La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/08/2014 | FRANCE | N°382755

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 26 août 2014, 382755


Vu la requête enregistrée le 18 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association " centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles ", représentée par MmeA..., demeurant... ; l'association requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution, d'une part, du décret n° 2014-362 du 20 mars 2014 relatif à la labellisation des centres d'éducation des chiens d'assistance et des centres d'éducation d

es chiens-guides d'aveugles et à la création d'un certificat national et,...

Vu la requête enregistrée le 18 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association " centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles ", représentée par MmeA..., demeurant... ; l'association requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution, d'une part, du décret n° 2014-362 du 20 mars 2014 relatif à la labellisation des centres d'éducation des chiens d'assistance et des centres d'éducation des chiens-guides d'aveugles et à la création d'un certificat national et, d'autre part, de l'arrêté conjoint de la ministre des affaires sociales et de la santé et du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt du 20 mars 2014 relatif aux critères techniques de labellisation des centres d'éducation des chiens d'assistance et des centres d'éducation des chiens-guides d'aveugles et à la création d'un certificat national ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la modification des critères de labellisation des centres d'éducation des chiens-guides d'aveugles par les mesures contestées a pour conséquence d'empêcher les structures associatives qui ne correspondent pas aux critères prévus, et plus précisément celles qui ne disposent pas de chenil, de proposer un autre mode d'éducation des chiens-guides d'aveugles et de pouvoir s'adapter à cette nouvelle réglementation, ceci notamment en raison de l'absence de mesures transitoires ;

- le droit pour les personnes handicapées ou aveugles de se faire assister par des animaux éduqués constitue une liberté fondamentale à laquelle les actes contestés portent atteinte ;

- les mesures litigieuses portent atteinte au droit des personnes handicapées de choisir le mode d'éducation de leur chien, en chenil ou non ;

- le pouvoir réglementaire a entaché les actes contestés d'incompétence négative en ne prévoyant pas dans l'arrêté litigieux les mesures nécessaires à une prise en compte globale de la question de l'accessibilité ;

- les mesures litigieuses ont été prises dans des domaines qui relèvent du domaine de la loi et non du domaine réglementaire ;

- la procédure de consultation du conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a été suivie en méconnaissance de l'article L. 146-1 du code de l'action sociale et des familles et de l'article 9 du décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif ;

- les actes contestés sont illégaux dès lors qu'ils ne prévoient pas de mesures transitoires d'application pour la création de chenils par les centres d'éducation qui en sont dépourvus ;

- ces actes portent atteinte à la dignité des personnes handicapées ;

- la non-délivrance d'un " certificat national d'identification du chien éduqué " aux chiens éduqués dans des centres non labellisés car ne pratiquant pas l'élevage en chenil constitue une violation du principe d'égalité ;

- les nouveaux critères de labellisation portent directement atteinte au droit des associations à s'organiser librement et de manière plus générale à leur liberté d'association ;

- l'arrêté du 20 mars 2014 méconnaît l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;

- les conditions de remise d'un chien-guide d'aveugles à une personne handicapée visuelle prévues par l'arrêté contesté sont en contradiction avec les dispositions de la loi du 30 juillet 1987 portant diverses mesures d'ordre social ;

- l'impossibilité pour les personnes handicapées de choisir le mode d'éducation de leur chien pour bénéficier d'un chien " labellisé " et la restriction de la liberté de choisir leur chien aux seuls malvoyants et handicapés moteurs portent atteinte au droit de toute personne de circuler librement dans l'Union européenne garanti à l'article 3 du traité sur l'Union européenne et à l'article 88 de la loi du 30 juillet 1987 ;

- le décret contesté porte atteinte au principe de libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union garanti par l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- les actes contestés méconnaissent le droit au respect du secret médical ;

- ces actes méconnaissent le droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- la ministre des affaires sociales et de la santé a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'adoption des critères techniques prévus dans l'arrêté litigieux ;

Vu le décret et l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de ce décret et de cet arrêté ;

