d'appartenance ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " La République française, reconnaissante envers les anciens combattants et victimes de la guerre qui ont assuré le salut de la patrie, s'incline devant eux et devant leurs familles. Elle proclame et détermine, conformément aux dispositions du présent code, le droit à réparation due : / 1° Aux militaires des armées de terre, de mer et de l'air, aux membres des forces françaises de l'intérieur, aux membres de la Résistance, aux déportés et internés politiques et aux réfractaires affectés d'infirmités résultant de la guerre (...) " ; que les dispositions du code prévoient l'octroi d'une pension militaire d'invalidité aux militaires, quel que soit leur corps d'appartenance, aux fins d'assurer une réparation des conséquences d'une infirmité résultant de blessures reçues par suite d'évènements de guerre ou d'accidents dont ils ont été victimes à l'occasion du service ou de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; que le décret du 5 septembre 1956 relatif à la détermination des indices des pensions et accessoires de pensions alloués aux invalides au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre a fixé les indices de la pension d'invalidité afférents aux grades des sous-officiers de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la gendarmerie à un niveau inférieur aux indices attachés aux grades équivalents dans la marine nationale ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS n'invoque pas de considérations d'intérêt général de nature à justifier que le montant de la pension militaire d'invalidité concédée diffère, à grades équivalents, selon les corps d'appartenance des bénéficiaires des pensions ; que, par suite, en estimant que le décret du 5 septembre 1956 était contraire, sur ce point, notamment au principe d'égalité, la cour régionale des pensions de Douai n'a pas commis d'erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que Mme A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Barthélémy-Matuchansky-Vexliard, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de ce dernier la somme de 2 000 euros à verser à cette société ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DE LA DEFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à la SCP Barthélémy-Matuchansky-Vexliard, avocat de Mme A, la somme de 2 000 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE et à Mme Lucette A.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 27 jui. 2012, n° 349972
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Marc Dandelot
Rapporteur ?: M. Christophe Eoche-Duval
Rapporteur public ?: Mme Gaëlle Dumortier
Avocat(s) : SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD

Origine de la décision
Formation : 4ème sous-section jugeant seule
Date de la décision : 27/07/2012
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 349972
Numéro NOR : CETATEXT000026230122 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2012-07-27;349972 ?
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