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05/09/2012 | FRANCE | N°361965

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 05 septembre 2012, 361965


Vu la requête, enregistrée le 16 août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Therabel Lucien Pharma, dont le siège est 19, rue Alphonse de Neuville à Paris (75017), représentée par son représentant légal en exercice ; la société demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 10 juillet 2012 du ministre des affaires sociales et de la santé et du ministre délégué auprès du ministre de l'Ã

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Vu la requête, enregistrée le 16 août 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Therabel Lucien Pharma, dont le siège est 19, rue Alphonse de Neuville à Paris (75017), représentée par son représentant légal en exercice ; la société demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 10 juillet 2012 du ministre des affaires sociales et de la santé et du ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget, portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, ainsi que de l'arrêté du 10 juillet 2012 des mêmes ministres portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste de médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, en tant qu'ils concernent la spécialité Derinox ;

2°) d'enjoindre au ministre chargé de la santé de publier la décision du Conseil d'Etat au Journal officiel et sur le site internet de son ministère ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- les arrêtés litigieux préjudicient de manière suffisamment grave et immédiate à ses intérêts financiers et économiques pour que la condition d'urgence soit considérée comme remplie ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de ces arrêtés contestés ;

- ils ont été signés par des autorités ne détenant pas de délégations régulièrement publiées ;

- ils sont entachés d'une insuffisance de motivation ;

- les dispositions de l'article R. 161-85 du code de la sécurité sociale et le principe d'impartialité ont été méconnus ;

- en raison du défaut d'analyse d'ensemble des spécialités ayant les mêmes indications thérapeutiques, les arrêtés litigieux ont été pris à l'issue d'une procédure irrégulière ;

- il existe une contradiction entre les effets des arrêtés et les objectifs poursuivis par la procédure de radiation ;

- les arrêtés litigieux sont entachés d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale ;

- l'administration a commis une erreur manifeste dans l'appréciation du service médical rendu ;

Vu les arrêtés dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de ces arrêtés ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 août 2012, présenté par le ministre des affaires sociales et de la santé qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que :

- l'arrêté du 10 juillet 2012 portant radiation de spécialités pharmaceutiques de la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de santé publique ne concerne pas la spécialité Derinox ;

- la condition d'urgence n'est pas remplie ;

- il n'existe pas de doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le décret n° 2012-745 du 9 mai 2012 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Therabel Lucien Pharma et, d'autre part, le ministre des affaires sociales et de la santé ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 4 septembre 2012 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

Me Sevaux, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Therabel Lucien Pharma ;

- les représentants de la société Therabel Lucien Pharma ;

- les représentants du ministre des affaires sociales et de la santé ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'en vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les médicaments dispensés en officine ne peuvent être pris en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie que s'ils figurent sur une liste établie dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; que les dispositions de l'article R. 163-3 et du I de l'article R. 163-7 du même code prévoient leur radiation de cette liste, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé pris après avis de la commission de la Haute autorité de santé prévue à l'article R. 163-15 de ce code, dite " commission de la transparence ", lorsque leur service médical rendu est insuffisant ;

3. Considérant que, par arrêté du 10 juillet 2012, les ministres chargés de la santé et du budget ont radié la spécialité Derinox, solution pour pulvérisation nasale associant un vasoconstricteur à un corticoïde, de la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, au motif que le service médical rendu par cette spécialité était insuffisant ; que la requête de la société Therabel Lucien Pharma, qui commercialise cette spécialité, doit être regardée comme portant sur ce seul arrêté, l'autre arrêté du même jour qu'elle mentionne dans sa requête ne concernant pas le Derinox ;

Sur les conclusions à fin de suspension :

4. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et des précisions apportées lors de l'audience que les ventes de ce médicament représentent une part significative du chiffre d'affaires total de la société Therabel Lucien Pharma, laquelle est en situation déficitaire depuis 2010 ; que, dans la mesure où d'autres spécialités à base de vasoconstricteur demeurent inscrites sur la liste des médicaments remboursables, et alors même qu'elles ne sont pas strictement comparables, la radiation du Derinox est susceptible de se traduire par un report de prescription vers ces autres spécialités et, en conséquence, par une diminution du chiffre d'affaires de la société de nature à aggraver ses difficultés financières ; qu'il apparaît ainsi que la mesure litigieuse porte atteinte de façon suffisamment grave et immédiate à la situation de la requérante pour que la condition d'urgence soit regardée comme remplie ;

5. Considérant, en second lieu, que les avis de la commission de la transparence doivent être rendus dans le respect du principe d'impartialité ; que, outre le rappel de cette exigence à l'article R. 161-85 du code de la sécurité sociale, le dernier alinéa de l'article R. 163-17 du même code précisait, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2012, du décret du 9 mai 2012, que les membres de cette commission ne peuvent prendre part ni aux délibérations ni au vote s'ils ont un intérêt direct ou indirect à l'affaire examinée ; que, par l'effet du renvoi désormais opéré par cet alinéa aux dispositions de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, il est spécifié que, dans un tel cas, ils ne peuvent prendre part ni aux travaux, ni aux délibérations, ni aux votes de cette instance ;

6. Considérant qu'il ressort tant des pièces du dossier que des indications fournies à l'audience que, lors de la séance du 23 mai au cours de laquelle la commission de la transparence a procédé à l'audition des représentants de la société Therabel Lucien Pharma, en vue de réexaminer, à la demande de celle-ci, le service médical rendu de la spécialité en cause, un des membres de la commission, dont il est constant qu'il ne devait pas siéger en raison d'un conflit d'intérêt, était néanmoins présent et est intervenu dans les débats en posant une question aux représentants de la requérante ; que, dans la mesure où le respect du principe d'impartialité constitue une garantie pour les intéressés, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué est intervenu au vu d'un avis rendu en méconnaissance de ce principe doit être regardé comme propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté litigieux ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Therabel Lucien Pharma est fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 10 juillet 2012 en tant qu'il radie la spécialité Derinox de la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Considérant que la requérante demande également au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner la publication de la présente ordonnance au Journal officiel ainsi que sur le site internet du ministère en charge de la santé ;

9. Considérant qu'afin d'assurer dans les meilleurs délais l'effectivité de la mesure de suspension prononcée, à l'égard notamment des grossistes et des distributeurs qui ont à en tirer les conséquences, il y a lieu d'ordonner l'insertion, sur le site internet du ministère, d'une mention indiquant que l'exécution de l'arrêté du 10 juillet 2012 est suspendue en tant qu'il radie la spécialité Derinox de la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux ; qu'en revanche, l'exécution de la présente ordonnance ne nécessite pas sa publication au Journal officiel ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la société Therabel Lucien Pharma en application de ces dispositions ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de l'arrêté du 10 juillet 2012 est suspendue en tant qu'il radie la spécialité Derinox de la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux.

Article 2 : Il est enjoint à la ministre des affaires sociales et de la santé d'insérer sur le site internet du ministère une mention indiquant que l'exécution de l'arrêté du 10 juillet 2012 est suspendue en tant qu'il radie la spécialité Derinox de la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux.

Article 3 : L'Etat versera à la société Therabel Lucien Pharma une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Therabel Lucien Pharma et à la ministre des affaires sociales et de la santé.

Copie en sera adressée à la Haute autorité de santé.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 361965
Date de la décision : 05/09/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 sep. 2012, n° 361965
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jacques Arrighi de Casanova
Avocat(s) : SCP ROGER, SEVAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:361965.20120905
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