Vu le courrier du 8 août 2014 par lequel le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt déclare s'associer aux moyens et conclusions développés par la ministre des affaires sociales et de la santé ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 août 2014, présenté par la ministre des affaires sociales et de la santé, qui conclut au rejet de la requête ;

elle soutient que :

- le centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles n'a pas d'intérêt à agir contre les dispositions contestées relatives aux centres d'éducation de chiens d'assistance ;

- la condition d'urgence n'est pas remplie en ce que l'association requérante se méprend sur l'objet et sur la portée des dispositions litigieuses qui n'ont modifié que de façon très limitée les dispositions en vigueur à la date de leur édiction, qui n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner la libre circulation dans les espaces publics des chiens guides d'aveugles à la délivrance d'un certificat national et qui ne portent en aucun cas atteinte aux intérêts des personnes handicapées ou aux intérêts de l'association requérante ;

- aucun des moyens soulevés n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées ;

Vu les pièces du dossier desquels il ressort que la requête a été communiquée au Premier ministre ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 18 août 2014, présenté par le centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 19 août 2014, présenté par la ministre des affaires sociales et de la santé, qui reprend ses conclusions précédentes ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles, d'autre part, le Premier ministre, la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 19 août 2014 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Haas, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles ;

- les représentantes du centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles ;

- les représentantes de la ministre des affaires sociales et de la santé ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au jeudi 21 août 2014 à 18 heures ;

Vu les observations complémentaires, enregistrées le 21 août 2014, présentées pour le centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ; il soutient en outre que le témoignage versé au débat fait état d'une nouvelle réglementation interne de la SNCF visant à contrôler non seulement la carte d'invalidité de la personne malvoyante mais également la carte de circulation du chien guide qui l'accompagne, et que cet élément justifie clairement de l'urgence à suspendre l'exécution des décisions contestées ;

Vu les observations complémentaires, enregistrées le 21 août 2014, présentées par la ministre des affaires sociales et de la santé, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que le témoignage d'un usager produit par l'association requérante ne suffit pas à établir la réalité d'un préjudice grave et immédiat à sa propre situation ou aux intérêts collectifs qu'elle défend ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu le code de justice administrative ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; qu'il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence ; que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, lorsque l'acte contesté préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce ;

2. Considérant que le décret contesté n'a apporté, en substance, que deux modifications aux dispositions réglementaires du chapitre V du titre IV du livre II du code de l'action sociale et des familles issues du décret n° 2005-1776 du 19 décembre 2005 ; que, d'une part, il a supprimé la procédure de consultation d'une commission préalablement à la délivrance d'un label aux centres d'éducation de chiens d'assistance et aux centres d'éducation de chiens guides d'aveugles ainsi que la commission créée en 2005 à cet effet, une suppression dont l'association requérante ne critique ni la légalité ni l'opportunité, et inséré dans ce même chapitre V un nouvel article D. 245-24-4 créant un certificat national ; que ce certificat national est destiné à être remis aux détenteurs de chiens pour justifier de l'éducation du chien par un centre labellisé et permettre l'accès aux transports, aux lieux ouverts au public ainsi qu'à ceux permettant une activité professionnelle, formatrice ou éducative ; que l'article D. 245-24-4 renvoie à un arrêté conjoint des ministres chargés des personnes handicapées et de l'agriculture la fixation d'un modèle de certificat national devant être délivré sous la responsabilité des centres labellisés ; que l'arrêté interministériel contesté n'a modifié les dispositions de même niveau jusque-là en vigueur et issues de l'arrêté du 2 août 2006 relatif, notamment, aux critères techniques de labellisation des centres d'éducation des chiens guides d'aveugles ou d'assistance qu'en tant, d'une part, qu'il ne comporte plus aucune disposition relative aux commissions supprimées par le décret du 20 mars 2014 et, d'autre part, qu'il fixe le modèle du certificat national créé par ce décret ;

3. Considérant que si l'association requérante demande la suspension et, dans un recours séparé, l'annulation de l'ensemble des dispositions du décret et de l'arrêté du 20 mars 2014, il résulte de ses écritures et des observations orales émises au cours de l'audience de référé qu'elle concentre ses critiques sur la création du certificat national en tant qu'il est prévu que ce certificat ne sera délivré qu'aux détenteurs de chiens éduqués dans des centres d'éducation labellisés, et non à ceux de chiens éduqués dans des centres d'éducation indépendants, alors pourtant que les chiens sont éduqués dans ces derniers centres par des éducateurs diplômés ayant reçu la même formation que ceux travaillant dans des centres labellisés et que les chiens éduqués dans les centres indépendants présentent les mêmes garanties de qualité d'éducation que ceux éduqués dans des centres labellisés ; que, en toute hypothèse, pour apprécier si la condition d'urgence est satisfaite, il convient de ne prendre en compte que les effets des modifications apportées par les actes contestés aux dispositions en vigueur jusque-là sur la situation de droit et de fait existant avant les modifications ;

4. Considérant qu'il ressort de l'instruction écrite et des débats au cours de l'audience publique que la création d'un certificat national a été conçue pour que les personnes handicapées puissent justifier de l'éducation de leurs chiens en vue de se prévaloir du droit, que leur reconnaît la loi - l'article L. 211-30 du code rural et de la pêche maritime issu de l'article 53 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 - à être accompagnées de leurs chiens, dispensés du port de la muselière, dans les transports, les lieux publics, les lieux ouverts au public ainsi que ceux permettant une activité professionnelle, formatrice ou éducative ; que, jusqu'à l'intervention des actes contestés, la preuve de l'éducation du chien ne pouvait être apportée que par la production d'une attestation délivrée par le centre d'éducation du chien, sous sa responsabilité ; que si les ministres défendeurs soutiennent que le pouvoir règlementaire, par la création d'un certificat national, a seulement entendu renforcer l'autorité de l'attestation, désormais dénommée " certificat national ", délivrée par les centres d'éducation labellisés sans pour autant priver les centres d'éducation non labellisés de délivrer leurs propres attestations et dénier toute valeur à ces attestations, l'association requérante fait valoir que la création d'un certificat national officiel au bénéfice des seuls centres labellisés aura nécessairement pour effet de dégrader la valeur de l'attestation délivrée par les centres non labellisés, et même de priver de toute valeur cette attestation ; que le certificat national, tel qu'il est institué par les actes contestés, est de nature à entraîner la disparition des centres indépendants, lesquels se distinguent des centres labellisés non par la qualité de l'éducation des chiens, qui est équivalente à celle dispensée par les centres labellisés, mais par la méthode d'éducation sans chenil qu'ils ont choisie ;

5. Considérant, toutefois, que si l'association requérante allègue que la création du certificat national produirait déjà des effets, elle n'apporte pas d'éléments probants en ce sens ; qu'il ne ressort pas, en effet, de l'instruction écrite et des débats au cours de l'audience publique que, quatre mois après l'entrée en vigueur des actes en litige, le droit des détenteurs de chiens guides d'aveugles éduqués par des centres indépendants d'être accompagnés de leurs chiens, sans port de la muselière, dans les transports publics ou dans les lieux mentionnés à l'article L. 211-30 du code rural et de la pêche maritime aurait été effectivement dénié en raison de la non production d'un certificat national réglementaire ou que des centres indépendants auraient été privés de financement en raison de l'impossibilité pour eux de délivrer ce certificat ; qu'ainsi, en l'état de l'instruction, le risque que les actes contestés préjudicient de manière suffisamment grave à la situation de l'association requérante n'apparaît qu'éventuel ou, à tout le moins, que le préjudice qu'elle invoque n'est pas immédiat ;

6. Considérant que, dans ces conditions, et alors que le Conseil d'Etat statuant au contentieux sera normalement en mesure de se prononcer sur la requête en annulation dans les prochains mois, la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie ; qu'il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sur la légalité des décisions contestées, la requête de l'association " centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles " doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de l'association " centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles " est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association " centre indépendant d'éducation de chiens guides d'aveugles ", au Premier ministre, à la ministre des affaires sociales et de la santé et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 382755
Date de la décision : 26/08/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 aoû. 2014, n° 382755
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:382755.20140826
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award